La Cendre Et La Braise
de
Gérard LEHMANN
Editions SDE
147-149, rue Saint Honoré 75001 Paris
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(Moralité et personnalité
du
général de brigade à titre provisoire
Charles De Gaulle )
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Le projet gaulliste: continuité et rupture
p.35-36-37-42-227-229 à 231
« A quelle
hécatombe condamnerions-nous ce pays
si nous étions encore assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ! »
(De
Gaulle,
conférence de presse du 23-10-58)
La
continuité du projet gaulliste s'inscrit dans une conception de la France et de
l'État. Mystique pour la France et jacobine pour l'Etat. Pour l'homme, portée
par un goût du pouvoir autoritaire que la nécessité colore de césarisme; pour
ses partisans, forgée dans une fidélité inconditionnelle à l'homme. Cette
continuité a sa source dans des textes fondateurs : l'appel du 18 juin, le
discours de Bayeux, dans la constitution d'un parti, le R.P.F., et d'un
vaste réseau animé par des hommes clés, que nous retrouverons avec constance
pendant plusieurs décennies, et qui, depuis son départ en 1946, préparent
opiniâtrement le retour du général aux affaires.
La
continuité impose à la Libération l'idée que l'intermède de l'Etat français n'a
aucune existence juridique, que ses décrets et ses lois sont frappés de nullité.
La
continuité s'élève à une dimension morale et mystique, comme une vision, comme
une essence.
La
continuité se définit ainsi dans le discours de Brazzaville (1944) par ces mots:
Les
fins de l'œuvre de civilisation accomplie par la France écartent
toute idée d'autonomie, toute idée d'évolution hors du bloc
français de l’Empire. La Constitution même de « self-government » dans les
colonies
est à écarter.
Alors
qu'on ne mette pas dans le discours de Brazzaville, comme des historiens
hypermétropes aiment le faire, un contenu autre que le sien !
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p.227
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La différence est que le résistantialisme, pour pouvoir gommer
Vichy et évacuer la collaboration d'État, fait intervenir, comme Rousso
l'explique très bien dans Le syndrome de Vichy (p. 259) « l'âme de la
France ». dont le Héros est l'incarnation – on n’est jamais si bien servi que
par soi-même -, impliquant ainsi une mystique digne de Michelet.
L'histoire propose, le mythe dispose!
L'interprétation gaullienne a une fonction de refoulement de la mémoire, de
travestissement de l'histoire et d'élaboration mythique.
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p.229
De Gaulle
écrira dans ses Mémoires de guerre:
C'est
Alger, capitale de l'Empire et de la France combattante, qui fit la
démonstration de la renaissance de l’Etat et de l'unité nationale recouvrée
(Mémoires,
tome II, 1942-1944).
L'accession De Gaulle au pouvoir à Alger à un moment où il rassemble les
forces de la Résistance en métropole se fait au détriment du général Giraud
et dans le sillage de luttes d'influence entre les États-Unis et la
Grande-Bretagne, mais correspond parfaitement aux conceptions politiques du
premier dans les années trente : seules des figures charismatiques peuvent
relayer la médiocrité des notables et éviter l'abandon des principes
républicains au profit de dictatures.
Ici, ce n'est pas l'oubli qui est le prix de la défaite.
L'armée d'Afrique est coupable d'avoir manifesté que l’on pouvait
être patriote et se sacrifier pour la France sans être gaulliste ou communiste,
sans avoir choisi un autre camp que celui de la France.
Et
pour commencer, il ne pourrait être question de reconnaître que la campagne de
Tunisie s'est faite sous l'autorité du général Giraud, celle d'Italie
sous le commandement du général Juin, que l'armée
d'Afrique n'était pas gaulliste,
mais plutôt giraudiste
et que
de toute façon elle n'entendait pas prendre partie dans ce que Daniel Leconte
appelle à juste titre des grenouillages politiques... (p. 152) ; ce
dernier ne rappelle-t-il pas que
la radio de Londres parle assez peu de Juin et de ses hommes
(p. 153) ?
