Khalfa
Mameri
Réplique aux propos
de Ben Bella
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PARTIE VI
En 1956, le Gouvernement
français ( Guy Mollet et Mendes-France) négociait avec Abane Ramdane à
Alger et Mohamed Khider au Caire et ceux ci répondaient :"Indépendance
sans condition".
Preuves
contre les accusateurs de Abane Ramdane
Par Khalfa Mameri (*)
Que Ben
Bella et Kafi restent
inconsolables pour n’avoir pas pris part au Congrès de La Soummam,
sommet de l’histoire de la Révolution, à en juger par leur propre
acharnement qui les trahit, cela peut se comprendre à l’aune de l’orgueil
et du narcissisme qui, souvent, aveuglent les hommes.
Le témoignage historique et le travail de
mémorialiste sont toujours utiles et bienvenus lorsqu’ils se plient à la
dure loi de la morale et de l’honnêteté.
Est-ce le cas chez nous ? Rien n’est moins sûr pour certains d’entre eux.
C’est ainsi que nous assistons, depuis quelques années, à une falsification
grossière de l’histoire de notre Révolution par certains acteurs qui n’y
ont joué, au total, qu’un rôle secondaire et qui croient compenser un
déficit de réputation ou de prestige par des plaidoyers personnels ou des
attaques contre les leaders de premier plan.
Les attaques lancées de façon répétée contre Abane Ramdane sont
aussi graves que mensongères...
Aucune de ces attaques, ancienne ou récente, n’est appuyée sur la moindre
preuve, écrite ou même orale, qui serait recoupée par d’autres
témoignages. Pourtant, des historiens sérieux et nombreux ont écrit sur la
Révolution algérienne. Eux, qui n’ont aucun intérêt personnel dans les
événements relatés, sinon la recherche de la seule vérité, n’ont à
aucun moment et nulle part porté de telles accusations contre Abane
Ramdane.
Il est clair que si les livres publiés et surtout les archives authentiques
qui existent étaient mieux connus de l’opinion algérienne, à partir des
bancs de l’école, on n’assisterait pas aujourd’hui, et peut-être plus
demain, à des accusations aussi outrancières et totalement fabriquées.
Car la vérité existe. C’est celle des documents historiques
(1/ archives de la Révolution algérienne, de Mohamed Harbi et
2/ Courrier Alger-Le Caire (lettres échangées entre Abane et
Khider, de Mabrouk Belhocine).
Pour réfuter les accusations principales portées par Ahmed Ben Bella
et Ali Kafi contre Abane Ramdane, je m’interdis, par souci de
rigueur scientifique, de me livrer à des interprétations, encore moins à
des spéculations, seulement à la présentation des citations tirées des
deux livres d’archives cités, et que chaque lecteur, chaque Algérien et
Algérienne peut vérifier par lui-même.
L’accusation la plus ancienne, reprise périodiquement par Ahmed Ben
Bella, est que, d’une part, le Congrès de La Soummam n’était pas
représentatif en ce sens que l’Oranie, les Aurès et les forces de l’extérieur
n’y étaient pas présentes, et que, d’autre part, des éléments
modérés et réformistes ont été intégrés dans les organes de direction
de la Révolution.
Libre à Ben Bella de dire ce qu’il veut mais des preuves
authentiques et écrites sont contre ce qu’il avance. Les voici :
1/ Au moment de la tenue du Congrès de La Soummam (20 août-10 septembre
1956), Larbi Ben M’hidi qui en a été président, était bel et bien
le chef historique de l’Oranie, devenue zone V.
2/ Le 27 mars 1956, donc cinq mois avant le rendez-vous historique d’Ifri, Mostapha
Ben Boulaïd, chef des Aurès (zone I) mourait dans des conditions assez
obscures, laissant la région sans chef accepté de tous. Les autres chefs de
la Révolution ne le savaient pas avec assurance même après la mission de Saâd
Dahleb qui me l’a personnellement relatée, revenu à mi-chemin après
avoir rencontré Zighoud Youcef dans le nord-Constantinois.
