CA
AUSSI
C'ÉTAIT DE GAULLE
de
Guy Forzy
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Partie 3
Ça
aussi, c'était De Gaulle !
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Cette « partition » de l'Algérie, dont De Gaulle confie l'étude et les
grandes lignes au « studieux » Alain Peyrefitte, se définit, selon lui,
de la façon suivante et quelque peu sommaire : « Regrouper entre Alger et Oran
(320 kilomètres de côte) Français et Musulmans (enfin) qui veulent rester aux
côtés de la France ! »
C'est, en pratique, créer un immense « camp retranché », qui comprendrait les
plaines ou bandes littorales les plus fertiles, ainsi que les ports et villes
les plus prospères, « donc » reviendrait à redistribuer aux Pieds noirs les
zones qui « attisent convoitises et jalousies » et qui alimenterait l'injuste
propagande du FLN relayée par les Gaullistes, à propos des prétendus abus de la
colonisation !
Plus
encore, l'imagination débridée du Général atteint un record d'inconscience
lorsqu'il prétend conserver le Sahara avec son libre accès; celui‑ci deviendrait
un « territoire autonome » dont il s'avise de reconnaître «que les populations
qui y vivent, sont très attachées à la France».
Ouf,
la France n'est donc pas unanimement méprisée.
De
cette vue de l'esprit, il découlerait donc :
‑
Que
l'Algérie « utile », ses villes et ses régions les plus prospères, ainsi que les
ressources immenses, mais encore insondables du Sahara célébrées en 1958 par lui
à Edjelé comme la « grande chance de la France », sont réservées !
‑
Que le chef des armées, attaché au prestige et au rêve de la dissuasion
nucléaire qui vient de se concrétiser du 13 février 1960 au 26 avril 1961 par
quatre explosions atomiques aériennes, peut poursuivre sa politique de grandeur,
puisque, dit le communiqué du Ministère des armées, « toutes les Précautions
ont été prises afin que les retombées radioactives ne présentent aucun danger
pour les populations (sic) », ce qui s'avèrera faux.
‑
Enfin, « illusion » pittoresque, mais explosive : le professeur d'Histoire de «
l'École de guerre » préconise le partage de la capitale algéroise où « la Casbah
serait séparée de Bab el Oued !».
Une
réplique du Mur de Berlin !!!
«
L'enseignant » militaire avait donc oublié les tragiques précédents qui furent à
l'origine de tant de troubles ou de conflits dans le Monde:
le
couloir de Dantzig, l'occupation de la Ruhr, le partage de Jérusalem, les
colonies juives, la poche de Gaza et tant d'autres exemples qui bouleversèrent
et bouleversent encore l'équilibre du siècle!
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Pour autant, le « penseur avisé » n'entend pas assurer la pérennité de cette
étude de la partition, dont il laisse la responsabilité au « scribe dévoué »
qu'il remercie de cet excellent ouvrage
«
Cher Député
Ce
partage de l'Algérie et les solutions proposées sont autant d'aspects d'une même
question, que votre document a le mérite d'éclaircir tour à tour, jusqu'en leurs
détails.
je
vous sais gré de m'avoir, en me l'adressant, mis à même de tirer profit des
réflexions et des conclusions que vous en tirez,
Signé : Charles De Gaulle ».
Dans
son livre La Vème République (édition France Empire), Pierre Limagne,
connu dans la Résistance pour la rédaction de ses Êphémérides (mais qui donc n'a
pas résisté en France ?) et journaliste à l'hebdomadaire La Croix, donc
favorable à la politique algérienne du Général qu'il ne se fait pas faute de
critiquer sévèrement par ailleurs, écrit:
«
La solution du partage de l'Algérie est présentée comme une étape vers
l'association avec une Algérie «réunifiée», sans aucune concession pour le
Sahara».
Or,
le « pensum », sollicité pour l'étude de la partition par le Général à Alain
Peyrefitte, n'échappe pas à la surveillance attentive de l'entourage élyséen
favorable au FLN qui bénéficie d'emblée de «fuites» subtilement «distillées».
Aussitôt, le GPRA intensifie son action terroriste, d'abord dans le
Constantinois, puis dans le reste de l'Algérie, orientant de violentes
manifestations dénonçant cette perspective de « démantèlement de l'Algérie ».
