A LA
SAISON DU RAISIN ON VENDANGE
A LA SAISON DES ÉLECTIONS ON VIDANGE
ALORS VIDENGEANT
! |
Partie 7
Extrait du livre d'
Eva JOLY
Mais c'est la France
Madame !
Vous avez voulu changer la France, mais c'est impossible..."
La culture de la
"barbouzerie", mise en place par De Gaulle, dès la période 40-45, n'en
finit pas de porter ses fruits. Tout est verrouillé. Confer l'affaire Emile
Louis où le gendarme qui avait découvert le pot-aux-roses, a subi les pires
ennuis. A présent , ce matin, 16 Juin, c'est le gendarme qui a soulevé
l'Affaire Alègre qui est mis doucement sur la touche, d'après la radio
elle-même.
Soyez tranquilles ! Si le
non-lieu est impossible, il y aura prescription, et si celle ci est impossible,
l'amnistie jouera.
From: SOS JUSTICE
Sent: Monday, June 16,
2003 1:09 AM
Subject: Extrait du livre d' Eva JOLY
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Original Message -----
La
juge
Eva Joly
"Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?", à paraître le 19 juin aux
Editions des Arènes
"EXTRAITS "
Dans les derniers mois du dossier Elf, ma résistance ne tenait plus qu'à
un fil. Si elle n'a pas lâché, si je suis sortie sauve d'une instruction sous
haute tension que j'ai pu mener jusqu'à son terme, je n'en suis pas quitte pour
autant. Ce que j'ai vu et compris me donne des responsabilités vis-à-vis de mes
contemporains. (...)
Les hommes du pétrole baignent dans un monde où les usages ne sont pas tout à
fait les nôtres. Ainsi, cet ancien directeur de raffinerie, salarié d'Elf,
qui a longtemps travaillé dans des zones hostiles, au caractère bien trempé,
solide comme un roc. Un jour, il me parle incidemment d'une lettre confiée à son
avocat plusieurs mois avant le début de l'instruction, dans laquelle il explique
que, s'il lui arrive un jour un accident, ce sera un assassinat. Je lis la
lettre : elle désigne ses propres dirigeants comme les commanditaires
potentiels.
Voilà comment ces hommes vivent. (...)
Un
soir, après l'audition d'un ingénieur d'Elf, je me rends compte que les
nuages se sont accumulés au-dessus de ma tête. Durant sa carrière, cet homme a
résisté à ses supérieurs et refusé d'exécuter des ordres qui lui paraissaient
illégitimes. Il en a accepté les conséquences, inévitables dans son univers :
avertissements anonymes, rumeurs de déstabilisation, menaces de mort directes.
L'audition se termine. Je reste seule quelques instants. Comme pour m'occuper
les mains, songeuse, je rassemble des papiers épars sur mon bureau. Soudain, mon
témoin frappe de nouveau à la porte. J'esquisse un geste de surprise. Aussitôt,
un index sur la bouche, il me fait signe de ne pas réagir. Il prend un papier
sur mon bureau et griffonne : "Attention ! J'ai identifié des gens d'Elf
sur le trottoir."
Un
regard de quelques secondes, puis il repart. Je comprends au quart de tour ce
qui se passe. Cet homme connaît la musique. Il n'est pas devenu cadre dirigeant
en se contentant de traverser, chaque matin, le pont de Neuilly vers la tour
Elf de la Défense en sifflotant. Il connaît le dessous des cartes. Il sait
ce qu'il fait. Par son geste, je comprends qu'il m'indique que mon bureau n'est
pas sûr. Et que mon travail est sans doute sous surveillance. (...)
Avec ce petit papier griffonné, je connais ma première inquiétude. (...)
