CE QUE JE N’AI PAS DIT
Par Le général
JOUHAUD
Chez
Fayard |
SAKIET
SIDI YOUSSEF
EXTRAITS
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Je crois que l'on
peut dire, sans commettre d'erreur, que le bombardement de Sakiet, le 2 février
1958, a
sonné le glas de la IVe République. Ce furent, en effet, ses
répercussions
dont les gaullistes se sont servis pour monter le coup d'État du 13 mai.
Il est vrai aussi qu'ils ont été puissamment aidés par les rivalités des partis
politiques qui n'arrivaient à aucune entente pour dénouer la crise
ministérielle, ouverte en avril par la chute du gouvernement de M. Félix
Gaillard.
Sakiet
serait une initiative regrettable du haut commandement militaire, certes
couverte officiellement, mais qui se serait apparentée à de l'indiscipline.
En est-il ainsi ? C'est ce que nous allons tenter d'élucider, non sans avoir
rappelé deux opérations antérieures qui illustrent la volonté offensive de
certains ministres, car il est heureux de constater que nos responsables de la
Défense nationale n'ont pas toujours été dupes de la prétendue neutralité des
pays voisins de l'Algérie et encore moins enclins à accepter de leur part un
soutien actif à la rébellion, soutien qui se manifestait parfois non sans
ostentation.
…..
Le grave incident que l'on redoutait
va se produire. Successivement, à huit jours d'intervalle, trois avions vont
être sérieusement touchés par l'artillerie antiaérienne basée en Tunisie.
Le 30 janvier 1958,
d'abord, un appareil T. 6 en mission de protection d'un convoi était
abattu par la D.C.A. tunisienne. L'appareil se posait en pleine campagne
à huit cents mètres
de la frontière. L'équipage était dégagé par une patrouille, tandis que les
mortiers rebelles ajustaient leur tir sur lui.
Le général
Salan se trouvant à Paris, je lui rendais compte, non sans vivacité, de
cette nouvelle agression. Je demandais instamment que le droit de riposte nous
fût accordé. Le samedi 1er février,
le général Salan, de retour à Alger, câblait au général
Ély
que, sauf contrordre de sa part, il
ferait appliquer dès le surlendemain les mesures suivantes :
-
reconnaissances aériennes autorisées
jusqu'à la ligne frontière ;
-
riposte automatique, dans les
trois heures, à tout tir en provenance de la Tunisie.
Ce télégramme
fut transmis au ministre de la Défense, au président du Conseil et aux Affaires
étrangères. Le général Ély,
au nom du gouvernement, donna un accord le 2 février
1958.
Il n'y avait, dans notre esprit,
aucune ambiguïté dans la réponse du général
Ély
:
« Les mesures que vous avez prévues
dans votre message n
° 31
sont
approuvées.
»
Pourtant le général
Ély,
dans ses Mémoires
(Suez…, le 13 mai),
insinue que sa bonne foi
aurait été abusée. Il rappelle tout d'abord l'état d'esprit des aviateurs.
«Les formations aériennes,
écrit-il, étaient ulcérées,
car elles étaient sans défense » et
« l'ensemble des forces des trois
armées ne comprenait pas cette attitude, jugée trop passive, partageant le
mécontentement des aviateurs ».
Si ce général comprend l'exaspération
des combattants, il s'élève contre les ministres qui,
« avec une certaine part de
démagogie, de bon aloi »,
avaient tendance à encourager les exécutants
« à ne pas se laisser faire ».
Et il ajoute que cette attitude
« s'était tout
particulièrement exprimée lors du passage de M. Morice dans le
Constantinois »
C'était exact et je me souviens fort
bien que, le 2 octobre 1957, M. Morice, ministre du gouvernement
Bourgès-Maunoury,
mis en minorité, demandait au général Salan et à moi-même un peu plus
d'énergie devant les provocations tunisiennes. Je lui répondis que, la veille et
l'avant-veille, mes aviateurs avaient riposté au tir ennemi avec leur armement
de bord. Le ministre en fut enchanté.
Pour en revenir à l'accord donné par
le général Ély,
ce dernier pensait que
«la riposte, telle qu'elle était
prévue, semblait devoir consister, par exemple, en l'intervention de l'avion
prenant la relève de celui qui, touché, n'aurait pu réagir lui-même ou encore en
un tir de mortiers demandant un certain délai pour la préparation ».
Le chef d'état-major général
ignorait, n'ayant jamais eu l'occasion d'exercer des commandements importants
sur le terrain, quelle serait la réaction des hommes au combat.
