CE QUE JE N’AI PAS DIT
Par Le général
JOUHAUD
Chez
Fayard |
DEJA EN 1947…DE GAULLE….
P.405 – 416 à 420
S'inspirant des principes de la
conférence de Brazzaville de janvier 1944, le général De Gaulle
promulguait toutefois l'ordonnance du 7 mars 1944, accordant la
citoyenneté française à soixante mille Musulmans, qui pourraient conserver leur
statut personnel. Ils faisaient partie avec les Européens d'un même collège,
tandis que les autres indigènes non citoyens, à partir de vingt et un ans,
devenaient électeurs dans un deuxième collège. D'autre part, une série de
mesures se rapportait au relèvement social et économique de la population
indigène.
On se référait aux principes de la
politique d'assimilation progressive que la France avait décidée à l'égard des
Musulmans, qui venaient de se distinguer par leur courage et leur loyalisme dans
les rangs du corps expéditionnaire d'Italie
(1).
…..
(1)
Effectivement sous les drapeaux : Français non musulmans :176 500, soit 16,4% de
la population française d’AFN : Français musulmans : Algérie 134 000(2,13% de la
population indigène),Maroc 73 000 (1,20%), Tunisie 26 000 (1.08%)
…..
Le statut de 1947 fut accueilli avec
beaucoup de réserve autant par les Musulmans que par les Européens. Les chefs
nationalistes musulmans, toujours débordés par les surenchères de certains
excitateurs professionnels, ne pouvaient que s'opposer à tout projet quel qu'il
fût. Quant aux Européens, Jacques Chevallier en tête, ils redoutaient les
dangers résultant de la composition des deux collèges et des votes que pourrait
émettre une Assemblée algérienne paritaire.
C'est sur la
composition des deux collèges que les controverses seront passionnées. Le
général De Gaulle, jusqu'alors retiré des affaires, va se manifester en
Algérie pour dénoncer avec vigueur le projet de statut.
…..
Pour saisir l'analyse du Général, il
faut revenir légèrement en arrière. L'ancien chef de la France libre avait fait
promulguer le 7 mars 1944, on s'en souvient, une ordonnance déclarant
d'office citoyens français, à titre personnel, les Musulmans appartenant à
certaines catégories
1.
1)-A
savoir : anciens officiers titulaires de diplômes universitaires (y compris le
certificat d'études), fonctionnaires ou agents publics, membres des Chambres de
commerce et d'agriculture, caïds, aghas, bachaghas, élus des assemblées
politiques locales, membres de la Légion d'honneur et d'autres ordres
honorifiques, conseillers prud'hommes, oukils judiciaires.
Étant inscrits sur les mêmes listes
que les citoyens non musulmans, ils faisaient donc partie du premier collège.
Quant au deuxième collège, il était homogène, composé des seuls Musulmans. Une
disposition importante prévoyait que le premier collège fournirait les trois
cinquièmes des élus aux assemblées locales. C'était une assurance pour les
Européens.
Or, la loi du 20 septembre 1947,
portant statut organique de l'Algérie, prévoyait que les membres de l'Assemblée
algérienne seraient désignés en nombre égal par chaque collège (soixante par
collège). Système paritaire qui inquiétait les Européens. Si les Musulmans
formaient la totalité du deuxième collège, ils représentaient dans le premier
collège de 10 à 40% des électeurs, selon les circonscriptions. De ce fait, ils
pouvaient avec quelques sièges dans le premier collège devenir les arbitres des
luttes engagées entre les candidats des différents partis politiques, sinon un
jour les évincer, leur nombre au sein de ce premier collège ne cessant
d'augmenter du fait de la scolarisation. L'Assemblée algérienne risquait donc,
dans un avenir prochain, d'être composée d'une majorité de Musulmans.