Comparée à ce que j'ai vécu ensuite, la peur que j'ai connue ce jour-là me
paraît disproportionnée. Mais en la matière, il n'y a pas d'échelle de
Richter. Le trouble se constate, c'est tout. Le soir, la tête collée à la
vitre du train de banlieue qui me ramène chez moi, les événements
s'entrechoquent. Je fais la part des choses, en remettant les différentes pièces
du puzzle à leur place. Et je prends la décision de continuer à vivre comme
avant, sans laisser la peur entrer dans ma vie.
Si
j'avais été dominée par mon trouble, j'aurais pu clore discrètement
l'instruction, sans faire de vague. Personne n'en aurait rien su. Quand je vois
l'opprobre que j'ai dû affronter ensuite, en plus d'avoir risqué ma vie, quand
je mesure le prix qu'il nous a, à tous, fallu payer, je me demande si le jeu en
valait la chandelle. Mais "j'aurais pu", "j'aurais dû" sont des
expressions que je n'aime pas. Le français est une langue qui joue avec
l'incertitude des sentiments. Il cultive le conditionnel ou le futur antérieur,
ces subtilités nationales. Je suis plus prosaïque, plus concrète, plus
norvégienne au fond. Il n'est pas question de me laisser intimider. J'étais un
souci ? Je deviens un danger. (...)
Un
matin, en arrivant au travail, je trouve un petit bristol vert. Il est coincé
dans l'enveloppe en plastique transparente collée sur la porte de mon bureau
126, dans laquelle on glisse habituellement un carton d'avertissement afin
d'éviter toute visite intempestive dans le cabinet d'instruction lors des
interrogatoires. Mais le bristol n'est pas réglementaire. Je déchiffre une liste
de noms griffonnée au crayon dont je ne connais que le premier : celui du juge
Renaud (un des fondateurs du Syndicat de la magistrature, il a été
exécuté en pleine rue par une équipe de trois tueurs, dans la nuit du 2 au 3
juillet 1975). J'arrive en seconde position. Les autres noms,
m'apprendra-t-on ensuite, sont ceux de magistrats français tués depuis la
guerre. Tous sont barrés sauf le mien. (...)
Un
soir - il fait très chaud -, un homme me suit depuis le quai de la gare. Il est
large d'épaules. Ce n'est pas un de ces paumés que l'on rencontre parfois dans
les trains de banlieue et qui vous approchent d'un peu trop près. Il ressemble
plutôt à un sportif de haut niveau. Il me fixe durement. Pour la première fois,
j'ai vraiment peur. Arrivée à ma station. Je descends. Lui aussi. Je presse le
pas. Il allonge le sien, puis me laisse brutalement prendre du champ.
Les jours suivants, des habitants de mon village nous font part d'un étrange
va-et-vient de voitures. Plusieurs correspondants appellent à mon domicile et
raccrochent immédiatement. L'engrenage du soupçon est inéluctable. (...) Le 5
juin 1996, des voisins m'alertent : trois véhicules se sont relayés devant notre
domicile, restant plusieurs heures à l'arrêt comme si leurs occupants
attendaient quelque chose. Par sécurité, je fais vérifier le numéro
d'immatriculation d'un des véhicules que la femme de ménage a noté. Le 11 juin,
une autre voiture rôde ostensiblement devant notre maison, passant et repassant
au ralenti en un ballet régulier pendant plusieurs heures. Un familier peut
noter son numéro d'immatriculation et son modèle. Je le transmets à la
gendarmerie, qui me fait remarquer que les deux numéros sont identiques : celui
relevé le 5 juin et celui du matin. Les deux véhicules, pourtant de couleurs
distinctes, circulaient avec la même plaque d'immatriculation, évidemment
fausse.
Le
même jour, le procureur adjoint me convoque dans son bureau. Même s'il garde son
élégance habituelle et la maîtrise de son comportement, je m'aperçois que son
oeil noir est plus brillant qu'à l'accoutumée et je perçois un léger tremblement
dans sa voix.
"Un ami de longue date a demandé à me voir. j'ai toute confiance en lui. Il m'a
averti que vous étiez en danger. En vrai danger. Imminent.
-
Est-ce que vous pouvez me dire qui c'est ?