Cette réaction fut vive.
En tant que
général adjoint interarmées, je signais une instruction destinée au général
commandant le corps d'armée de Constantine et au colonel commandant les forces
aériennes du Constantinois. Compte tenu des directives antérieures de la
Défenses nationale, je précisais que :
« La riposte aux tirs de la D.C.A.
adverse est effectuée à l'initiative de l’armée de l'air :
« — Soit par attaque immédiate par
les avions pris à partie ;
« — Soit par intervention du « Poste
de commandement avancé Air » dans les trois heures qui suivent ;
« — Soit par demande de tirs adressée
à l'armée de terre, sous réserve expresse d'identification sans ambiguïté de
cette D.C.A., excluant tout tir systématique et aveugle sur un point ou une zone
suspecte. »
Après l'incident du 30 janvier,
un second T. 6 fut, le 7 février
1958, l'objet de tirs
tunisiens, bien qu'évoluant aussi dans notre espace aérien. Le chef du poste
français, qui fait face à Sakiet, le capitaine Bernon, avertissait
son homologue tunisien que si ces tirs ne s'arrêtaient pas, nous interviendrions
: avertissement qui ne fut pas pris au sérieux.
La patience de mes équipages atteignait un point critique. C'est alors que le
lendemain 8 février
un troisième appareil Marcel Dassault, piloté par le lieutenant
Perchenet, fut gravement atteint par des tirs d'armes lourdes installées à
Sakiet.
Qu'était-ce que Sakiet? Un
village tunisien situé à quelques centaines de mètres de la frontière
franco-tunisienne. Cette région constituait, avec celle de Ghardimaou, le
centre de transit et de passage des convois rebelles à destination des wilaya 2
et 3. C'était aussi la base de départ du 3e bataillon de la wilaya de
Souk-Ahras pour les opérations entre frontière et barrage.
A Sakiet, les rebelles
occupaient des locaux, dont la maison forestière, cohabitant avec l'armée et la
garde nationale tunisiennes. A six kilomètres au sud du village, étaient
cantonnés dans les locaux d'une mine désaffectée, une katiba et un état-major
F.L.N. Trois emplacements de D.C.A. étaient installés à Sakiet, dans le
village même : deux sur la place centrale, un autre sur le poste de douane. Six
emplacements de tir étaient érigés aux abords de la mine occupée seulement par
des soldats rebelles, soulignons-le.
Le lieutenant
Perchenet, moteur droit coupé, hélice en drapeau, pneu crevé, se pose en
détresse à Tébessa.
Le colonel Duval, commandant l'aviation tactique du Constantinois, décide
de riposter. Il modifie la mission donnée à des bombardiers B. 26 et à
des Corsair de l'aéronavale qui devaient opérer dans les Aurès.
Une opération
sur Sakiet est rapidement organisée, les dossiers d'objectifs sur la
frontière ayant été étudiés de longue date.
Le 8 février, à 9 h 50,
le général de Rivals-Mazères,
qui me remplace ce jour-là à Alger, car je suis en mission à Oran, rend compte
des incidents et demande une décision au général Salan. Aucune hésitation
du commandant supérieur interarmées :
« Attaquez Sakiet. »
La riposte sera effectuée :
— Sur la D.C.A. de Sakiet par
six avions de l'aéronavale, des Corsair, dont la précision du tir est
remarquable.
— Sur la D.C.A. de la mine
désaffectée par onze B. 26, armés de trois bombes de mille livres par
appareil.
En outre, huit chasseurs-bombardiers
Mistral complétaient le dispositif pour mitrailler les abords de la mine,
à l'exclusion du village de Sakiet. L'attaque fut déclenchée à onze
heures et la D.C.A. fut neutralisée.
La réaction de la presse
française
fut vive et le commandement militaire copieusement critiqué, même
insulté.
L'opinion internationale ne fut pas plus tendre. Personne ne s'était demandé si
la destruction de la quasitotalité des villes allemandes, au napalm souvent, se
justifiait par la nécessité d'amener le Reich à capituler plus rapidement
et si la bombe d'Hiroshima s'imposait face au Japon. On semble
avoir oublié assez facilement que dans ces métropoles il y avait des femmes et
des enfants. De toute façon, on doit déplorer que des innocents soient les
victimes de la guerre, toujours atroce : c'est elle la grande responsable.
Quant aux Américains,
ils n'eurent pas de mots assez durs pour flétrir notre action.
