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QUAND SUIS-JE DEVENU UN HOMME ? Ce n'est pas à la Toussaint Rouge de 1954. Je n'avais que douze ans. Entre les deux siciliennes de Cefalù (ma grand-mère et ma mère), nous regardions, en ce soir, les lueurs et fumées qui montaient du côté de Montpensier, accoudés à un balcon du 98 de la rue Roviqo. Pour moi, voilà qui ressemblait à une sorte de feu de la Saint-Jean. Un car avait été incendié par les "rebelles". Courte explication, par parenthèse : j'ai hérité de mon celte de père une tournure syntaxique. En (vrai) breton, on commence toujours sa phrase par : "Moi, je ...". Aucune prétention, aucun nombrilisme : c'est ainsi. Mon ex -épouse normande n'a jamais voulu l'admettre. Vous non plus, peut-être, mais je m'en moque. Donc il m'est possible d'affirmer avoir eu une adolescence tronquée. Fin 1 958, un copain "patos" est abattu d'une balle dans la nuque. Quelques mois plus tard, au sortir du lycée Buqeaud. j'étais avec un autre copain "patos" dont le père, officier, venait d'être affecté à Alger. Rue Bab-Azoun. nous nous séparons. Lui va vers la Place du Gouvernement prendre son bus ; moi vers "La Jeune France", le bistrot que tenait ma mère au bas de la Casbah. Je n'avais pas fait trente mètres que j'entends un coup de feu. Demi-tour. Je cours et vois mon copain à terre, sous les arcades. Nouvel acte de courage : une balle dans la nuque. Fort heureusement, il s'en est sorti avec, comme seule séquelle, une paralysie faciale droite. Fini la Pointe-Pescade, le Cap-Caxine, Les Sables-d'Or de Zéralda, le Chenoua… Le 23 janvier 1960 (oui, vous avez bien lu : le 23), alors que nous préparions ce qui allait devenir célèbre sous le nom générique des "Barricades", je suis entré dans l'action directe. Un an et demi après, cette dernière allait s'organiser et l'adjectif se convertir en "secrète". À ceux qui ne me croient point, je conseille la lecture (et la consultation des photographies) du "Paris-Match" de l'époque et de "Spectacle du Monde" de 1963. On peut m'y reconnaître en compagnie de LAGAILLARDE et de ZAGAMÉ (qui a fini son parcours dans l'Est de la France en qualité de sous-préfet, Gérard LONGUET dixit) : c'était à l'occasion de la fameuse "Prise des Universités" de la rue Michelet. J'étais devenu un homme. LA DETENTE MERCIER tenait à sa jeep, qui me faisait envie. Subrepticement, je déconnecte le fil d'une bougie. J'en étais sûr : "BOISARD, répare la jeep ! ". Pendant une heure, planqué derrière le capot soulevé, je me suis soigneusement maculé de cambouis. Le moteur redémarre par miracle, et j'obtiens le droit d'éprouver ma réparation. Qu'elle était belle cette côte à l'ouest de Bou Sfer ! Le tirage au sort veut que je sois de garde du 30 juin minuit au 1er juillet 1962. Le factionnaire de la vingt-cinquième heure, en quelque sorte. Mon copain, le Sergent Ahmed BENAÏSSA, m'a appris à pêcher à la grenade (OF, bien sûr). Alors là, le Lac de Tibériade, il peut aller s'assécher. La jeune belle-sœur de MERCIER nous avait rejoint en vue du grand départ. Nous avons passé toute une après-midi à parler sur une plage de sable fin et déserte. En tout bien, tout honneur : elle avait mon âge. Le soir, mon arme de service (un 7.65) était souillée de sable. Je nettoie, en oubliant que la consigne voulait d'avoir, toujours, une balle engagée dans le canon. Au moment où je touche la queue de détente, je me colle une balle dans la main droite. Ce qui ne m'a jamais empêché d'écrire. Près de notre villa se trouvaient des habitations troglodytiques. Là attendaient des musulmans pour regagner "Madame la France". C'étaient des Berbères, et j'ai entr'aperçu la plus belle des jeunes filles que j'aie jamais vue. Dix-sept ans, pas plus. À mon âge, j'en rêve encore. Ce fut ma seule Apparition. Le lendemain, 5 juillet 1962, le cauchemar survenait. L'HORREUR Curieusement, ce chapitre, à l'origine du présent article, sera bref. Voilà bien des années que j'ai refoulé, à dessein, mes souvenirs, que je n'ai plus ouvert certains livres, que j'ai laissé mes archives en archives. Lorsque j'ai imaginé la manière de rédiger ce texte, je me suis mis à