A UNE époque où
l'on parle beaucoup d' «otages » (hier le Liban, aujourd'hui le Golfe),
où certains média, en mal de « sensationnel », se permettent, pour
augmenter leur tirage, les pires insultes à l'égard de notre Histoire « L'Evènement
du Jeudi » taxe l'armée française et les Pieds-Noirs de « criminels
de guerre »; Il serait bon de rappeler à notre opinion publique amnésique,
chloroformée, manipulée, le sort qui fut celui de, plus de trois mille Français
d'Algérie au lendemain du « cessez-le-feu ».
Ces otages là étaient
pourtant couverts et, en principe, protégés par des lois
françaises,
mais à la différence de ceux d'aujourd'hui, ils ne faisaient l’objet
d'aucun marchandage et servaient, seulement à alimenter une arithmétique de
la terreur....
Durant toutes ces
années, à l'évocation de ce douloureux problème, on nous a répondu
invariablement : « Mais ils sont tous morts ! »... de la même façon
que l'on disait à ceux qui exprimaient avec quelque « excès » leur
nostalgie «Mais tournez la page !» Alors, au nom de ce raisonnement,
on s’est abstenu d'entreprendre toute action d'envergure qui aurait amené
le pouvoir de l'époque à avouer publiquement l'existence de camps où
croupissaient nos compatriotes.
Le point de départ
de l'entreprise de destruction qui devait s'abattre sur les Français d'Algérie
- entreprise de destruction voulue et organisée par le régime gaullien - fut
la honteuse signature des Accords d'Evian du 19 mars 1962 puis, dans la foulée,
la tragique tuerie du 26 mars à Alger...
Son
aboutissement, l'épouvantable boucherie du 5 juillet à Oran où des
centaines d'innocents furent égorgés, lynchés, brûlés vifs, empalés ou
encore pendus vivants à des crochets d'abattoir.
Entre ces deux tragédies,
plus de trois mille Européens disparaîtront enlevés, parfois même sous les
yeux des militaires français qui n'interviendront pas : ils n'avaient pas
d'ordre ou plutôt ils avaient des ordres de non-intervention.
Il eût été
pourtant de la plus élémentaire humanité d'ordonner à notre armée, encore
puissante, d'effectuer des opérations de sauvetage en direction des camps où
étaient parqués, parfois à proximité des villes, des milliers de civils
menacés d'extermination, même si l'armée jugeait de son devoir de sauver
d'abord ses propres soldats.
Mais les
dizaines de milliers de musulmans fidèles à la France auxquels avait été
faite une promesse formelle de protection, ont été livrés, eux, avec une révoltante
bonne conscience, à la vindicte de leurs tortionnaires. Il n'y a d'ailleurs
pas d'exemple qu'un Etat ait livré de la sorte ses enfants au bourreau. Cette
tache indélébile ternira à jamais l'honneur de la Cinquième République et
avant tout de Charles De Gaulle.
Cela dit, peut-on raisonnablement estimer aujourd'hui qu'il existe encore des
survivants dans les goulags algériens ? Il est bien difficile de répondre
d'autant que mes propos tendent à dénoncer sans complaisance cette tragédie
tout en me dissociant du clivage existant entre ceux qui pensent qu'il existe
encore des prisonniers et ceux qui n'y croient plus. C'est la contrainte de la
bipolarisation à laquelle je refuse de m'associer : gauche contre droite,
camp contre camp. Au contraire, la seule idée fixe qui entretient mon action
est la suivante : « Je ne suis pas sûr qu'ils soient morts mais je ne sais
pas non plus s'ils sont vivants. » Cependant, au vu des éléments suivants,
il appartient à chacun de se faire une opinion.
Alors que, dès le
début de l'année 1963, le gouvernement français, par la voix de son représentant,
le prince de Broglie, affirmait « qu'il n'y avait plus de survivants
dans les camps algériens », le 26 janvier 1971, le président Boumedienne
déclarait :
« A Paris,
on semble ignorer que nous détenons encore un grand nombre d'otages français,
Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il faudra y mettre le prix.