Ils ignoraient
à l'époque que, bientôt, des milliers de tonnes de bombes s'abattraient chaque
jour sur le Nord-Viêt-nam, lancées par des bombardiers lourds de l'U.S. Air
Force !
En France, Robert Buron
parlera « d'inconscience
cynique et sereine de certains responsables militaires ou civils »,
Léon Noël
« d'une telle stupidité qu'on ne comprend pas comment ce pays aveuli peut
accepter pareille maladresse criminelle »,
tandis que le comte de Paris écrira :
« Le bombardement aérien d'un
village, où se trouvent des fellagha, mais aussi des civils, des femmes, des
enfants, est inadmissible sur le plan moral quant à ses conséquences
diplomatiques.»
Nous pouvions
mesurer combien la propagande adverse, qui ne manquait pas d'exploiter tout
incident, était habile. Comme l'écrivait le très gaulliste Louis Terrenoire
:
« De Moscou à
New York, en passant par Londres et Stockholm, chez nos alliés plus encore que
chez les autres, ce fut à qui dauberait sur la France. De la voir clouée au
pilori par tous — bourreaux de Budapest ou chasseurs de Mau-Mau — l'opinion
nationale se partageait entre l'indignation, l'humiliation et la consternation
l. »
Rapidement, l'émotion soulevée par le
bombardement dégénéra. Ce n'étaient plus les militaires dont on demandait la
tête, mais c'est sur Robert Lacoste ou Félix
Gaillard que l'on
s'acharnait et, parfois, l'occasion se présentait de manifester sa sympathie
à ceux qui soutenaient le F.L.N. Jean Daniel pouvait écrire :
« Si aujourd'hui les Tunisiens se
dominent mal, et je trouve encore que leur calme est singulier, c'est qu'ils ne
s'y attendaient pas. On attend tout d'un ennemi, pas d'un futur associé. Même
lorsqu'ils prenaient parti pour les Algériens contre la France, les Tunisiens
avaient le sentiment qu'ils prenaient parti pour un avenir d'association avec la
France. Je crains que Sakiet ne soit la fin d'une grande espérance. »
Toute la presse française,
heureusement, ne nous accablait pas. Quelques journalistes, pour avoir un jour
aussi fait la guerre, comprenaient notre réaction. Certains hommes politiques
crurent bon de profiter de l'occasion pour intensifier leur propagande en faveur
du retour au pouvoir du général de Gaulle. Ainsi Michel Debré, dans
le Courrier de la colère
du 14 février 1958,
écrivait:
«Qu'un incident grave éclate... Ah !
si de Gaulle était là ! Mais le régime essaie de " tasser " l'incident,
de camoufler la crise, afin d'éviter de Gaulle. Si le gouvernement
«de
Salut public, que le général peut seul présider, était en place depuis plusieurs
mois, nous ne serions pas où nous en sommes en Afrique du Nord... »
Quelques jours après, il confirmait
cet appel :
« L'autorité a un sens, elle a aussi un nom... Le nom : c'est le général de
Gaulle, seule personnalité capable d'allier à la fois le pouvoir et la liberté,
l'indépendance et les alliances. »
Quant à M. Alexandre Sanguinetti,
bien qu'à l'époque non gaulliste, il faisait part au général Salan «de
ses sentiments personnels de profonde admiration pour la façon dont il assume
les responsabilités ».1.
De Gaulle et l'Algérie,
Louis
Terrenoire
(Fayard).
2. Fin d'un empire, Raoul
Salan
(Presses de la Cité).
On a reproché au
commandement en Algérie d'avoir préféré l'action aérienne à un raid terrestre.
Le raid d'aviation, écrira-t-on, n'était probablement pas le moins coûteux ni le
plus efficace pour réprimer la permanente agression qui se préparait en
territoire tunisien. Peut-être faudrait-il aller à Tunis ? Le général Aumeran,
ancien parlementaire, écrira :
« L'impératif
qui nous conduisit à faire la conquête de la Tunisie et du Maroc subsiste
toujours. »
Sans aller
jusqu'à cette extrémité, pourtant inscrite dans les intentions du gouvernement
précédent, pouvait-on envisager, comme les esprits modérés regretteront qu'elle
n'ait pas eu lieu, une riposte terrestre ? Elle fut certes étudiée et, compte
tenu de l'importance des forces rebelles stationnées dans la région de Sakiet,
elle aurait dû comporter l'engagement des troupes terrestres avec appui d'armes
lourdes, d'artillerie, d'aviation.
