GUY
MILLIÈRE
Philosophe,
économiste,
professeur d'histoire des idées et des cultures
a Paris VIII.
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Il écrit dans l'hebdomadaire
"les 4 vérités" de Novembre 2002
http://www.les4verites.com/
IL N'Y A PAS QUE DES PROFS DE
FAC. GAUCHO EN FRANCE.
"L'année prochaine sera en France
l'année de l'Algérie, et je me prends à songer…
19 mars 1962. C'était il y a quarante ans
déjà. Le gouvernement français accordait l'indépendance à l'Algérie au
terme de six années de guerre.
À gauche et dans la droite mal-à-droite, on dit que le temps de la
réconciliation est venu.
Des reportages passent à la télévision qui nous montrent, en images noir et
blanc d'époque, la douleur des uns et la joie des autres. Si on évoque la
violence, c'est pour incriminer surtout, l'armée française. C'était
une armée coloniale, n'est-ce pas ? Elle
avait donc tort !
Un livre à très largement diffuser reste à
écrire qui expliquerait l'ignoble barbarie, la violence, la cruauté abjecte
dont le FLN a fait preuve depuis les premiers jours de ses exactions.
Le livre devrait dire que c'était la première fois que des soldats se
trouvaient confrontés à autant d'abjection depuis la découverte des camps
de la mort dans l'Europe libérée du nazisme.
Le livre devrait demander ce que pouvaient ressentir de jeunes soldats
confrontés non seulement à la mort, mais à la mort ignoble, dégradante,
obscène, et expliquer, sur cette base, et sur cette base seulement, les
actions de représailles.
Le livre devrait aussi, pour faire bonne mesure, dire l'œuvre française en
Algérie, rappeler que la France a construit les villes et les routes, les
hôpitaux et les écoles, souligner que les pieds-noirs n'étaient pas tous,
loin s'en faut, des gens riches et arrogants, mais bien plus souvent des
gens simples, fraternels, qui avaient appris l'arabe, défriché les terres et
permis aux Arabes d'Algérie d'accéder à la liberté, à la culture, à un
niveau de vie plus élevé.
Le livre devrait s'interroger sur les événements de 1962. L'Algérie
était-elle perdue pour la France ? Et, même si on répond par l'affirmative,
devait-on la confier à un mouvement terroriste au passé fort trouble,
plutôt national-socialiste, et nettement sanguinaire ?
L'OAS, même si on peut discuter des moyens par elle utilisés, avait-elle
tort de parler de déshonneur et de crime, et de vouloir une issue plus digne
? Des gestes tels la décision de tirer dans la foule rue d'Isly se
justifiaient-ils, ou incarnaient-ils la manifestation cynique et
méprisante de la volonté d'en finir une fois pour toutes et de passer par
pertes et profits des gens encombrants, qu'ils soient Arabes attachés à la
France ou pieds-noirs attachés à un pays que leurs ancêtres avaient créé
et qui avant n'existait pas ?
La France en 1962 a, en tout cas, pour la première
fois au vingtième siècle fait tirer dans le tas sur des Français désarmés.
Elle a, peu de temps plus tard, abandonné corps et bien un
pays entier à des barbares en leur
laissant les pleins pouvoirs.
Elle a laissé assassiner pendant les mois
qui ont suivi des Français par milliers qui avaient pour seul tort d'être
Français, et ce sous le regard même de militaires
à qui on avait demandé de garder l'arme au pied.
Elle a livré à leurs bourreaux, aux fins
qu'ils en fassent ce qu'ils en veulent, des milliers d'Algériens qui ont
compris trop tard qu'ils avaient tort d'avoir choisi la France.
Le livre devrait en venir aux conclusions, depuis lors.
La France a tout trahi en 1962. Tout.
Les Algériens comme les Français d'Algérie, l'armée française, ceux qui
espéraient peut-être une indépendance digne, les règles les plus
élémentaires de l'honneur, du respect de la parole donnée.
La France a pratiqué en 1962 une politique indigne d'un pays qui se
prétend démocratique et respectable.
Quarante ans après, il y a les conséquences. Des gens, les " pieds
noirs ", qui ne se sont jamais pleinement remis de l'humiliation
et de la spoliation, et des violences gratuites
qu'on leur a fait subir.
D'autres gens, les " harkis ",
qui ne pourront jamais oublier ou pardonner
cet abandon des leurs à la mort aux
heures décisives et qui, aujourd'hui encore, marginalisés, traités en
citoyens de seconde zone par la France peuvent à bon droit se demander ce que
c'est que ce pays où ils vivent désormais ce qui leur reste de vie…
De l'autre côté de la Méditerranée, le
mouvement terroriste de l'époque, lui, va bien, et a réussi à détruire
l'économie algérienne, à rendre des terres fertiles au désert, et à
supprimer la démocratie avant de la réduire à une farce.
L'islamisme rôde et assassine comme on assassinait il y a quarante ans.
Les assassins d'il y a quarante ans, eux, gouvernent sur les décombres et
se remplissent les poches sans honte ni scrupules.
Dans le petit peuple, on regrette la France sans comprendre que, depuis
quarante ans, la France n'est plus la France,
et on se demande en vain pourquoi il y a eu ce grand gâchis qui n'en finit
pas.
Il faudrait demander à ceux qui gouvernaient la France en 1962. Quelques-uns
vivent encore.
Soyons sûrs que la question ne leur sera pas posée.
Soyons sûrs
qu'ils savent qu'il n'y a vraiment pas de quoi être fiers. "
GUY MILLIÈRE
Pour lui écrire:
MGuymilliere@aol.com
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