EXTRAITS DU
LIVRE "AFIN QUE NUL N'OUBLIE"
de José CASTANO
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AFFAIRE SANTERRE - RÉGION DE BLIDA.
COMMANDEMENT DE LA GENDARMERIE NATIONALE DU 23ème CORPS D'ARMÉE
10ème LÉGION DE GENDARMERIE GROUPEMENT D'ALGER
COMPAGNIE DE BLIDA - BRIGADE D'EL-AFFROUN
ATTESTATION
Je soussigné MÉNARD Roland, Maréchal des Logis Chef, Commandant
la Brigade de Gendarmeries d'EL-AFFROUN - ALGER - atteste que :
Monsieur SANTERRE, Georges Alfred, né le 26 AOÛT 1943 à
AMEUR-EL-AÏN, Commune dudit département D'ALGER,y demeurant, fils de ALBERT
CHARLES et de PEYRE, Agnès BLANCHE, marié 2 enfants, agriculteur, a disparu
le 14 juin 1962 vers 9H30 entre AMEUR-EL-AÏN et la ferme lui appartenant
(ferme CHATTERBACH), alors qu'il circulait à bord de son véhicule, une Simca
P.60 couleur beige à toit blanc, immatriculé 679 H.M 9.A
Au moment de sa disparition il se trouvait en compagnie du nommé BENZAHRA,
Rabah, employé en qualité de métayer en tabacs par lui-même.
Cette affaire a donné lieu à l'établissement du Procès-Verbal n°577 du
15 juin 1962 de la brigade d'EL-AFFROUN, qui a été adressé à Monsieur
le Juge d'Instance de MARENGO, à Monsieur le SOUS-PRÉFET de BLIDA, ainsi
qu'au COLONEL, Commandant le secteur de BLIDA.
A ce jour les recherches entreprises dans le but de recueillir tous
renseignement sur le sort de Monsieur SANTERRE sont restées vaines.
N°847/2 -A EL-AFFROUN, le 15 Décembre 1962
Le MDL.Chef MENARD,
Commandant de la Brigade.
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UNE PREUVE DE COMPLICITÉ CRIMINELLE DES AUTORITÉS
FRANCAISES
Les douloureux événements d'Algérie se terminent. non pas par des
attentats, mais par des enlèvements ; hommes, femmes, enfants - Européens et
Musulmans.
Il est à noter que les enlèvements ont été dirigés par des personnages
toujours en relation directe avec la Police française et les escadrons de
Gendarmes Mobiles.
PROCESSUS D'ENLÈVEMENT OBSERVÉ PAR UN TÉMOIN
1 - Un observateur est désigné, soit par la Police française,
soit par un chef F.L.N. local. Cet observateur s'attache pas à pas à un
personnage, note ses allées et venues, ses habitudes, transmet ces
renseignements au chef de la bande dite « incontrôlée » de la région
ou, comme cela s'est produit, aux gendarmes mobiles. Ceux-ci faisaient
les perquisitions, avec violation de domicile, vols d'objets, retrait d'armes
légalement remises par l'Armée à certaines fermes trop isolées. C'était
la lutte « soi-disant O.A.S. ».
Il ressort de ceci que la Police française anti-O.A.S travaillait
en collaboration étroite avec le F.L.N.
2 - Exécution de l'enlèvement ; la filière organisée. l'observateur
joue son rôle, reste en place, pendant que d'autres «mouchards » (mobylette
rouge) font la liaison. Les autres, taxi 403 grise (Ladjeldit BRUNO et MERBEKAOUI)
fourgon noir. 203 familiale, fourgon camion Renault gris et Ariane taxi noir,
enlèvent. En général, le personnage à enlever est arrêté calmement, et
est prié de monter dans le véhicule. S'il refuse il est assommé et embarqué.
Ceux qui opèrent s'arrangent toujours pour que la disparition ne soit pas
signalée avant deux heures au moins. Les observateurs ont prouvé par leurs
renseignements et par certaines habitudes que deux heures conviendront. Si la
famille s'aperçoit de l'enlèvement, elle sera menacée et gardée par les
djounouds. deux heures.
Pourquoi deux heures? Tout simplement - c'est le temps nécessaire, pour la région,
pour la bande « incontrôlée » en opérations et en service commandé
- de rejoindre le lieu de tortures, le camp, le centre d'interrogations, le
lieu d'exécution (pour ceux qui doivent passer au tribunal de la mort-harkis).