pleurer. Et je pleure en cet instant. Des larmes qui ne sont pas de mélancolie. Même pas amères. Elles sont d'acide et me rongent "Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 1962, à Orant". Première phrase de "La Peste" d'Albert CAMUS. Certes, j'ai triché : ' 1962 ' est, dans le texte original, ' 194.' Cependant, il m'a toujours semblé qu'il se dégageait, de cette phrase un je-ne-sais-quoi de prémonitoire. N'oublions pas que l’œuvre fut publiée en 1947. Les tentatives orientées, donc lamentables, des exégètes du livre parlent de la peste brune. Et s'il s'agissait de la peste "bronzée" ? Dans son texte remarquable en date du 5 juillet 2001, Geneviève de TERNANT a parfaitement décrit les horreurs vécues et subies par les oranais en ce 5 juillet 1962. Je ne pourrais qu'abonder dans son sens. Madame de TERNANT m'a épargné la peine (dans toutes les acceptions de ce terme) de narrer ce massacre barbare. Un point narratif me semble intéressant car contributif. Le 5 juillet, peu après 9 heures, le Lieutenant MERCIER dit à BENAÏSSA et moi-même "Prenez quatre hommes et trois GMC : des émeutes ont (vont ?) éclaté(r) à Oran. Ramassez le max de civils sans distinction (? Sous-entendu de race ou de religion ?), ramenez-les sur la base de Mers-el-Kebir et continuez". Si la barbarie a débuté à onze heures, c'est qu'elle était préméditée, et que des informations avaient transitées jusqu'à Bou-Sfer.Les navettes durèrent toute la journée du 5. Je confirme que nous étions les seuls "militaires" pour accomplir cette mission. II est possible que la gendarmerie soit intervenue enfin d'après-midi : je ne saurais le dire.Le lendemain, la furie était quelque peu calmée, et nous avons pu poursuivre nos navettes. L'odeur était insoutenable. Quand je pense que CAMUS se délectait des "...rues aux odeurs d'ombre..." de nos villes d'Algérie : sa disparition trop précoce lui aura évité cette nausée. Plusieurs centaines de civils ont ainsi trouvé refuge sur la base de Mers-el-Kebir. Je ne conserve aucun souvenir des 7 et 8 juillet : c'est le trou noir. Dû, sans doute, à un mécanisme psychique compensatoire destiné à occulter le traumatisme. Le 9, nous avons embarqué sur un Bateau de Débarquement de Chars (BDC), "Le Blavet" (le nom d'une rivière bretonne près de Lorient). Quatre à cinq cents civils avaient pris la place des tanks. Puis nous avons débordé, cap sur Toulon. Vers la mère patrie indifférente, exception faite de celles et ceux de la Croix-Rouge et du Secours Catholique.Le BDC était commandé par un Lieutenant de Vaisseau, qui a fini sa carrière en tant qu'Amiral. Voilà six ans, je me suis entretenu avec lui au téléphone. II a délibérément bravé les ordres donnés (pas un Harki en France !), et effectué plusieurs rotations Mers-el-Kebir/Toulon. Notre traversée fut la dernière. Je possède la photocopie du Livre de Bord du "Blavet" grâce au Service des Archives de la Marine Nationale.Je délègue à Jean SOLER le soin de conter ma soirée du 10 sur ce navire. Il connaît l'histoire, qui constitua mes deux heures d'angoisse, mais terminées par un heureux dénouement. LA RÉFLEXION Au fil de ce texte, un rapprochement s'est imposé. Certains ont parlé de 3000 morts lors de la boucherie d'Oran. Si des ministres (comme de BROGLIE et SANTINI) avancent ce nombre, il faut le majorer. A en juger par les données provenant d'Alger, les enlèvements à Oran n'ont pas été correctement pris en compte : il convient d'extrapoler, donc de parler de quelque 4 à 5000 victimes.4 à 5000 morts ou disparus : cela représente le double des tués lors de la destruction des Twin Towers du World Trade Center de Manhattan, attentat perpétré par des islamistes fanatisés, le 11 septembre 2001 . La communauté internationale se déclara horrifiée.Les salopards du FLN, puis du FIS et, à l'heure actuelle, du GIA ont-ils été l'objet d'opprobre, en leur qualité d'assassins barbares, par les Nations Unies au cours de la dernière décennie ? Non ! Et à ma connaissance, rien de tel en 1962, pour Oran. Il est vrai qu'à l'époque, De GAULLE se foutait de la gueule de l'ONU (le "Machin"), tandis que nous, les coupables pieds-noirs, portions sur