3/ L’absence des forces extérieures, notamment la délégation du Caire
dont faisait partie Ben Bella, ne s’explique que par des
considérations de sécurité que seuls ses membres connaissent. Car Abane
a toujours voulu et demandé que les délégués de l’extérieur y soient
présents comme le prouve cet échantillon des lettres adressées à Khider
au Caire.
Document n°13 du 1er décembre
1955 :
“Nous projetons de tenir quelque part en Algérie une
réunion très importante des grands responsables du Constantinois, Algérois
et Oranais [Abane reprend le découpage territorial d’alors]. Dès
que tout sera prêt, nous vous demanderons d’envoyer un ou deux
représentants car de grandes décisions seront prises.”
Document n°30 du 3 avril 1956 :
“Nous avons décidé de tenir une
réunion des principaux chefs de la résistance FLN et ALN. La rencontre aura
lieu chez Zighoud dans le nord-Constantinois. Y assisteront le
responsable de l’armée à qui nous venons d’écrire pour venir à Alger, Krim
et Abane de l’Algérois, Zighoud et son adjoint, Ben
Boulaïd et son adjoint et deux éléments de l’extérieur, un
responsable du matériel et un membre du FLN...
Les deux délégués qui rentreront du Caire devront être choisis parmi «le
comité des six» [Khider, Aït Ahmed, Lamine, Ben Bella, Boudiaf et Ben M’hidi].
Envoyez de préférence Ben Bella et Aït Ahmed ou Ben Bella
et Khider”.
Comment peut-on sérieusement accuser Abane d’avoir organisé un
congrès où était éliminé Ben Bella alors que son nom a été
expressivement demandé à trois reprises ? Que Ben Bella n’ait pas
pu ou pas voulu assister au congrès pour des raisons personnelles ou de
sécurité est un tout autre problème que lui seul peut et doit justifier.
Quant aux éléments modérés et réformistes intégrés plus tard dans les
rouages de la Révolution, cela était clairement envisagé dans la
proclamation du 1er Novembre, rédigée par Boudiaf et Didouche.
De plus, peut-on imaginer un seul instant que la libération de l’Algérie
eût été possible sans le rassemblement de toutes “les énergies
nationales” ? Disons les choses encore plus clairement : Est-ce que Benkhedda
ou Ferhat Abbas étaient moins patriotes que d’autres ? La preuve, c’est
qu’ils seront choisis plus tard, l’un et l’autre comme présidents du
GPRA alors que Abane avait été liquidé.
N’est-ce pas, au demeurant, le même Ben Bella qui s’appuiera sur Ferhat
Abbas, entre autres, pour prendre de force le pouvoir au lendemain de l’indépendance
?
L’accusation de Ali Kafi contre Abane est encore plus
extravagante que celle de Ben Bella : “intelligence
avec l’ennemi.” Rien de moins !
Ici on quitte totalement le territoire de la raison et de la mesure pour
entrer dans celui de la passion, de la haine et du règlement de compte.
Car, comme pour Ben Bella, non seulement Ali Kafi n’apporte
aucune preuve, mais plus grave encore, toutes celles écrites qui existent
plaident contre lui.
À commencer par la proclamation du 1er Novembre
qui prévoit expressément des “discussions” avec “les autorités
françaises”.
La position de Abane a toujours été claire et nette car, avant même
le Congrès de La Soummam qui fixera le cadre et le contenu des négociations,
il n’a cessé d’avertir ses camarades du Caire comme le prouvent les
documents suivants :
Document 16 du 6 janvier
1956 :
“Yazid
a parlé d’une rencontre entre vous et des démocrates français (Stibbe
- Steffane - Bourdet)
dans un pays d’Europe pour essayer de trouver une solution au problème
algérien. Nous croyons que ça sera là une erreur. Nous ne discutons qu’avec
les représentants de la France. C’est-à-dire les gouvernants français.”