-
A condition que vous juriez de ne jamais le répéter
-
Je le jure."
Lorsque j'entends son nom, je comprends que l'affaire est sérieuse. (...) Le
procureur adjoint me suggère de demander une protection policière. J'hésite.
(...)
La
protection durera six ans.
Du jour au lendemain, je suis privée de territoire intime. Je ne peux aller
nulle part sans une voiture et deux gardes du corps au minimum, parfois
davantage dans les périodes critiques. En quelques semaines, la carte complète
de mes relations est entre les mains de la police. Plus de rendez-vous dans des
cafés. Plus de lèche-vitrines pour le plaisir. Plus de secrets. Plus de
respirations. Je vis sous l’œil d'autrui.
Les premiers temps, la protection est ultra-rapprochée, 24 heures sur 24. Les
policiers posent leur arme sur la table du salon, veillent dans la pièce
attenante à ma chambre. (...) Alors que, logiquement, l'institution devrait
faire corps et protéger l'une des siens, menacée dans sa tâche, au palais de
justice ma situation atypique provoque bruits de couloir et bruissements de
cafards : "Vous avez vu ce cinéma !" Personne ne prend la peine de réunir
mes collègues pour leur expliquer en quelques phrases le sens de cette
contrainte. L'administration est un corps indifférent à tout, sauf à sa
propre tranquillité. Le fantasme l'emporte sur la raison. Quoi ? Un juge de
base transporté aux quatre coins de Paris aux frais de l'Etat, qui se voit
offrir deux cerbères qui le devancent dans l'ascenseur ou dans son cabinet
d'instruction ! (...) Paradoxalement, cette protection devient un privilège aux
yeux d'autrui ! J'apparais comme une princesse avec deux valets. (...)
Au
bout de quelques mois, je demanderai d'ailleurs officiellement l'arrêt de cette
surveillance. Cette demande sera refusée. La direction de la police renforcera
même quelque temps le dispositif en doublant ses effectifs (de deux à quatre
policiers) et en ajoutant une escorte moto, avant de revenir plus tard au régime
antérieur. J'affronte le regard hostile de mes collègues du palais de justice,
parce que je n'ai pas le choix. Pas un mot de sympathie, pas un battement de
cils de la part de magistrats que je côtoie depuis des années. Dans les
couloirs, on m'oppose souvent une indifférence hautaine. Intérieurement, je suis
blessée par cette attitude. Mais je me rends compte que cette hostilité n'est
pas dirigée contre moi : elle est aussi une manière de refuser la réalité de
l'affaire Elf. (...)
Comme le danger peut venir de partout, il nous rend méfiants face à toute
intrusion extérieure. Je prends l'habitude de remplir une sorte de carnet de
bord, pour garder une trace de l'enchaînement des faits. Nous ne parlons plus au
téléphone que par sous-entendus ou onomatopées qu'il faut décoder. Les heures
qui encadrent chaque audition importante s'écoulent sous haute tension, dans la
crainte d'une fuite ou d'une manipulation. Les intimidations ne s'estompent pas.
Au lendemain d'une perquisition dans les bureaux d'un avocat, le greffier trouve
la lampe de mon bureau renversée et dévissée et le cache-fil du téléphone
ostensiblement déboîté. Il s'agit de nous montrer qu'aucun sanctuaire n'existe
et que mon cabinet d'instruction est ouvert au premier passe muraille venu. Plus
tard, c'est la clé de mon appartement qui tourne dans le vide. La serrure, une
fois de plus, a été forcée. A chaque incident, j'ai l'impression fugace d'être
une proie entre les mains d'un rapace invisible. (...)
Au
printemps 1998, un nouvel incident nous permet de déterminer de manière certaine
que nos lignes téléphoniques sont manipulées. Un matin, le commissaire de la
brigade financière nous alerte. Depuis plusieurs heures, il essaie vainement de
nous faxer un document urgent de plusieurs pages. La communication se perd en
route d'une manière qui lui semble étrange. De fait, deux bureaux plus loin la
télécopie passe sans encombre.