De Gaulle
n'est-il pas alors un diviseur et un magouilleur plutôt qu'un rassembleur ?
Et cette
Histoire ne met-elle
pas en péril ce mythe de l'unité dont l'homme se prétend l'incarnation ?
p.230-231
En vérité, ici Giraud, le général évadé, est le soldat, et
De Gaulle l'habile manœuvrier politique. Sur les fronts, De Gaulle
se promène en touriste et distribue des décorations, de Lattre de Tassigny
nous en instruit minutieusement dans son ouvrage sur la Première Armée
française. Plus utilement, à Paris, De Gaulle préserve, face au
commandement allié, les ambitions de la Première Armée française au cours des
offensives de France et d'Allemagne, et a tout aussi utilement soin de prévenir
les risques d'un totalitarisme stalinien se glissant dans la foulée de la
Libération.
Les
historiens ont-ils enfin mis un terme au mythe gaullien ? Rien n'est moins sûr.
On en trouvera une preuve supplémentaire, si tel en était le besoin, dans
l'ouvrage de près de mille pages : La France Libre - De
l'appel du 18 juin
à la
Libération
de
Jean-Louis Crémieux-Brilhac
(Gallimard, Paris 1996) cité plus haut. L'auteur nous précise soigneusement le
pourquoi d'une occultation:
Autrement importantes en nombre sont les forces de l'« Armée B » bientôt
rebaptisée
1ère
Armée française qui débarquent à partir du 15 août 1944 sur le rivage
méditerranéen sous le commandement de de Lattre. L'éclat de
la 2e D.B. fait pâlir leurs succès, de même que
l'auréole de Leclerc, libérateur de Paris, éclipse le prestige de de
Lattre; n’en doutons pas
(c'est
moi qui souligne)
cette promotion dans les hiérarchies
de la mémoire répondait
au vœu de de Gaulle.
Lorsqu’en décembre 1943 il avait donné Paris comme objectif à Leclerc: il
revenait à son premier compagnon, au plus sûr dépositaire de sa pensée depuis
1940, à l'homme du Tchad, de couronner la légende dorée de la France Libre.
On
serait en droit de se demander si Crémieux-Brilhac,
dans un ouvrage aussi volumineux que bien documenté, quand il écrit
l'histoire, et
alors qu'il reconnaît la part de légende
dorée qui
concourt au travestissement gaullien, va rétablir l'équilibre.
Certainement pas ! deux pages, sur près de mille, suffiront amplement,
pour l'épopée
de la Première Armée française, d'Alger au Rhin et la campagne de Tunisie est
passée sous silence ; mais pour ce qui est de Leclerc, en revanche, plus
de vingt pages lui sont consacrées (pp. 483-504) ; la même disproportion se
retrouve dans le paragraphe consacré à la préparation au combat et intitulé
Juin, Leclerc, de Lattre,
chefs militaires de la Libération
(pp. 636-638). C'est ainsi qu'un «
historien », cinquante ans après les faits dont il est question,
perpétue un mythe, faisant de l'armée d'Afrique un détail de
l'histoire de la seconde guerre mondiale.
Antoine Argoud
(La
décadence, l'imposture, la tragédie,
Paris
Fayard
1974) rappelle:
Le 18
juin 1945> lors du défilé anniversaire de l'appel de Londres, il (De Gaulle)
réduit les unités de la Première Armée à la portion congrue, derrière
celle de la 2' D. B.
Pour
faciliter l'opération, de Lattre est convié à la tribune officielle et
relégué à une place subalterne. Devant cet affront, il refuse d'assister à la
cérémonie et repart pour l'Allemagne. Quelques semaines plus tard, il est relevé
de son commandement et remplacé par Koenig. Il est contraint d'attendre
cinq mois un nouveau poste
(p.
70).
De Gaulle
ne se donnera pas la peine d'assister aux obsèques du Maréchal Leclerc ni
à celles de de Lattre de Tassigny.
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