la Guerre
d'Algérie fait encore rage au palais Bourbon.
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janvier 2002 Journal MINUTE Page 3 |
23 janvier 2002
Journal MINUTE Page 3
la Guerre d'Algérie fait encore rage au palais Bourbon.
Faut-il y chercher une illustration de la fameuse « exception culturelle
» française ? La France aime les commémorations saignantes. Sa fête
nationale se rapporte à un fait de guerre civile, dont les héros massacrèrent
une poignée d'invalides, un gouverneur de prison débonnaire et un prédécesseur
de Delanoë à l'Hôtel-de-Ville de Paris. Pour poursuivre sur une
aussi belle tradition, le gouvernement et les élus de la majorité plurielle
fixent aujourd'hui au 19 mars la « journée nationale du souvenir et du
recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre
d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie ».
Au sein du PalaisBourbon, la loi, proposée par le président du
groupe Radical Citoyen et Vert (RCV) Bernard Charles, a été défendue
par la gauche et combattue par la droite. Au cœur du conflit : la date,
privilégiée par les crypto-communistes de la Fédération nationale des
Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA), mais
fortement contestée par les associations de rapatriés, de harkis, et par
l'Union nationale des Officiers de Réserve (UNOR).
La guerre d'Algérie reste bien allumée au cœur de nos querelles
franco-françaises, chargées de sous-entendus idéologiques. Si tel n'était
pas le cas, la gauche s'accrocherait-elle, en réveillant des blessures encore
mal cicatrisées, à la date du 19 mars et au symbole qu'elle porte ?
L'initiative de cette journée de commémoration allonge d'une certaine façon
les 234 mètres de tapis rouge déployés à Orly devant l'ancien
terroriste Bouteflika, et relaie la campagne montée autour des « révélations
» du général Aussaresse. Est-il d'ailleurs bien nécessaire de commémorer
une défaite ?
Cette date rappelle à juste titre la victoire du FLN sur la France,
entérinée par les accords d'Evian le 18 mars 1962. Le 19 devait
marquer la fin des affrontements et le cessez-le-feu. Comme le reconnaît
cependant Jacques Floch, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants et
défenseur du projet de commémoration, cette « date historique marquant la
cessation officielle des hostilités, sinon la fin des combats eux-mêmes »,
n'a « pas apporté immédiatement la paix. »
Un crime d'Etat
Qu'en termes délicats ces choses là sont dites ! Les euphémismes du Secrétaire
d'Etat dissimulent une réalité plus crue :
à partir du 19 mars 1962, le FLN disposa du droit
de vie et de mort sur l'ensemble des populations présentes en Algérie, en
particulier sur les Européens de souche, les Juifs et sur les musulmans fidèles
à la France qu'on désigne aujourd'hui sous le terme générique de «harkis»
: 150 000 d'entre eux paieront de leur vie cette fidélité.
La politique du gouvernement du général De Gaulle et de son
premier ministre Georges Pompidou a été qualifiée à juste titre, le
10 septembre 2001 dans « Libération », par Michel Tubiana, président
de la Ligue des Droits de l'Homme :
« La République a commis en 1962, en Algérie, un crime d'Etat. En
laissant les supplétifs algériens qu'il avait employés, le gouvernement
français les a sciemment exposés aux massacres qui ont été commis.
» Harkis, Mokhaznis, membres des groupes d'auto-défense ou des groupes
mobiles de sécurité, notables musulmans sont massacrés dans des
conditions effroyables, aux portes des casernes où l'Armée française
reste l'arme au pied. Conformément à certaines clauses contenues dans
les accords d'Evian, la plupart d'entre eux ont été désarmés, par ordre
du gouvernement, comme les 150 harkis d'Edgard-Quinet ou ceux de
Bou-Hamama, assassinés à Kenchela avec leurs femmes et leurs
enfants. Les familles, en effet, n'échappent pas à la vindicte : les
bourreaux du FLN valent ceux du FIS aujourd'hui; des villages entiers
subissent ainsi la loi du vainqueur.
Dans son livre Le drame des harkis, le colonel Abdel-Aziz Méliani,
saint-cyrien, rapporte ce constat du sous-préfet Robert, alors en
poste à Akbou :
« Les faits montrent que le rapatriement ne fut
jamais convenablement préparé, ni planifié, même lorsqu'il n'y eut aucun
doute sur les menaces qui pesaient effectivement sur les centaines de milliers
de musulmans fidèles à la France, Il y a pire, alors qu'il était évident
et visible, notamment après juillet 1962, que des dizaines de milliers de
musulmans loyalistes étaient déportés pour être liquidés, les autorités
françaises n'entreprirent aucune opération humanitaire de sauvetage bien que
l'armée disposait sur place de tous les moyens en hommes et en matériel.
»
Eviter la moindre publicité !
Les directives émanant des plus hautes autorités prescrivent au
contraire de cesser de donner asile aux proscrits dans les camps et les
enceintes militaires, et de refouler en Algérie les supplétifs débarqués
en métropole en dehors des directives : c'est ce que demande une directive
adressée par Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes,
au haut commissaire Christian Fouchet, et publiée le 23 mai 1962 par
le journal « Combat ». Avec un rare cynisme, Joxe conclut:
«Je n'ignore pas que ce renvoi peut être interprété
par les propagandistes de la sédition comme un refus d'assurer l'avenir de
ceux qui nous sont demeurés fidèles, il conviendra donc d'éviter de donner
la moindre publicité à cette mesure; mais ce qu'il faut surtout obtenir,
c'est que le gouvernement ne soit plus amené à prendre une telle décision.
»
Les moyens en étaient indiqués : « rechercher
tant dans l'armée que dans l'Administration les promoteurs et les complices
de ces entreprises (ndlr : de rapatriement) et faire prendre les sanctions
appropriées. »
Quant aux Français d'Algérie de souche européenne, un slogan résume le
choix qui leur est offert : la valise ou le cercueil. Nombre d'entre
eux sont assassinés ou enlevés, sans que les autorités françaises s'en
émeuvent.
Ainsi Oran, la ville d'Albert Camus où sévit le général Katz, de triste
mémoire, bascule-telle dans le carnage le 5 juillet 1962: le bilan de
la journée oscille entre 500 et 3000 victimes, tuées ou disparues à
jamais. Ici aussi, on a massacré aux portes des casernes sans que les
soldats français osent enfreindre les consignes pour secourir leurs
compatriotes.
Toutes ces victimes avaient été condamnées à
mort par les accords d'Evian
.
Comme l'expliquait justement Michel Meylan (DL) à l’Assemblée
nationale au cours de la discussion du nouveau projet de loi,
« faire du 19 mars une Journée officiel le de
commémoration reviendrait à les tuer une seconde fois, tant cette date
cristallise à elle seule la souffrance et l'amertume des communautés harki
et pied-noir. »
Il est beaucoup plus douteux qu'à travers le choix de cette date, « la
Nation réconciliée avec toutes les mémoires puisse mettre un terme définitif
à cette guerre »..Quarante ans après le prétendu cessez-le-feu !
Henri Langeau
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