nos épaules tous les péchés d'Israël. Contrairement à l'ordre donné à KATZ par De GAULLE ("C'est un massacre ? Ne bougez pas !), G-W. BUSH porta immédiatement la guerre sur le pays refuge d'AL-Quaïda. Et la poursuit encore ...Différence entre un vrai responsable politique (qui n'a pas confiné ses GI's l'arme au pied dans leur cantonnement) et un Général de Brigade autoproclamé, qui débuta la Seconde Guerre Mondiale par une sanglante action d'éclat (c'est le cas de le dire puisqu' étant artilleur) : la section qu'il était chargé de commander fut installée, par ses soins, en pleine plaine bordée de bois et de collines ; les Stukas se régalèrent (communication personnelle de Xavier CAMILLERAPP, Grand Officier de la Légion d'Honneur, Grand Invalide de Guerre, aveugle depuis 1940 par la grâce de De GAULLE. 2003 sera l'année de "l'Algérie". Laquelle ? Celle des tortionnaires et des tueurs au pouvoir. Ou celle de l’ « Oeuvre Française » telle que décrite par le Professeur Pierre GOINARD. Peu importe à CHIRAC que BOUTEFLIKA eût insulté les Harkis à la tribune de l'Assemblée Nationale en les comparant aux collaborateurs de 1940. Que BARRE, en fin 2000, eût assimilé l'adjectif harki à celui de traître ... et de collabo, lui aussi. -A quoi rime cette mascarade ? A l'instar d'Oriana FALLAGI, j'enrage contre cet orgueil hypertrophié, sans fondement, sûr de lui et dominateur des islaministes. J'enrage contre nos sociétés, dites civilisées, dont bon nombre oscillent, au gré des courants d'air, entre laïcité islamo-tolérante, laxisme pontifiant et ponce- pilatisme. De mon point de vue, Oran, en juillet 1962, marque le départ de cette volonté des arabes pour prendre le contrôle des pays occidentaux. Islam conquérant ! Inversez les Croisades ! Ces gens ont plusieurs siècles de retard sur nos civilisations, et s'en rendent compte. Plus le temps passe, plus leur retard s'accuse. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le Maghreb du début des années 60 à celui de notre XXIème siècle commençant (1423 de l'Égire et an de grâce 2002 de Notre-Seigneur). -L'invasion des criquets et des sauterelles se fait "en douceur" depuis plus de vingt ans. Nos villes et, déjà, nos campagnes sont en proie à une espèce jusqu'alors inconnue d'elles : le chacal. Les tags à la gloire de Ben Laden souillent les murs de nos immeubles. Nos dirigeants laissent faire, bien plus préoccupés par l'opinion de SOS Racisme et du Mouvement pour l'Amitié (tu parles !) entre les Peuples.J'ai mal à la France ... EN GUISE DE CONCLUSION Malgré ma promesse, je suis retourné en Algérie. En 1967, 1969 et 1970. Pour que mon épouse "patos" essaie de comprendre, et que mes deux premiers jeunes enfants connaissent la patrie de leur père. Puis en 1982, en mission universitaire, pour aider les Chaouïa à concevoir leur université, puisque les Kabyles de Tizi-Ouzou avaient déjà la leur. En 1985, enfin, à la fin d'un colloque scientifique qui se tenait à Tunis, pour tenter de récupérer tout ou partie de la monnaie de singe dinaresque, fruit de ma juste contribution. En cette année, j'ai senti que les vents tournaient à l'aigre, et que ma prochaine visite serait remise à ... bien plus tard. Je n'appartiens pas à ceux qui croient en la vertu endurcissante des épreuves. Leurs marques restent indélébiles. On ne peut que simuler leur oubli. À dessein, je n'ai pas tout dit. J'ai omis l'ordre de mission de Raoul SALAN, du 2 avril 1962. De la fin du mois de mars de cette année, et jusqu' à la mi-juin, je crois être le seconde classe qui a reçu le plus de permissions pour aller "rendre visite" à ses parents d'Alger. Je désire dédier ce texte à Caroline BOISARD, ma fille, née le 30 juin l966, en Normandie. En 1967, elle a fait ses premiers pas à Hydra, lors d'un séjour touristique, mais ne pouvait avoir conscience de son bonheur. Plus tard, jeune journaliste (de talent, paraît-il), elle s’est tuée au retour d'un reportage, le 30 juillet 1989 (RIP). Quand je vous disais que ce mois de juillet ne m'a jamais porté bonheur, et que tout ressort d'un absurde qui nous dépasse... Jean BOISARD
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