Quand deux heures plus tard. les gendarmes sont prévenus, ils ne peuvent plus
rien faire, car il a été prouvé que, lorsque la gendarmerie locale était
prévenue dans la demi-heure qui suivait l'enlèvement. les gendarmes
connaissant parfaitement les chemins empruntés, pouvaient alors prendre en
chasse les fameuses voitures connues de tous. Et il était fréquent de
retrouver le prisonnier ficelé dans un sac ou attaché avec un fil de fer,
dans une vign le prisonnier, assommé, était jeté de la voiture dans un fossé
ou sur la route.
Une fois aux mains des gendarmes, il racontait sa mésaventure prouvant une
fois de plus que la bande était connue de tous et les véhicules, bien
souvent des taxis, se retrouvaient à leur poste ayant un autre chauffeur ou
mieux l'auteur même de la livraison.
DÉLAI DE DEUX HEURES OBSERVÉ DANS DEUX CAS PRÉCIS
A) M. RAMON (40 ans) enlevé de sa propre maison pendant que sa famille
est maintenue sous la menace d'une mitraillette deux heures durant. Ce délai
écoulé, le bandit dit à Mme RAMON d'aller prévenir les gendarmes.
B) M. SANTERRE (28 ans) habituellement sort du village à 9 heures,
se rend sur ses terres, et revient vers midi pour, le repas. Le jour de son
enlèvement à 9 h 30 il quitte la cour de sa ferme. Au repas de midi. ses
amis ne le voyant pas revenir pensent à un enlèvement. Il était impossible
de s'apercevoir de l'attentat avant.
3 - Après l'enlèvement : on fait divulguer des nouvelles de
l'enlevé.
a) par des Arabes : ne pas chercher l'enlevé, il va revenir, il est
vivant. il est bien nourri, il est interrogé, mais si la famille fait trop de
bruit, il sera tué.
Les familles attendent et agissent dans la plus grande confusion.
Rarement une rançon est demandée.
Dans de nombreux cas. les Musulmans laissent entendre qu'ils ont besoin de
techniciens, de professeurs, de bons cultivateurs. ils veulent ainsi se venger
des Roumis et des 130 ans de colonisation en les prenant comme esclaves.
b) par des Européens : tous ceux qui sont enlevés, disent-ils,
sont horriblement torturés, tués, mutilés, brûlés à la chaux vive, même
s'ils sont vivants, il ne faut pas les chercher, car ceux qui les cherchent
pourraient aller les rejoindre à jamais.
Gendarmes et militaires sont très bien informés, mais ils ont des ordres
stricts. ils ne peuvent agir, et observent de leurs bureaux les enlèvements
successifs. Les gendarmes et les militaires se révoltent de cet état de
choses. ils peuvent être enlevés, ou alors immédiatement déplacés, ils
sont gênants et sont remplacés par des gens du F.L.N.
4) Renseignements divers : un camion Berliet, transportant de la
chaux et empruntant un itinéraire déterminé s'aventure sur les routes. Tout
le monde le connaît, tout le monde est au courant de l'existence du camp de
l'Oued Djer où sont garées les voitures des enlevés, camp où se
trouvent les chambres de torture. (Musulmans fidèles à la France y ont été
tués.)
Les voitures des enlevés servant aux enlèvements parfois, alors que le
couvre-feu doit être observé par tous, les voitures ont le droit de circuler
pendant le temps interdit.
VÉRITÉ SUR LES LAISSEZ-PASSER DE LA WILLAYA IV
La Police française, une certaine partie du contingent, les gendarmes mobiles
font des barrages sur les routes. fouillent les femmes, souvent sans respect,
cherchent armes, plastic, papiers O.A.S. Peu à peu ces barrages deviennent
mixtes, mi-français, mi-arabes. Puis peu à peu, ce sont les Arabes qui
fouillent et qui font les barrages, avec l'arrivée des forces locales
(contingent arabe).
Ces barrages deviennent de véritables coupe-gorge, des gens sont blessés,
des enfants maltraités, des femmes fouillées et parfois violées, les
valises fouillées, les autos mises sens dessus dessous. A certains barrages
les Arabes sont armés de pioches, de pelles, de pierres et de rasoirs, et n'hésitent
pas parfois, à taillader le cou des passagers. Ils cassent les glaces à
coups de pierre.
