«Agonie
d’Oran»
de Geneviève de TERNANT
(éditions J.Gandini - Calvisson) (P.
94 et suivantes tome 3)
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TÉMOIGNAGE DE
Monsieur J.Henry FOURCADE
Le témoin était en 1962 juge d'instruction au
Tribunal de Grande Instance d'Oran et Président du Tribunal Militaire de
Colomb-Béchar.
"En ce mois de juin 1962, la population d'Oran
désabusée et soumise à l'inquisition permanente et meurtrière prépare
son déménagement qu'elle pressent devoir être définitif. Dans la
dernière quinzaine de juin, des camions de l'armée munis de haut-parleurs
parcourent les rues de la ville et des faubourgs pour rassurer la population
et lui affirmer que l'armée restera pendant trois ans pour assurer
la sécurité des personnes et des biens.
Des fenêtres, on entend monter les cris de "menteurs".
L'épouse du commandant Olivier, de l'Etat-major du Général Katz
qui habite notre immeuble, nous précise que cette affirmation est
effectivement mensongère car l'armée doit être consignée donc
incapable d'assurer toute mission extérieure à ses casernes.
Cette lourde inquiétude est aussi palpable au sein
du Palais de Justice. Aussi, dans les derniers jours de juin, les chefs de
la Cour d'Appel saisissent officiellement le Général Katz qui
semble investi de tous les pouvoirs, pour lui demander si, après le 2
juillet, les magistrats doivent continuer à assurer leur service ou bien,
avec leur famille, se regrouper dans des locaux prévus à cet effet. Par
retour du courrier, le Général Katz précise que les magistrats
doivent rester à leurs postes et que leur sécurité et celle de
leurs familles seront assurées quoi qu'il arrive.
Le 2 juillet, le
référendum sur l'indépendance de l'Algérie se déroule sous le contrôle
armé du FLN, donc sans surprise.
Le 3 juillet, les
européens, par prudence, restent chez eux. Par contre, les musulmans
envahissent les rues du centre ville où on ne les voyait plus depuis quelques
temps. Il faut rappeler qu'Oran est, à ce moment, une ville de 400.000
habitants dont 80.000 musulmans.
Le 4 juillet, la vie reprend progressivement son
cours, mais, l'après-midi, les musulmans paraissaient très nerveux et les
regards de certains ne laissaient aucun doute sur leurs sentiments. En fin
d'après-midi, je vois des colonnes de voitures circuler en ville à une
vitesse folle. On sent que quelque chose se prépare. Le Général Katz,
qui doit être renseigné, ne donne à la population aucune consigne de
prudence.
Le 5 juillet est l'anniversaire de la
capitulation d'Alger en 1830. La victoire du FLN représente une suprême
revanche. C'est donc jour férié pour les musulmans.
Je quitte vers 9 h 30 mon appartement situé quartier
Bel-Air, au-dessus de la nouvelle préfecture, pour me rendre, avec Louis
Daste, substitut au Tribunal, rue de la Bastille pour faire des provisions
car beaucoup de commerces sont fermés. Tout paraît normal. De là, nous nous
rendons au Tribunal, Square Garbé. Un moment plus tard, nous entendons
des coups de feu provenant de la ville, suivis bientôt d'une vraie fusillade.
Comprenant qu'il se passe des événements graves, nous fermons les grilles
extérieures et la porte en bois monumentale du Tribunal.
Après un moment d'attente, nous voyons apparaître sur
le square des hommes armés parmi lesquels on reconnaît des uniformes de la
force locale.
Certains prennent position derrière le kiosque à
musique, d'autres, réussissant à ouvrir des voitures en stationnement devant
le Tribunal, les mettent en marche, quelques uns percutant directement les
arbres du square.
Les embusqués derrière le kiosque à musique, voyant
des personnes regarder de l'intérieur du Tribunal, par les fenêtres, se
mettent à tirer sur ces fenêtres et sur la porte centrale. Nous pensons
que l'assaut va être donné au Tribunal. A peine une vingtaine de personnes,
magistrats et employés du Tribunal et de la Cour d'Appel, sont à
l'intérieur du bâtiment, sans la moindre arme.
Le Général Katz avait fait enlever des pièces
à conviction des armes à feu et même les simples couteaux. Donc, aussitôt,
le magistrat présent le plus gradé, l'avocat généra! Lapeyre,
téléphone au Général Katz pour l'informer de ce qui se passe et lui
demander d'intervenir aussitôt, selon les indications de sa missive dont
l'encre est à peine sèche. Le général Katz répond qu'il va faire
le nécessaire. Le temps passe. Puis l'avocat général rappelle l'Etat-major
pour s'étonner du retard. Un
officier embarrassé l'informe que le général est parti et qu'il n'a laissé
aucune consigne à notre sujet.