».
Le couple des
enseignants Allard, de Bruyère-le-Châtel (Essonne), d'abord pro- FLN,
puis expulsés d'Algérie au cours du second trimestre de 1971, révélera
qu'environ 750 disparus européens ont été vus et contactés dans les
camps de travail situés à proximité des puits de pétrole d'Hassi-Messaoud.
A l'automne 1972,
quelques-uns de ces hommes ont tenté de s’évader. On les retrouves bastonnés
à mort sur la rocade sud avec la main droite coupée.
Et, le 14 avril
1982, un hebdomadaire publiait les révélations de M Poniatowski qui
affirmait qu'en 1975 (Il était alors ministre de l'Intérieur) « il y
avait encore des centaines de captifs en Algérie ».
Mais le scandale éclata quand, le 15 novembre 1986 l’ASFED reçut
d’un délégué de la Croix-Rouge un télégramme signé P-A Conod,
nom de ce haut fonctionnaire, et rédigé comme suit :
«Confidentiellement,
je puis vous dire que, selon nos dernières enquêtes et de sources sûres
marocaines, il y a bien 500 à 700 Français retenus captifs en Algérie ».
« Il y a bien
», c'est
le présent qui est employé et non le conditionnel…
Cette révélation
fit l’effet d’une bombe… et elle éclata sous les pieds de ce
fonctionnaire qui fut aussitôt muté à Hanoï. Dès lors les contacts
furent multipliés et les ministres intéressés interpellés avec véhémence
par les députés du Front national. Tous nièrent l'existence de survivants.,
y compris le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, qui résuma
la situation en ces termes :
" Aucun élément
ne permet aujourd'hui d'affirmer que certains de nos compatriotes
demeureraient en vie ou, a fortiori, seraient encore détenus en Algérie. »
Or, le sinistre
prince de Broglie avait reconnu que plus de
200 femmes et 50 enfants avaient été enlevés ainsi
que de nombreux adolescents de 13 - 14 ans.
Cependant, la
Croix-Rouge a dénombré 400 femmes ou jeunes filles et rien que pour
la région de Sidi Bel Abbés, 90 enfants.
Or, la plupart
de ces femmes ont été condamnées à vivre dans les maisons closes d'Algérie
ou d'autres pays musulmans ou encore en Amérique latine. Les jeunes enfants
ont été élevés dans les écoles islamiques et arabisés par un nouvel état
civil. C'est la raison qui me permet de penser qu'il y aurait aujourd'hui
des survivants figés pour la plupart entre 29 et 45 ans !
Depuis vingt-huit
ans, tous les gouvernements français ont « éludé le sort des disparus
de 1962. »
La Croix-Rouge
Internationale, elle-même, ne peut donner des renseignements sur les dossiers
qu'elle a constitué en raison d'un accord franco-algérien qui lui interdit
toute divulgation sur ces sujets. C'est ainsi qu'obligation a été faite au
CICR de ne communiquer aucune information aux familles de disparus, mais
uniquement aux gouvernements français et algériens.
Cette obligation
arbitraire, publiée par le « Journal officiel » du 7 mai 1963, est toujours
en vigueur et n'a soulevé aucune protestation : les médias n'ont pas
relevé d'infamie et les associations dites humanitaires sont restées de
marbre. Pourtant, quand il s'est agi de sortir des griffes palestiniennes
trois otages français détenus au Liban, en a donné de la voix dans toutes
les sphères de la société.
En résumé, la
question qu'il nous faut poser sans trêve ni répit à nos gouvernants est la
suivante : «Ou bien Certains sont encore vivants et le gouvernement
a le devoir d'obtenir qu'ils soient relâchés (ou du moins doit-il avouer
Publiquement qu'il connaît leur existence et mettre l'Algérie au banc
d'infamie comme on l'a fait Pour les Preneurs d'otages au Liban) ou bien ces
Français ont tous été massacrés, mais alors le gouvernement français doit
exiger du gouvernement algérien un aveu public : il s'agit de crime contre
l'Humanité et on sait 'il sont imprescriptibles »
En conséquence, il
faut à tout prix rompre le silence ; c'est à nous tous de réclamer que la
lumière soit faite sur ces tragédies et de dénoncer ceux qui manquèrent si
gravement à leur devoir.