La mise en jeu
de tels moyens, la dispersion des tirs d'artillerie auraient certainement
provoqué dans Sakiet des destructions et des pertes bien supérieures à
celles que causa l'action aérienne.
SITUATION POLITIQUE
AUTOUR DE
L'AFFAIRE DE
SAKIET
EXTRAITS
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…..
M. André
Morice avait été remplacé
à la Défense nationale par M.
Chaban-Delmas,
qui était encore peu connu en Algérie, bien qu'ayant déjà occupé des
fonctions ministérielles dans les cabinets Pierre Mendès
France et Guy Mollet.
C'était un «
gaulliste », qui avait
toutefois fondé en 1955, avec Mendès
France, Guy Mollet,
Mitterrand, le «
Front républicain ». Il
était attendu à Alger avec curiosité par les milieux militaires, car ce ministre
de la Défense nationale était un général de brigade honoraire. Lieutenant
d'infanterie de réserve, il avait exercé en 1944 les hautes fonctions de «
délégué militaire national » en France occupée, ce qui lui avait valu en mai
1944 de recevoir, avec la Légion d'honneur, ses étoiles de brigadier. C'était
normal, et si ce rapide avancement heurtait certains milieux militaires, ils
auraient dû se souvenir que la formule était en honneur en Grande-Bretagne où
les grades temporaires, dits acting, étaient attribués en fonction de
l'importance des tâches exercées, à une époque déterminée.
Je ne connaissais pas
particulièrement M. Chaban-Delmas, ne l'ayant aperçu que quelques
instants, en septembre 1944, sur le terrain de Bordeaux-Mérignac, alors qu'il
s'apprêtait à décoller pour Paris. J'avais apprécié l'allure sportive de ce
général, guère plus âgé que les chefs de la révolution, les Desaix, Hoche,
Lasalle, Ney..., qui commandaient en chef devant l'ennemi à moins de
trente ans. J'avais toutefois été surpris, au premier abord, en découvrant un
officier général qui n'était que chevalier de la Légion d'honneur et dont la
croix de guerre paraissait modeste. Il ne m'adressa, avec condescendance, que
quelques mots d'une parfaite banalité, car mon grade de modeste commandant
aviateur, au milieu de si nombreux faux colonels, ne pouvait retenir son
attention.
Dés son arrivée en Algérie, M.
Chaban-Delmas prenait la parole à
Bône,
au cours d'une séance de travail à laquelle assistait un aréopage de généraux et
d'officiers supérieurs. Après avoir rappelé que, contrairement à la légende, il
n'était pas polytechnicien, mais simple inspecteur des Finances, M.
Chaban-Delmas expliquait le sens de la crise qui avait provoqué la chute de
Bourgès-Maunoury.
Après avoir exposé les buts que se fixait le nouveau gouvernement, il concluait,
dans une belle envolée oratoire, en nous assurant de la chance de la France
d'avoir à sa tête trois hommes jeunes, issus de la Résistance, qu'étaient le
président du Conseil, Félix
Gaillard, le ministre de
l'Intérieur, Bourgès-Maunoury,
et enfin lui-même à la Défense nationale. Ces trois gaillards (sourire)
sauraient faire respecter les droits de la
France !.
Cette allocution, dite sur un ton
quelque peu emphatique, aurait mieux figuré dans un meeting électoral que dans
une réunion d'état-major. Le ton de voix désagréable du ministre, son assurance
par trop excessive, sa discutable modestie nous laissèrent rêveurs sur son
sérieux. Nous aurions à le juger sur ses actes et le sens des responsabilités
qu'il manifesterait.
Les droits de la France ! M.
Chaban-Delmas allait bientôt avoir l'occasion de montrer les résolutions du
gouvernement dont il faisait partie, car les difficultés que nos troupes
rencontraient à la frontière ne diminuaient guère. Après une très brève
accalmie, fin 1957, les attaques reprenaient avec virulence et, le 11
janvier 1958, un détachement français fut violemment attaqué par une
importante colonne ennemie, soutenue par des réguliers
tunisiens.
