L’EXODE
Par Jean-Pierre Angelelli
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Recueilli dans “MÉMOIRE LA VOIX DU
COMBATTANT”
n° 1673 mars 2002 Algérie : janvier - septembre 1962 –
EXTRAIT
L'EXODE...
Tandis que tous ces événements
se déroulent, dès le mois d'avril et plus massivement en mai et juin, les
Européens d'Algérie ont afflué en nombre vers les ports et les aéroports,
pour fuir... A la grande surprise des autorités qui s'attendaient bien à un
certain nombre de départs (il en avait été prévu 400 000 sur quatre ans
!). Elles seront, très vite, débordées. Pourquoi cet exode dont la télévision
montrera, à l'occasion, des images pénibles et douloureuses : des familles entières entassées des heures sous le
soleil et surveillées avant de bénéficier de moyens de transport
insuffisants ? Il y aura même, en juin, une grève maritime lancée par la
CGT.
L'explication officielle en rend
l'OAS responsable, alors que l'OAS; avait jusque-là essayé d'empêcher ces départs
qui la privait de son vivier. En réalité, les Européens savent ce qui se
passe dans le pays, craignent des représailles ou une guerre civile après
l'indépendance (ce qui sera) et n'ont aucune confiance dans les garanties d'Evian.
Ils pensent dans leur immense majorité qu'ils
ont été sacrifiés par le général De Gaulle qu'ils haissent.
Il y a un abîme d'incompréhension
de chaque côté de la Médîterranée. On sait aussi maintenant que certains
clans du FLN ne voulaient pas du maintien d'une forte communauté européenne
en Algérie. Incarnant le colonialisme et ayant des connaissances et des amitiés
chez les Musulmans. Ils
auraient su beaucoup trop de choses.
Grâce à Alain Peyrefitte
(C'était De Gaulle) les propos tenus au Conseil des Ministres dans les
mois dramatiques (de mars à l'été 62) nous sont connus : ils
sont attristants.
L'exode est d'abord obstinément nié. Ce sont des vacanciers
qui ont anticipé leurs voyages en France, affirme Robert Boulin secrétaire
d'Etat aux rapatriés (De Gaulle dit plus justement les
repliés). Ils repartiront à la fin de l'été...
Pour Louis Joxe, il faut les contrôler car ils sont certainement
manipulés par l'OAS. Quand il commence à se confirmer que le flux est irréversible
il est décidé, d'empêcher
les arrivants de se regrouper
-surtout dans le Midi- de menacer les fonctionnaires de sanctions s'ils ne
veulent pas retourner en Algérie. Le Premier ministre, sans doute mieux
informé que ses collègues, demandera même ironiquement s'il s'agit
de rapatriés ou de déportés.
Au moins jusqu'à l'été 62, les
mesures d'accueil, notamment, à Marseille, furent très insuffisantes.
Sauf sur le plan policier.
Des initiatives plus privées que publiques essayèrent difficilement de
pallier à la situation. Plus tard, De Gaulle, ulcéré par ces retours
qui sapaient sa politique, se laissa aller, devant Peyrefitte, à des attaques violentes contre les pieds noirs
(il disait les
colons)
«responsables de leurs,
malheurs». En 1964,. il aura des paroles plus humaines, encore qu'il
ait affirmé que la décolonisation
algérienne s'était
faite dans de bonnes conditions «en une année, un million de Français établis dans ce pays ont
été rapatriés sans heurt, sans drame et sans douleur et intégrés dans
notre unité nationale» (6 juin 64). Il y a à dire sur cette intégration
qui aurait été plus facile s'.il y avait eu -en même temps et la facilitant-
l'indemnisation des biens perdus. Jusqu'à ce qu'elle soit enfin votée sous
le septennat de Giscard d'Estaing, elle fut constamment retardée sous divers
prétextes. Jusqu'au départ de De Gaulle, il n'y aura pas de réconciliation
entre lui et la communauté rapatriée, dont 1962 marque la fin d'une histoire
à la fois,, difficile, glorieuse et amère.
Les témoins encore restants et
leurs descendants luttent, quarante ans après, pour défendre, un
-passé calomnié ou caricaturé. A noter que, fin 62, il y a en Algérie
120 à 150 000 nationaux français. Des pieds noirs qui espèrent rester et
des coopérants, souvent de gauche ou d'extrême gauche (les
pieds rouges) qui croient dans l'Algérie révolutionnaire. Leur nombre va
diminuer rapidement. Les premier seront chassés par la politique Ben
Belliste de tracasseries, confiscations et nationalisations. Les autres
seront victimes de l'ostracisme du FLN qui se méfie (même ceux -comme Hervé
Bourges- qui avaient pris la nationalité algérienne).
Jean-Pierre Angelelli
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