Nous commençons dès lors à surveiller les humeurs du fax, qui met parfois plus
d'un quart d'heure à recevoir une télécopie. Lorsque nous changeons l'appareil
de ligne téléphonique, il se met à fonctionner correctement. Mais dans notre
bureau il a ses caprices et ses mystères. Nous appelons un technicien en
renfort. Après vérification, celui-ci nous assure que notre matériel est en
parfait état, si ce n'est "un problème d'interférences". Il ajoute sur son
rapport d'intervention : "Site sensible, faire vérifier la ligne."Notre
lettre d'incident au président du tribunal rencontre le même silence agacé que
les précédentes.
Le
téléphone devient rapidement un mode de communication sommaire, réduit aux
échanges sans conséquences. Au lieu d'être un allié, il encombre. Les moyens
d'écoute sont aujourd'hui d'une sophistication qui relègue les instruments de
James Bond au rang d'antiquités désuètes. Avec Laurence Vichnievsky, nous
intégrons rapidement l'idée que quelques hommes bien placés peuvent suivre nos
travaux à ciel ouvert.
La
preuve définitive nous en est fournie en mars 1998, lors d'un interrogatoire d'André
Tarallo. Soudain, Laurence Vichnievsky fait irruption dans mon bureau
et m'attire à l'extérieur - ce qui n'arrive jamais au cours d'actes de procédure
aussi importants. Elle me conduit dans son cabinet et me passe, au téléphone, la
présidente de la chambre d'accusation.
Un
quart d'heure plus tôt, celle-ci a essayé de me joindre. Mon téléphone n'a pas
sonné, mais elle a eu la surprise... d'entendre en direct l'audition du
PDG d'Elf-Gabon.
Mon téléphone est devenu micro clandestin, utilisable en composant simplement
mon numéro interne. Je dresse un procès-verbal d'incident à destination de mes
supérieurs. Aussitôt, la rumeur court les couloirs que je suis devenue
paranoïaque ou mythomane... (...) Ainsi en est-il parfois de nos journées :
passer notre temps à prouver que nous ne sommes pas folles, pendant que des
violations aussi graves de la loi - telles qu'enregistrer le contenu d'un
interrogatoire ou placer un magistrat sur écoute - ne mobilisent que nous-mêmes
et ne troublent personne au sein de la hiérarchie judiciaire. (...)
Lorsque, au palais de justice, j'obtiens un verrou supplémentaire pour mon
bureau, dérisoire digue de sable face à la marée qui monte, nous décidons, avec
mon greffier et l'assistante qui nous épaule, de faire le ménage à tour de rôle.
J'achète un aspirateur et nous nous transformons, le soir, en homme et femmes de
ménage pour éviter les visites importunes sous couvert de nettoyage des locaux.
Jusqu'au jour où je découvre que, par négligence, un double de la clé du verrou
pend tranquillement sur le tableau, avec la petite étiquette de notre bureau,
dans un secrétariat ouvert à tout vent ! (...)
Un
soir, je rencontre un avocat avec lequel j'entretiens des rapports d'estime
mutuelle. Nous prenons un verre dans un café. Il me raconte les dernières
nouvelles du palais, les combinazione, l'arrogance des réseaux, les accords
dérisoires et les grandes tractations qui font son quotidien. J'écarquille les
yeux. Il se met à rire de plus en plus fort.
"Mais c'est la France, Madame ! Vous avez voulu changer la France, mais c'est
impossible..."
Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?
Editions des Arènes, 330 pages. 19,90 euros.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.06.03
Recueilli pour le Site par
Monrose
ET PENDANT CE TEMPS LA, LA MOINDRE
CANICULE
FAIT EN FRANCE PLUS DE 5000 MORTS
EN QUELQUES JOURS FAUTE D'ARGENT ET DE SOINS !
août
2003
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