Bien
encadrés, puisque désormais 6 000 détenus « administratifs » viennent d'être
libérés, des foules poussées par des rebelles en uniforme, se ruent contre les
forces de l'ordre. Il y aura 80 morts, dont 50 manifestants et 300 blessés. Et
malgré cette alerte, De Gaulle reconduit une «trêve unilatérale»,
ce qui signifie la suspension des hostilités pour les Français et liberté
d'action pour le FLN qui va assassiner 133 personnes (dont 116 Musulmans)
et en blesser plus de 300.
…..
Parallèlement, la lecture des journaux et toutes les informations révèlent que
la justice de l'État français a condamné à mort par contumace, le 10 juillet,
tous les chefs militaires qui avaient infligé à la rébellion ses plus cuisants
revers : Salan, Jouhaud, Gardes, Broizat, Argoud, Godard, Lacheroy.
De
Gaulle,
qui doit faire face à l'affaire Bizerte, cesse de « jouer au petit soldat »,
puisque la Délégation générale à Alger est contrainte d'autoriser le
commandement à reprendre sa liberté de manoeuvre pour juguler les actions
entreprises par le FLN durant la trêve et qui ont fait subir de lourdes pertes
aux forces françaises.
Et
le journaliste de La Croix doit aussi reconnaître : « Si l'on aboutit pas, ce
n'est nullement la faute du seul FLN car le Général semble s' intéresser moins
au sort des hommes, qu'à la conservation du Sahara, riche en pétrole, et où
l'on peut procéder à des essais atomiques, et à celle de Mers‑el‑Kebir, où nous
avons englouti beaucoup, beaucoup d'argent ».
Puis, pour promouvoir des jeunes « dociles » à ses directives, le Pouvoir met en
congé spécial officiers et fonctionnaires sans tenir compte des règles
habituelles.
Le
28 juillet, à l'Assemblée nationale, Guy Mollet s'élève contre la
partition, aussi Terrenoire, porte‑parole du gouvernement, rassure les
députés en rectifiant qu'il
«
n'est pas question de partage de l'Algérie, mais simplement de regroupement ! »
Puis
il annonce pour la plus grande joie du GPRA et l'angoisse des populations :
«
Nous allons transférer de ce côté ci de la Méditerranée d'importantes unités et
raccourcir de plusieurs semaines le service militaire».
Exit donc, la partition
À la
grande déception du « futur Ministre des futurs Rapatriés », mais au soulagement
des partisans de l'Indépendance, qu'ils soient au gouvernement français ou au
gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), à Tunis.
Quant aux populations, elles subissent les humeurs que De Gaulle reproche
aux Pieds‑noirs qui contiennent de moins en moins leur colère, tandis que les
attentats s'intensifient et que l'Armée s'interroge sur la lucidité de son Chef
suprême qui, à nouveau, assène une formule «frappée au coin du bon sens» que
n'aurait pu désavouer monsieur de Lapalice :
«
L'Algérie de demain ne pourra être bâtie
Ou
bien avec la France
Ou
bien contre la France ».
Pourquoi cette alternative, puisqu'il a choisi résolument la seconde?
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Coup
de grâce à « l'idée imbécile » de partition ? C'est le super préfet
Madhi Bel Haddad, consulté, qui va casser les reins à cette utopie ! Il
parle en expert puisqu'il est descendant du grand Marabout Hassen Bel Haddad
qui leva, aux côtés du Bachagha Mokrani, la violente révolte kabyle de
1871.
Sa
famille ralliée à la France, Madhi combat en Italie comme colonel et y
perd un bras. Préfet de la République, il démontre toutes les difficultés
techniques, géographiques et militaires d'une pareille entreprise qui
nécessiterait au moins un million d'hommes pour assurer l'étanchéité de
frontières « à inventer » !
Après le « Mur de Bab el Oued », imaginerait‑on un troisième barrage électrifié
?
*Bien
sûr, De Gaulle et ses admirateurs assureront que l'idée de partition
était un « gadget » destiné à impressionner le GPRA et à gagner du temps et
apparemment il importait peu à ces «visionnaires» que des hommes meurent « dans
ce même » temps !
***Alain Peyrefitte,
encore député lorsqu'il planche sur la partition, sera récompensé de « ce
travail inutile », mais surtout de sa fidélité indéfectible ‑née un jour de mai
1940, lorsqu'il entendit à la radio un « général inconnu » évoquer depuis le
champ de bataille à Savigny, l'épopée de Moncornet‑ va enfin être reconnu par ce
général qui en fait son porte parole. Il commencera sa carrière comme ministre
des Rapatriés.
