Alain PEYREFITTE
de l’Académie Française
(Editions de Fallois- FAYARD) |
"C’était
de Gaulle"
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«
NOUS FINIRONS EN PRISON »
Salon doré, 25 juillet
1962.
Chapitre 18 - pages 197-198
À l'issue du Conseil, le Général
me résume ainsi la situation algérienne :
« L'anarchie
s'étend. Ça ne nous étonne pas outre mesure, ça ne pouvait pas être
autrement, pendant un temps. Il faut que ça cesse ! Ça ne peut cesser que
par la voie démocratique.
« En attendant, nous cherchons à limiter autant que possible les inconvénients
de cette confusion. Par notre concours administratif, en apportant à l'Algérie
une assistance technique, sans laquelle elle tomberait dans le marxisme et
bientôt dans le chaos. Et, si la situation s'aggravait, en intervenant
directement pour protéger nos nationaux.
« Il n'y aura pas de coopération possible, si la vie, la liberté et les
biens sont menacés. Nous tiendrons les autorités algériennes, actuelles ou
futures, responsables de l'ordre public ».
Après un soupir, il ajoute
:
« Maintenant,
l'important va être de persuader la plupart des repliés de rentrer en Algérie.
»
« Les Algériens vont s'étriper »
Un silence. À partir de là,
je ne sais plus si le commentaire est pour la presse ou pour moi seul, et ne
serai un peu plus fixé qu'à la fin
« Il
faut bien constater que les incertitudes se prolongent sur la situation
politique de l'Algérie. Avec tous les inconvénients, et même les risques,
que cet état de choses fait peser sur la coopération à établir entre les
deux pays. Dans cette situation mouvante, nous devons retenir les éléments
fixes suivants :
« 1) Aucune des factions rivales en Algérie ne conteste ou ne met en cause
les accords d'Évian, qui ne jouent aucun rôle dans les polémiques en cours.
Au contraire, ils forment un point de convergence.
« 2) De même, le rôle et la mission de l'Exécutif provisoire ne sont pas
discutés.
« 3) Enfin, tous les dirigeants algériens sont également d'accord pour
considérer que la participation des Européens à la vie et à l'économie
algériennes est essentielle, et que leur sécurité doit être assurée.
L'action de notre représentation diplomatique et consulaire en Algérie
commence à porter ses fruits.
Des disparus ont été retrouvés, des internés relâchés (près de 50). Il
n'y a pas de coopération concevable sans sécurité absolue pour nos
compatriotes. »
Encore un instant de
silence.
« Malheureusement,
le vide algérien est effrayant. Les Algériens ne semblent pas sur le point
de s'entendre. Ils vont s'étriper. Ils ne savent pas faire autre chose. Nous
ne pouvons quand même pas recommencer la guerre d'Algérie pour arranger les
choses ; pour arranger leurs choses. Tout ça, naturellement, c'est pour vous.
»
(Où commence ce qui est pour
moi, où s'arrête ce qui est pour les autres ?)
(Pendant la guerre d'Algérie, il disait:
« l'affaire d'Algérie
», « la question algérienne ».
Maintenant qu'elle a pris fin,
il l'appelle par son nom.)
Pompidou me raconte, mi-plaisant, mi-sérieux :
« Le
Général a déclaré à Mme de Gaulle :
« Je
vous le dis, Yvonne, tout ça se terminera mal. Nous finirons en prison. Je
n'aurai même pas la consolation de vous retrouver, puisque vous serez à la
Petite Roquette et moi à la Santé. »
Je n'ose pas lui demander
s'il le tient de Mme De Gaulle, ou d'un aide de camp, ou s'il a été témoin
de la boutade. En tout cas, il ne le tient sûrement pas du Général - ce
n'est pas son genre de citer ses propres mots.
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