Document 21 du 20 janvier 1956
:
“Ici [Alger], nous sommes littéralement assiégés par une nuée de
journalistes et d’envoyés officieux du gouvernement français. Notre
réponse est toujours la même : Indépendance sans aucune restriction.”
Document 28 du 13 mars 1956 :
“Mendès-France,
avec l’accord de Guy Mollet, nous a fait
contacter par un de ses amis en vue d’une rencontre à l’extérieur d’une
délégation algérienne (composée de délégués de l’Algérie et de l’extérieur)
et d’une délégation française en vue de prendre contact, de confronter
les points de vue et d’essayer d’arriver à un cessez-le-feu...
S’il y a accord, l’envoyé de Mendès qui
nous a rencontrés viendra vous voir au Caire pour vous exposer plus en
détails la question.”
De son côté, Khider tout en répondant, le 23
avril 1956 (document 32), à la lettre d’Abane,
lui apprend qu’il a, lui aussi, et “seul”, rencontré au Caire un
émissaire du gouvernement français.
Alors comment, en son âme et conscience, Ali kafi a-t-il pu répandre
des propos selon lesquels Abane menait dans le secret des négociations
avec la France ?
Les documents rappelés prouvent le contraire.
Alors quelles explications ? Nombreuses et diverses, elles existent. Je n’en
donnerai qu’une seule pour rester dans une analyse qui s’appuie sur les
documents.
L’absence de Ben Bella et plus encore celle de Ali Kafi au
Congrès de La Soummam constituent à mes yeux la plaie profonde et si
inguérissable des deux accusateurs d’Abane Ramdane.
Tout en étant sur place, Ali Kafi ne figure pas sur le procès-verbal
du Congrès
de La Soummam. Seuls Zighoud Youcef, chef du nord-Constantinois, et Lakhdar
Ben Tobbal, son adjoint, y ont pris part en qualité de membres. Quant à Ben
Bella, toute une série d’explications, y compris des détours
humoristiques, ont été fournis. Il reste que s’il avait voulu et pris les
dispositions nécessaires, il aurait pu participer. Avait-il besoin de l’aide
de Abane pour venir dans son propre pays ? Ben M’hidi l’avait
fait. Pourquoi pas lui ?
Que Ben Bella et Kafi restent inconsolables pour n’avoir pas
pris part au Congrès de La Soummam, sommet de l’histoire de la Révolution,
à en juger par leur propre acharnement qui les trahit, cela peut se
comprendre à l’aune de l’orgueil et du narcissisme qui, souvent,
aveuglent les hommes.
De là à s’en prendre sans preuves à Abane ou à se lancer dans une
sorte de révisionnisme ravageur à l’algérienne, c’est un pas qu’aucun
homme d’État n’aurait osé franchir.
Car il faut sans cesse répéter que sans le rassemblement de toutes les
forces patriotiques et les institutions mises en place au Congrès de La
Soummam (CCE et CNRA), la Révolution algérienne, qui était déjà au bord
de l’effondrement, n’aurait pas triomphé.
Seul Abane a réalisé ce que personne d’autre avant lui n’a fait.
À ce titre, et tout en pesant mes mots, je le considère comme le père de l’indépendance
de l’Algérie, au même titre que les George Washington, John
Adams, Thomas Jefferson, James Madison les “Founding
Fathers” de l’Amérique.
Ceux qui ont pris la responsabilité accablante et ineffaçable de l’assassiner
ont, en fait, assassiné la double idée de démocratie et de cohésion
nationale enfantée dans les djebels algériens.
L’Algérie ne s’en est pas
encore relevée, près d’un demi-siècle après.
R. M.
(*) Auteur
de deux livres sur Abane et Ben M’hidi.
- Ancien ambassadeur.
- Ancien maître de conférences à l’Université d’Algérie.
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