De Gaulle et la torture
On a
évoqué, sans disposer d'aucune preuve, mais de sérieux indices ou témoignages,
et bien qu'il n'y ait pas ou plus d'archives dans ce domaine, les méthodes
employées dans les caves de « Duke Street » à Londres, siège des services
spéciaux de la France libre, pour interroger les transfuges ou les ralliés, dont
certains pouvaient être suspects ou ennemis infiltrés, voire Gaullistes
récalcitrants.
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Il y eût
certainement quelques bavures, puisque les Anglais durent intervenir à plusieurs
reprises tandis que le « démocrate » président Roosevelt s'inquiétait des
échos qui lui parvenaient de ce lieu de détention qui, très vite, fût transféré
en Afrique noire.
‑
Quelques années plus tard, lors de la création du Rassemblement pour la France
(RPF), fut parallèlement mis en place un service d'ordre (SO) fortement «
structuré », qui se transforma par la suite en Service action civique (SAC) dont
les organisateurs et les méthodes firent plusieurs fois la une de la Presse,
mêlés à quelques scandales retentissants.
‑
Lorsqu'en juin 1958, De Gaulle revient « aux Affaires », d'abord comme
dernier Président du Conseil de la IVème République, puis comme Président
de la Vème et redevient chef des Armées, il sera durant quatre ans
confronté à la guerre d'Algérie qui se traîne depuis trois ans.
Le
problème de la « torture » est donc sinon moralement, du moins pratiquement, de
son ressort, puisque ne pouvant l'ignorer il se devait d'y mettre fin d'une
façon autoritaire, bien dans sa nature, si telle était la réalité.
Que
s'est‑il donc passé alors ? Le général Ely, chef d'État‑major des armées,
ancien Résistant, Gaulliste authentique, colonel rencontré lors de la Libération
de Paris, avait créé en 1956 un organisme spécialisé dans le renseignement,
l'action et la protection (le RAP) qui fut confié au SDEC.
La
protection est assurée par un dispositif, le DOP, composé de militaires,
gendarmes et policiers dont le rôle essentiel portait sur les interrogations et
les renseignements.
Le
21 mai 1958, le général Salan commandant en chef en Algérie, met la «
Sûreté nationale » aux ordres du colonel Godard (rencontré dans le
Vercors en 1945), tandis que tous les renseignements sont regroupés au Centre de
coordination inter‑armée (CCI).
De
Gaulle
s'étonne d'abord que cet organisme n'ait pas été créé plus tôt et son Ministre
des armées Guillaumat demande que ce service soit utilisé en priorité
contre l'Organisation politico‑administrative de la Rébellion (OPA). Les 18 DOP
qui couvrent l'Algérie seront par la suite transformés en Unité opérationnelle
de recherche (UOR).
Non
seulement cette structure est officielle, mais encore le Président de la
République s'y intéresse personnellement, puisqu'au cours du Comité des affaires
algériennes du 9 mars 1960, qui se tient mensuellement
à
l'Élysée sous sa présidence, des instructions sont diffusées à tous les échelons
et précisent les « méthodes de coercition physique dans les interrogatoires »
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Il
s'agit donc d'un « mode opératoire » dont on ne donne pas le détail, mais qui
est approuvé au plus haut niveau de l'État.
Cette méthode s'appliquera bientôt aux partisans européens ou musulmans de
l'Algérie française qui seront interrogés non seulement par les Services
officiels, mais aussi par les polices parallèles, «barbouzes» agrées et
dirigées par l'homme de l'ombre Foccart.
Les
« milices policières gaullistes » et les gendarmes mobiles (les rouges) du
colonel
Debrosse
ou
les hommes de la Mission C, de M.
Haack
et du capitaine
Armand
Lacoste
au « douteux passé de Résistant», se rendront ainsi tristement célèbres.
24
janvier 1960 les barricades se dressent à Alger. Au PC des facultés Le capitaine
Guy Forzy, le sergent‑chef Brahim (de la 4S du Chenoua), le
sous‑lieutenant Leclerc (pilvie), Charles Léger (au fond) et
Abdelllah sont à l’écoute du discours du général De Gaulle.
FIN DE
CHAPITRE
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