Nous comprenons que nous sommes abandonnés à notre
sort. L'avocat général téléphone alors à la gendarmerie qui donne
aussi sur le Square Garbé, à la perpendiculaire du Tribunal. Le
colonel(1) l'informe que ses hommes sont en position de combat pour
repousser une attaque éventuelle, mais qu'il a
l'ordre formel de ne pas intervenir à l'extérieur de la caserne.
Il ajoute qu'il prendrait sur lui d'intervenir en cas d'attaque directe du
Tribunal. L'aurait-il fait ? L'assaut sur le Tribunal n'est en effet pas
tenté. Le temps passe. Impossible de prévenir nos familles, car, si le
téléphone est maintenu pour les administrations, il est coupé depuis un
certain temps pour les particuliers.
Brusquement, on entend des ordres brefs en arabe et on
voit une foule de musulmans venant de la ville traverser le square en
courant en direction du quartier arabe.
Le Square Garbé se vide et retrouve un silence
complet. Peu après, un camion de fusilliers-marins s'arrête devant le
Tribunal.
Le chef du détachement nous indique qu'il va nous
raccompagner à nos domiciles respectifs. En passant près du Commissariat,
nous voyons des membres de la force locale y faire pénétrer
des européens. Les rues sont désertes.
Il est 17 h environ lorsque je retrouve mon épouse
éplorée et mon dernier fils, âgé de 20 jours.
Le lendemain, nous apprenons que l'Amiral commandant la
base de Mers-el-Kébir est intervenu à Oran après une conversation
orageuse avec le Général Katz qui refusait
de le faire.
La fille du concierge du Tribunal, musulmane qui
séjournait chez des amis arabes dans leur quartier m'indiqua plus tard que des
camions chargés d'européens arrivaient le 5 juillet sur la place du quartier.
Les malheureux étaient déchiquetés par la foule qui piétinait les
lambeaux de chair.
Le beau-père et le beau-frère d'un cousin de mon
épouse, Serge Ribaud qui étaient descendus en ville n'ont jamais
reparu.
En 1985, alors que j'étais Président de la Cour de St
Denis de la Réunion, un fonctionnaire me déclara un jour qu'il accomplissait
son service militaire à Oran, et qu'après les
événements du 5 juillet, l'armée avait retiré de nombreux cadavres
d'européens du Petit Lac, à la sortie d'Oran.
Pau, le 30 janvier 1999
JEAN-HENRY FOURCADE
Je précise que la présente déposition peut-être
produite en justice et que je connais les peines prévues en cas de faux
témoignage.
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(1) - Le
colonel Pérolaz, Commandait la Légion de Gendarmerie d’Oran en
juillet 1962.
G.Ibanes se souvient très bien avoir reçu l’ordre du Colonel de
ne pas intervenir pour porter secours aux Français poursuivis par les arabes
du FLN.
Par
contre les personnes se présentant au portillon, la grande porte étant
verrouillée, étaient accueillies et mises à l’abri.
Lorsque
le calme fut revenu vers les 18h,elles furent transportées en véhicules
jusqu'à leur domicile pour celles qui le désiraient.
G.Ibanes, gendarme, était sous les ordres du Colonel PEROLAZ,
et a été un témoin oculaire avec ledit Colonel, ainsi que de nombreux
autres officiers et sous-officiers qui assistaient impuissants depuis leurs
fenêtres lors des évènements du 5 juillet 1962 particulièrement ceux du Square
Garbé où était situé le bâtiment de la Gendarmerie.
Le
palais de justice se trouvait juste en face dans une petite rue à gauche par
rapport à la Gendarmerie.
G.Ibanes confirme l’exactitude du témoignage de Monsieur le
Juge d’Instruction Jean-Henry FOURCADE.
G.Ibanes déclare être prêt à témoigner devant la Justice
Nationale ou Internationale sur de nombreux autres crimes commis par le FLN
dans les circonscriptions où il était en poste depuis le début des évènements
jusqu’au jour de son banissement de sa terre natale en Août 1962.
G.Ibanes
précise connaître les peines prévues en cas de faux témoignages mais que
son intention n’a d’autre but que de servir la Justice, la vraie.
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