Mais ces barrages illégaux et monstrueux sont parfois cassés par les
paras, cantonnés alors à Tipaza. C'étaient les seuls militaires
valables ; c'étaient nos défenseurs. Ces barrages sont faits pour affoler
les Européens.
Pour calmer ces voyous, un laissez-passer était parait-il efficace.
Dans le but de l'obtenir, il fallait après avoir accepté une entrevue
avec un agent de la W.IV. (El-Affroun-Bou-Slimane, magasin de cycles),
avoir reçu le carnet vert, demander un laissez-passer que l'on devait aller
chercher dans un bureau situé toujours dans un endroit désert et malsain.
Ceux qui y allaient, souvent n'en revenaient pas, ou s'ils en revenaient,
ils étaient jugés sans valeur pour le F.L.N., mais tout heureux d'avoir eu
ce qu'ils demandaient, ils faisaient de la propagande pour le F.L.N. (Certains
sont ensuite devenus conseillers pour les comités de gestion!)
En général. la personne qui recevait une offre de laissez-passer devait
s'engager à travailler 3 ans pour l'Algérie Indépendante Démocratique et
Populaire. Mais cette personne, ensuite, se dirigeait rapidement vers l'aérodrome
ou le quai d'embarquement.
FAITS DIVERS
Perquisitions par les gendarmes mobiles venus d'ALGER, ferme fouillée, maison
mise sens dessus dessous, et arrestation du propriétaire s'il est classé
O.A.S.
Toutes les fermes isolées étaient suspectées être des repaires O.A.S. Les
fermes isolées étaient considérées comme des lieux infâmes.
Le propriétaire questionné par les gendarmes mobiles français est
relâché 24 heures après. Mais sa famille apprend qu'un rapport journalier
était transmis à la police française sur son activité et ses allées et
venues. Rapport contrôlé par la perquisition des gendarmes mobiles.
Entre le 1er et le 14 juin, cette même ferme est visitée par « une
bande, incontrôlée », maison pillée, de nouveaux objets cassés, volés.
Le propriétaire Mr. G. Santerre avait l'intention de rendre visite
et de porter plainte aux bureaux des responsables F.L.N. régionaux. Apprenant
cette intention, tous ses amis le lui ont vivement déconseillé.
Le matin du 14 juin 1962, Mr. G. SANTERRE se rend sur sa propriété
à 9 h 30 en compagnie d'un de ses ouvriers M. RABAH BENZARAH-(ancien
gardien attaché à la protection de Mme Santerre et de ses deux
enfants que le gardien aimait et gâtait ainsi que sa femme). Ce gardien avait
servi très longtemps d'indicateur à l'Armée française. En décembre 1962.
sûrement menacé, il était parti loger au village d'Ameur-el-Ain, mais
continuait à travailler pour Mr. Santerre (culture du tabac).
Le 14 juin 1962 donc, Rabah Benzarah et Mr. Santerre se
rendent aux plantations de tabac (entre la ferme Chatterbach et le village
d'Ameur) tous deux partent à bord de la voiture de Mr. Santerre, Simca
aronde 0.60 marron clair et toit blanc 679 HM 9A. A un km de sa ferme, en
direction d'Ameur. M. Santerre descend de sa voiture pour causer avec
les passagers d'une 403 grise taxi (auto signalée dans les enlèvements) puis
les deux véhicules sont partis ensemble.
Mr. Santerre n'a plus reparu, quant à Rabah, il s'est caché,
fuyant les regards interrogateurs des Européens. Mais fin juin, il est revenu
en maître sur la propriété, acceptant la maison et faisant égorger un témoin,
qui avait affirmé que M. Santerre était vivant et prisonnier de la
W.IV. (témoin F.L.N., combattant 14/18.}
En septembre la propriété est déclarée bien vacant et passe au
comité de gestion dirigé par M. Biannicci. D'après ce personnage, Santerre
était un bon colon, sa cave en parfait état de marche, matériel entretenu
et le hangar à tabac venait d'être refait grâce à un emprunt.
M. Santerre n'avait donc pas l'intention d'abandonner, il pensait
certainement rester travailler dans l'Algérie nouvelle, ce qui pourrait peut-être
faire supposer que M. Santerre, contacté par la W.IV, avait cru en ses
affirmations.
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