Si lourde, si
dure soit-elle, la vérité nous est due. Nous avons le droit, nous avons le
devoir de la réclamer inlassablement.
J0SE CASTANO
(*)issue de la
publication « Ecrits de Paris » Novembre 1990
(*) Auteur d'un ouvrage sur ce douloureux dossier :
« Afin que nul n'oublie ».
José CASTANO, BP 25 bis, 34471 Pérols Cedex.
M. Castano a
également fait de nombreuses conférences
sur ce thème et sur l’Islam et le terrorisme.
Genève, le 28 septembre 1989
DDM/RECH 89/265 FT/av
Monsieur
Nous vous remercions de votre lettre du 8 septembre 1989
concernant les Français disparus en Algérie lors de l'accession de ce pays
à l'indépendance en 1962.
Le CICR a accepté, à la demande des gouvernements français et,
algérien, une mission spéciale en Algérie pour enquêter sur le sort de
personnes disparues après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Dans le
contexte de cette mission, nos délégués se sont efforcée, de mars à
septembre 1963, d'élucider quelque 1200 cas de disparitions dont le
CICR a été saisi.
Ces recherches furent extrêmement difficiles du fait notamment
qu'elles étaient entreprises prés d'un an après les événements au
cours desquels les disparitions avaient eu lieu.
Les délégués conduisirent leurs investigations dans tout le pays,
questionnant, les autorités locales, les fonctionnaires de police, les
parents, les voisins et les témoins des événements entourant les
disparitions. Ils ont en outre procédé à une visite systématique des
établissements pénitentiaires et autres lieux de détention.
Les résultats de ces recherches, traitées par cas individuels, ont été
communiqués aux gouvernements intéressés, seuls habilités à en
transmettre le contenu et à informer les familles.
A notre connaissance, des données statistiques ont été publiées dans le
Journal officiel de la République française, séances du Sénat, deux
séances du 5 novembre 1963, page 2259.
Monsieur José CASTANO
B.P. 25 Bis
34471 - PEROLS Cedex
Paris, le 3 novembre 1989.
Vous nous interrogez sur ce que Amnesty International a fait au sujet des
disparus français pendant la guerre d'Algérie.
La réponse est très simple :
Amnesty International n'a commencé à exister qu'en.1961 et était pendant
ses premières années d'existence une très petite et faible organisation
animée par quelques bénévoles.
Même si l'organisation avait disposé à l'époque des moyens qui sont les
siens à présent, elle n'aurait pas pu agir efficacement au sujet de la
disparition de personnes au cours d'un conflit armé tel que la guerre
d'Algérie. Seul le Comité International de la Croix Rouge aurait pu essayer
de le faire : c'est en fait une fonction qui lui est confiée officiellement
par les Conventions de Genève !
Certes Amnesty International s'occupe de "disparitions", telles
qu'on les constate aujourd'hui dans un certain nombre de pays ; mais ce sont
des "disparitions" entre guillemets, c'est-à-dire, la plupart du
temps des exécutions extra-judiciaires qui servent a éliminer des opposants
sans avoir à les juger.
La responsabilité de ces actes incombe aux gouvernements des pays où ces
fait ont lieu. L'action d'A.I. s'appuie dans ces cas sur des témoignages
crédibles par exemple lorsqu'une personne a été vue aux mains de la police
et que celle ci nie ensuite l'avoir arrêtée. Il s'agit de ce que la
Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies appelle : "disparitions
forcées ou involontaires.
Vous comprendrez que les disparitions au cours de la guerre d'Algérie se
placent sur un tout autre plan et qu’Amnesty ne dispose d'aucun moyen de
les tirer au clair.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de ,nos sentiments les meilleurs.
Signé Michel FORST