LES BOBARDS
DE LA GUERRE D'ALGERIE
LE CRAPOUILLOT - N°93
- avril 1987
Recueilli
par Sivéra
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UNE
ESPÉRANCE GACHÉE
"On
doit bien comprendre qu'il n'est pas possible à un prince, et surtout à un
prince nouveau, d'observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes
sont réputés gens de bien ( ... ). Il faut qu'il ait l'esprit assez flexible
pour se tourner à toutes choses, selon que, le vent et les accidents de
fortune le commandent".
Machiavel.
La
guerre d'Algérie est née dans le mensonge, elle s'est déroulée et s'est
achevée sous le signe du mensonge.
Durant près de cent mois, Français de métropole, Français d'Algérie ont
été les acteurs résignés, déchirés, enthousiastes puis désespérés
d'une formidable duperie collective.
Aucun
de ceux qui étaient en âge de participer à ce drame ne peut se prévaloir,
un quart de siècle après sa conclusion, d'en être sorti indemne. Pas même
les tristes vainqueurs de l'indépendance, auxiliaires, du FLN ; la République
populaire de leurs rêves, après une épuration atroce, est devenue ce
qu'elle promettait d'être : une pauvre dictature délabrée, aussi féroce
envers ses opposants qu'hospitalière au terrorisme international.
Chaque moment de cette histoire cruelle est ponctué par des mensonges.
A son origine, en 1954, ce sont des mensonges d'apaisement, Le régime,
trop faible pour supporter l'idée même du mal, en nie l'existence. Comme
pour la conjurer, on se refuse à prononcer le mot de guerre. Les nécessités
du « maintien de l'ordre » s'accroîtront ainsi, mois après mois,
absorbant peu à peu les énergies, grevant les finances, bloquant les
institutions; sans que personne parmi les « caciques » n'ose prendre
à bras-le-corps ce fantôme.
Dans
une pièce célèbre, deux personnages de Ionesco refusent ainsi de considérer
le cadavre envahissant qui les chasse peu à peu de leur appartement. L'Algérie
de 1957, c'est aussi « Amédée ou comment s'en débarrasser ».
Dieu
merci, un sauveur arrive.
L'homme
providentiel, qui se morfondait depuis douze ans à Colombey,
débarque sur les ailes, d'anges improbables. Il n'a pas d'opinion sur la
question algérienne, il en a dix, il en a cent, elles correspondent
d'ordinaire à celles de son interlocuteur :
il y a, dans le « Je vous ai compris » une puissance tactique irrésistible.
Les
pieds-noirs, les musulmans, les soldats, les Français de métropole enfin,
dans leur majorité, accueillent dans l'allégresse les mots apparemment
simples du « premier des Français ». Mieux que de longs discours, ce
cri du cœur semble exprimer toutes les aspirations, cautionner tous les
engagements. Il n'est pire sourd...
D'ailleurs,
la guerre - car c'est tout de même une guerre, une sale guerre et même une
guerre sale, avec des morts, des prisonniers, des massacres et, des tortures,
une guerre enfin -, la guerre n'est-elle pas gagnée sur le terrain ? Les
militaires le disent, qui croient aux règles du jeu. Pour l'emporter, ils se
sont bien battus.
Ce combat est le bon. On le leur a dit, « il » le leur a dit, et
avec lui, les Français complices : l'Algérie est française et le restera.
Mais
De Gaulle en décide autrement.
Quand
? Pourquoi ? Les exégètes de la pensée gaullienne s'échinent à déterminer,
dans l'histoire du régime, l'instant où le grand homme décida de brûler ce
qu'il avait adoré. Comme on se gratte là où ça démange, ils cherchent
bien profond et trouvent, avant le fatidique 13 mai, des bribes de
conversations, des échos de confidences où le dessein ultime montre le bout
de son nez (1). Mais ils finissent toujours par en appeler, pour étayer cet
édifice branlant de supputations, à la bonne vieille raison d'État qui lave
plus blanc.
Peut-être,
après tout, les projets d'intégration ne tenant pas assez compte des
rapports démographiques que dont Maurras, bien des années auparavant,
avait déjà dénoncé les menaces (2), la France fit-elle bien de larguer ces
trop lourdes amarres.
Il n'en reste pas moins qu'un capitaine tire rarement vanité d'avoir sauvé
son navire en abandonnant les passagers en mer, les eût-il nantis préalablement
d'une valise (ou d'un cercueil) et de promesses d'indemnisation...
Rien
- ou fort peu de chose - ne fut fait depuis 1962 pour dresser le bilan véridique
de la présence française en Algérie : cette Histoire reste à écrire.
Les neuf années de la guerre elle-même sont tombées dans un demi-oubli,
entre les versions officielles du second conflit mondial et les ressassements
des grognards de Mai 68. Il est vrai que les souvenirs passent mal : la rue
d'Isly, Evian, Charonne... Les Français ont la mémoire courte et sélective.
Vingt-cinq ans, c'est pourtant un âge auquel on peut regarder certaines vérités
en face. Telle fut notre démarche en réalisant ce « Crapouillot »
voué, sans amertume, à l'évocation d'une grande espérance gâchée.
Yannick
BOURDOISEAU
(1)
Voir Alain de Boissieu, « Pour servir le général », Plon, 1982.
(2) A propos du projet Violette de 1936.
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Anecdote
:
Les
vaches moins bêtes que les Veaux ?
L'Écho
d'Alger
», 31 mai 1958.
A
l'entrée de la propriété du général DE GAULLE
Un
troupeau de vaches s’opposait au passage de M.Guy Mollet…
Paris.
– Intermède imprévu cette après-midi à Colombey-les-Deux Eglises.
A
18h, MM.Guy Mollet et Maurice Deixonne pénétraient à la
Boisserie. Ils avaient failli n’y parvenir : leur voiture s’était trouvée
bloquée dans la rue principale, au milieu d’un troupeau de vaches sortant
de l’étable.
Malgré les violents coups de klaxon et l’intervention des gendarmes qui
avaient affaire à forte partie, les visiteurs officiels durent attendre le
bon vouloir des entêtés bovins pour pénétrer à la Boisserie.
Cette scène cocasse a provoqué l’hilarité de Maurice Deixonne
mais n’a pas déridé M. Guy Mollet qui paraissait fort soucieux.
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