Ce jour-là, le capitaine Allard,
commandant un poste situé face au village de Sakiet, monte une opération
pour tendre une embuscade, à sept cents mètres à l'ouest de la frontière, aux
fellagha qui utilisaient un sentier pour transiter sur la Tunisie. L'opération
doit donc avoir lieu en territoire français, précisons-le. Les deux sections du
capitaine Allard, à peine arrivées aux abords de l'endroit choisi, sont
prises à partie par un important détachement rebelle, opérant non seulement sur
le territoire algérien,
mais ouvrant le feu, par armes automatiques et mortiers, depuis les hauteurs
dominantes situées en territoire tunisien. C'est au tour de la petite formation
française d'être l'objet d'une embuscade tendue des deux côtés de la frontière.
Lorsque les renforts arriveront, dès que notre aviation interviendra, les
fellagha décrocheront sous la protection des bases de feu installées sur le sol
tunisien et les rebelles seront récupérés par des
G.M.C. de l'armée
tunisienne qui avaient auparavant transporté des renforts sur les lieux du
combat.
Le bilan, du côté français,
sera sévère. On trouvera sur le terrain
quatorze cadavres, affreusement mutilés.
Quatre soldats sont faits
prisonniers.
Aux obsèques des victimes, le
capitaine Allard dira :
« Vous êtes morts dans un
combat difficile, devant un ennemi supérieur en nombre, aidé par ses amis
tunisiens. Nous le savons maintenant ! »
M. Félix
Gaillard voulut réagir. Il
envoya son conseiller militaire, le général Buchalet, remettre en main
propre une lettre à M. Bourguiba. Ce dernier refusa purement et
simplement de recevoir l'émissaire du président du Conseil français.
Notre gouvernement n'insista pas ; on
ne pouvait lui reprocher un excès de susceptibilité.
Ce n'était pas la première fois que
la France tentait de dénoncer ces attaques menées d'un pays, en principe neutre.
Mais le Quai-d'Orsay était-il aussi sensibilisé que les soldats qui
montaient la garde à la frontière ? On peut en douter si l'on écoute un
diplomate, M. Alain Peyrefitte. Ce dernier, après avoir souligné
l'importance des forces de l'A.L.N. stationnées au Maroc et en Tunisie, convient
que nos troupes doivent,
l'arme au pied, subir les attaques des
rebelles sans riposter.
« Depuis trois mille ans,
cela ne s'était encore jamais vu,
ajoute-t-il.
Les militaires
ont de la peine à comprendre cette situation. »
Ces derniers réagissent, oubliant que
« le Maroc et la Tunisie sont deux pays neutres ; bien plus, deux
pays amis de la France, coopérant avec elle plus qu'avec aucun autre pays. Il y
a des choses qu'on ne peut pas faire : riposter
à l'A.L.N. est de celles-là. »
.....
Nous ne fûmes pas désavoués
officiellement par le gouvernement. M. Chaban-Delmas ne se montra
toutefois guère chaleureux en privé. Le 22 février,
à son arrivée à Alger, il répond au général Salan qui veut lui montrer
des Corsair:
«Cachez-moi ces avions que je ne saurais voir... »
Et
il détourna la
tête1.
Dans ses Mémoires, parus sous le
titre L'Ardeur2,
l'ancien ministre prétend que le commandement
« avait négligé d'en référer au
gouvernement » et que «
cela méritait sanction». Il avait probablement prêté peu d'attention à l'accord
que le général Ély
nous avait donné, au nom du gouvernement. Pourtant,
M. Chaban-Delmas admettait qu'il fallait tenir compte «des
conditions insoutenables
» qui « étaient imposées à nos troupes ».
Je fus reçu par M. Chaban-Delmas,
qui ne me cacha pas pouvoir m'estimer heureux d'avoir été couvert par mon
ministre, par lui-même. Il stigmatisa l'action de Sakiet avec véhémence.
J'appréciais fort peu ces propos, et je demandais au ministre si, d'abord, il
désapprouvait l'accord de son chef d'état-major, le général
Ély,
à notre action et ce qu'il aurait fait s'il avait eu une responsabilité
opérationnelle en Algérie.
Nous nous quittâmes assez froidement,
et c'est sans étonnement que je reçus un mot de mon secrétaire d'État à l'Air,
M. Christiaens, me faisant savoir que ma promotion au grade de général
d'armée aérienne, qu'il avait proposée au gouvernement avant Sakiet,
devait être différée et qu'il me faudrait attendre un changement du climat
politique.
Après les événements du 13 mai,
avec l'arrivée au pouvoir de De Gaulle, ma cinquième étoile ne tardera
pas à m'être attribuée.
1 –
Op.cit.,Raoul Salan
2 –
L’Ardeur, Jacques CHABAN-DELMAS(Stocl),
.....
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