|
LE TEMPS DES COMPLOTS
LE
CRAPOUILLOT N°109-mai -juin 1992-page 49-Chapitre X
Recueilli par Sivéra
|
Du coup de bazooka au coup de Jarnac
En fait, ce qu'on a pu appeler « le temps des complots » a
connu un coup d'envoi fracassant et meurtrier le 16 janvier 1957. Ce jour-là,
vers 19 heures, un coup de bazooka ravage les bureaux de l'hôtel de
commandement de la rue d'Isly à Alger. Le général d'armée Raoul Salan,
nouveau commandant supérieur Interarmées en Algérie, cible évidente de cet
attentat, vient juste de quitter les locaux, mais un officier de son cabinet,
le commandant Rodier, est tué sur le coup.
De cet, attentat, on connut très vite les exécutants et l'on n'eut aucun
mal à deviner les Inspirateurs, mais il demeure impossible de faire état de
certaines responsabilités pourtant connues de tous les spécialistes.
Bornons-nous à citer ce que le général Salan
lui-même devait en dire, quinze ans plus tard, dans ses Mémoires:
Un malentendu de près de deux mètres.
« Le complot du bazooka avait pour origine un groupe
politique derrière lequel se profilait la haute et énigmatique silhouette du
général de Gaulle, et qui gravitait autour de M. Michel Debré
et de ses amis. »
Alors sénateur gaulliste, M. Debré était, en
France métropolitaine, le chantre le plus véhément de l'Algérie française,
justifiant par avance dans son journal, "Le Courrier de la Colère",
le recours éventuel à l'insurrection armée au cas où les départements
algériens seraient menacés d'abandon.
Or, aux yeux de celui qui devait, ultérieurement,
suivre aveuglément et jusqu'au bout la politique de remise de l'Algérie au
FLN suivie par son gourou, le général de Gaulle, le plan Lacoste
semblait, à l'époque, porteur des germes de l'abandon. Cette opinion était
d'ailleurs partagée par une bonne partie des Français d'Algérie. Rarement
période fut plus lourde de malentendus - et de malentendus particulièrement
coûteux.
L'un de ces malentendus tournait autour de la
personnalité même du général Salan. Dans notre malheureux pays où,
surtout chez les politiciens, le commérage tient souvent lieu d'information,
les réputations chuchotées ont plus de poids que les faits. Le
bouche-à-oreille, judicieusement entretenu par les gaullistes, faisait
de Raoul Salan, malgré l'un des passés militaires les plus glorieux
de l'Armée française, un général « républicain » penchant à gauche,
lié, assurait-on, à la Franc-Maçonnerie - fumeur d'opium à ses moments
perdus, assuraient les mieux informés - et portant donc en lui toutes les
caractéristiques du futur « bradeur ».
L'honneur des capitaines
Inutile d'insister sur la formidable Injustice commise
à l'égard de celui qui, à l'heure la plus sombre, devait aller jusqu'au
bout du combat, et dont Le Monde allait être contraint, lors de son
procès, de rendre hommage à "la conception romaine de l'Empire
français ".
Avec le cas Salan, nous approchons de l'une des vérités
essentielles de cette guerre
d'Algérie :
elle fut l'un des rares conflits de notre Histoire où les militaires furent
constamment plus intelligents que les civils. Plus Intelligents et surtout
plus humains.
Il y eut, certes, la proportion obligée de ganaches, d'échappés de
Courteline et de ronds-de-cuir craintifs, mais, sur le terrain, ne tarda pas
à dominer une race d'officiers, de sous-officiers et même d'hommes de troupe
qui avaient fait de ce combat leur affaire. Le fait que nombre de capitaines,
de lieutenants et de sous-officiers supérieurs avaient vécu - venaient de
vivre - la « guerre tordue » et l'immense chagrin d'amour
d'Indochine fut l'un des éléments déterminants dans cette véritable
appropriation de la guerre de la pacification et du pays par des militaires
qu'on avait vite contraints à faire, eux aussi, de la politique. Mais une
politique qui n'était déjà plus celle des politiques, qui était de plus en
plus celle de l'Algérie, de leur Algérie.
Si réellement« chercher à comprendre , c'est commencer à désobéir
»,un bon tiers de l'Armée française s'est trouvé en état de
désobéissance permanente en Algérie, de fin 1956 à 1961. Cet état
d'esprit tenait compte à la fois de la défaite du FLN sur le terrain et,
devant l'annulation de cette défaite militaire par la politique, du rôle
joué dans l'OAS par certains des meilleurs officiers de l'Armée française.
Mais, à Paris comme à Alger, les politiciens on vient de le voir, ne
désarmaient pas. Pour certains d'entre eux, l'Algérie était une occasion à
ne pas manquer : celle d'arracher le pouvoir à une Quatrième République qui
avait eu ses mérites - notamment celui de la reconstruction et du
rééquipement de la France ? mais qui, travaillée par les crises
gouvernementales, incapable de politiques suivies et privée de la confiance
populaire, était à bout de souffle.
Cette occasion survient le 13 mai 1958, à la suite d'une manifestation de la
population algéroise Indignée par l'exécution de trois soldats français
par le FLN. La foule envahit le Gouvernement Général. L'Armée, d'abord un
peu réticente, se montre bienveillante, puis complice. Un Comité de salut
public présidé par le général Massu est mis en place.
A Paris, où les complots, sérieux ou moins sérieux, fleurissent de toutes
parts, la Quatrième République se défend à peine.
A Alger, le 15 mai, le général Salan a lancé le nom du général de
Gaulle, qu'on lui a soufflé de façon pressante. Gagné ! Ce sera
le général de Gaulle.
A la fin du mois, le président de la République René Coty se décide
à faire appel à lui. Le 1er juin, l'Assemblée entérine par 329 voix
contre 224 sa nomination à la tête du gouvernement, avec pouvoirs
spéciaux pour la réforme de l'État.
En Algérie, cependant, c'est la liesse. Chez les civils, chez les militaires,
chez la majorité des musulmans. Dans les grandes fêtes de la fraternisation,
tout le monde se retrouve soudain sur un grand thème commun : l'intégration.
Tout le monde, sauf le général de
Gaulle.
Celui-ci, bien sûr, ne le précise pas encore. Lors de son voyage en Algérie,
au début du mois de juin, devant d'immenses foules qui partout l'acclament,
Il affirme même le contraire. Il se laisse même aller jusqu'à dépasser les
propos ubuesques et volontairement sibyllins dont il a l'habitude - « Je
vous ai compris », « Je
vois ce que vous avez voulu faire Ici »
- pour crier « Vive
l'Algérie française ».
Un moment de faiblesse. Faute de pouvoir envisager que cela ait pu être
l'émotion, on se dit que ce dut être la chaleur.
Car tout le monde a cru au 13 mal, à l'exception d'un homme. celui-là.
J. B.
|
|
|