Le 18 août 1947, De Gaulle
exposait son point de vue. Rappelant les modalités des proportions d'élus par
collège, telles que les prévoyait son ordonnance, il s'élevait contre
l'hétérogénéité du premier collège dans le cadre de la parité.
« Cette dernière disposition, disait-il, ne saurait plus avoir d'objet dés lors
que seraient assurées dans une Assemblée algérienne deux sections ou commissions
égales ou équivalentes. Au contraire, en la maintenant, on risquerait de
fausser, au détriment de la population d'origine européenne et pour l'éventuel
profit d'une dangereuse démagogie, tout l'équilibre du système. »
Le 12 octobre
1947, au stade de
Saint-Eugène,
à Alger,
De Gaulle confirmera sa position et il poursuivra son discours en
s'élevant avec vigueur contre ceux qui pourraient s'égarer dans le rêve d'une
sécession.
«La
France, quoi qu'il arrive,
proclamait-il,
n'abandonnera jamais l'Algérie.»
Pourquoi l'ancien chef de la France
libre a-t-il tenu à se déplacer en Algérie pour prendre des dispositions aussi
tranchées, qui l'engageraient pour l'avenir, s'il n'avait eu le génie
de la perfidie, se
contredisant sans pudeur, avec une orgueilleuse assurance.
L'homme ambitieux, le
représentant de la légitimité, comme il l'assure, vient d'entrer de nouveau et
avec résolution dans la vie politique. Il a fondé le Rassemblement du peuple
français (R.P.F.) le 7 avril 1947, à
Strasbourg.
« Dans la situation où nous sommes,
dira-t-il, l'avenir et le destin de chacun est en jeu... Aujourd'hui est créé
le Rassemblement du peuple français. J'en prends la direction... J'invite à se
joindre à moi dans le Rassemblement toutes les Françaises et tous les Français
qui veulent s'unir pour le salut commun, comme ils l'ont fait pour la libération
et la victoire de la France. »
De Gaulle
organise de nombreuses réunions en province afin de préparer le succès des
candidats de son mouvement aux élections municipales qui auront lieu le 26
octobre 1947. Il n'exclut pas l'Algérie de son programme électoral et, pour y
implanter son parti, il ne saurait hésiter à
abuser de la
naïveté de ses auditeurs et cela sans scrupule,
car, pour lui,
« l'homme d'action ne se conçoit pas sans une certaine dose d'égoïsme,
d'orgueil, de dureté, de ruse ».
Les propos du général De Gaulle
avaient été accueillis avec enthousiasme. Alain de Sérigny,
qui pourtant n'avait jamais manifesté de sympathie pour l'homme de Londres
(nous l'avons noté), écrira dans ses Mémoires
que la foule algéroise, au stade de Saint-Eugène,
dans un silence religieux, coupé d'applaudissements, avait écouté
« l'un des plus exaltants discours
jamais prononcés par la future et éphémère idole du Forum ».
Il avouera avoir cru en la sincérité du Général. Il ne sera pas le seul. De
Gaulle avait réussi par ses propos, que la suite des événements permettra de
qualifier
d'odieuses impostures,
à créer un courant qui lui
était favorable. Ce revirement de l'opinion publique entraînera de désastreuses
conséquences. Il portera De Gaulle au pouvoir et les Français d'Algérie
connaîtront déceptions sur déceptions au fur et à mesure des déclarations
équivoques
ou
sibyllines
du chef de l'État et de
son entourage.
Que de
machiavélisme
pour en arriver à faire
admettre aux métropolitains comme naturelle cette honte d'un abandon qui leur
avait paru odieux, humiliant, avant que
De Gaulle
ne s'emparât du pouvoir.
Personne en
Algérie ne se doutait alors que
ces mensonges
conduiraient à l'exode cruel
d'une population contrainte à quitter son sol natal, encore rougi par
le sang
qu'avaient fait couler les
balles du service d'ordre français et les couteaux des rebelles.
Général
JOUHAUD
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