Personnalité
et moralité de De
Gaulle
par
le général Challe
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EXTRAITS
Maurice
Challe, dans son livre : " Notre Révolte
"Presse de la Cité Paris - P.114 - 116
Lorsque le 30 août le chef de
l'Etat, au cours d'un de ses voyages, vient à nous, je suis en mesure de
faire état de résultats substantiels ; je brosse le tableau de la situation
militaire, en bonne voie d'amélioration ; De Gaulle l'a d'ailleurs
constaté.
Sous une immense tente où sont déployées les cartes des opérations, devant
une centaine d'officiers de tout grade, il me répond en ces termes :
" Ce que j'ai
entendu et vu au cours de cette inspection me donne pleine satisfaction. Je
tiens à vous le dire.
Mais le problème n'est pas réglé.
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" Je salue ici ceux qui sont morts et qui mourront encore au champ
d'honneur dans ce pays pour la France.
Vous n'existez que par elle, à cause d'elle, pour elle et à son service.
C'est votre raison d'être.
Vous devez être cohérents, agissant et disciplinés.
Chacun a des responsabilités à son échelon.
Celui que je suis, à mon échelon, doit être obéi pour que la France vive.
Je suis sur que c'est ce que vous faites et je vous en remercie, Messieurs.
Vive la France ".
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Approbation des paroles du chef de l'Etats, telle est la réaction générale.
Cependant les plus avisés, les plus perspicaces, se sont interrogés sur le
sens de la conclusion du discours.
De Gaulle, sur un ton particulièrement insistant et solennel (" ecoutez-moi
bien ") a mis l'accent sur le devoir d'obéissance à son égard :
("celui que je suis doit être obéi pour que la
France vive")
Qu'est-ce à dire ?
Cela paraît dans la conjoncture du moment tellement évident qu'il semble
curieux qu'il est tenu à le rappeler. Aurait-il dans la tête des idées que
l'armée aurait du mal à partager ?
On dit que la conclusion d'un auditeur aurait été : " En somme, il
nous a recommandé de ne pas, quoi qu'il arrive, lui faire ce que le lui-
même a fait à Pétain. "
Quoi qu'il en soit l'effet produit est généralement bon.
Le doute est cependant entré dans quelques esprits.
Il s'élargira peu après, lorsque le 16 septembre, le président de la
République précise sa pensée dans son fameux discours sur
l'autodétermination.
Les remous provoqués dans tout le territoire par cette nouvelle définition
de la politique française agitent surtout les milieux civils,
particulièrement ceux des villes ; ils ont aussi des répercutions sur
l'armée qui est trop imbriquée dans l'administration du pays - beaucoup de
généraux et de colonels exercent les fonctions de préfets et de sous-préfets
- pour ne pas percevoir les réactions hostiles des milieux européens.
Ces réactions inquiètent les officiers d'autant plus qu'ils perçoivent une
hésitation dans le haut commandement ; Alger reste silencieuse.
En effet je n'en sais pas plus qu'un autre et je ne veux pas lancer une
directive, dont je sens la nécessité, avant de m'être assuré de
l'interprétation à donner au discours.
J'attends plus d'un mois.
Fin octobre Delouvrier, que j'ai harcelé, revient de Paris en me
disant : " J'ai fini par tirer un avis de Debré : nous pouvons
dire tous deux que le gouvernement veut que l'Algérie reste française et que
c'est pour cela que l'armée se bat. "
Je vais alors à Oran, à Constantine et je rentre à Alger pour expliquer aux
officiers le sens de notre combat, par l'exposé qui suit :
(Suit l'exposé du Général Challe - P.119 à 125)
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---- Un extrait de la P.124 -
" Mais une autre chose nous gêne beaucoup plus - et j'y reviendrai assez
longuement tout à l'heure : c'est l'audience du G.P.R.A. dans le monde. Il
faut bien avouer que le G.P.R.A. a beaucoup mieux manœuvré que nous. Il a
envoyé par le monde un certain nombre d'émissaires intelligents et nous ne
sommes à égalité d'audience ni en Scandinavie, ni en Allemagne, ni en
Amérique du Sud, ni au Canada, ni aux Etats Unis.
Leur propagande est meilleure que la
notre.
J'espère que nous arriverons à les dominer
sur ce plan-là. Je l'ai dit à maintes reprises au président de la
République et au chef du gouvernent, et l'état-major de la Défense
nationale est en train de travailler dans ce sens. J'ai peur malgré tout que
notre propagande ne s'améliore pas très vite, parce que dans le domaine de
la propagande, comme toute bonne démocratie, nous revenons d'assez loin. Tout
de même un effort est entrepris et il n'est pas nul.
Actuellement, après le discours du général De Gaulle, le
G.P.R.A. est plus ou moins dissocié en différentes tendances : celles des
irréductibles, des " politiques ", etc. et son audience dans le
monde s'en trouve diminuée.
Mais il est certain que même s'il accepte un cessez-le-feu, il n'abandonnera
pas pour autant la partie. Je suis persuadé que les rebelles monteront une
organisation clandestine à l'extérieur et à l'intérieur de l'Algérie de
façon à essayer de vaincre par ce truchement, en obtenant par le moyen de
leurs réseaux ce qu'ils n'auront pas pu obtenir par les armes. Là encore, il
faudra que nous soyons vigilants et que nous montions une parade.
Voilà à peu près la situation générale que je vous ai exposée en bloc à
l'intérieur et à l'extérieur. Je vais vous dire maintenant ce que je
désire que nous continuions à faire tous ensemble et notamment sur le plan
de la tactique à l'intérieur. "
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P.130 - Les Musulmans, qui sont nos partisans, que nous contrôlons, ne
sont pas majeurs parce que, avec la meilleure volonté du monde, nous les
avons tenus et nous les tenons encore en tutelle ; ce n'était d'ailleurs pas
une erreur et ce n'est pas encore une erreur partout. Mais cela pourrait
devenir une erreur grave, parce qu'on n'oppose pas une majorité en tutelle à
une minorité qui s'est libérée les armes à la main sans que la seconde
gagne forcement, même si son appareil militaire est déficient. Si nous
fabriquons des héros de la résistance, une bonne partie du monde musulman
sera avec eux : sinon attention au retour des rebelles dans leur douar. C'est
à nous de faire que la population musulmane soit engagée, et engagée non
pas des prises de position individuelles mais COLLECTIVES : nous avons en
effet des maintenant beaucoup de Musulmans dans nos forces armées, mais ils
représentent là des prises de position individuelles. Ce que je veux ce sont
des prises de positions collectives ; je crois que c'est la condition pour
gagner la paix. Sinon quelle que soit la pression militaire que nous
exercerons même pendant dix ans, la paix sera perdue pour nous et le parti de
la France ".
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P.149 - Car si l'on peut admettre qu'un gouvernement et un chef
d'Etat aient des secrets pour les subordonnés, fussent-ils commandants en
chef sur un théâtre d'opérations, il est impensable qu'un chef d'Etat et un
gouvernement puissent tromper systématiquement ce commandant en chef sur les
buts de guerre alors que ces buts de guerre conditionnent étroitement la
conduite des opérations.
Dans mon cas ou bien en m'ordonnant de lutter pour l'Algérie Française, le
gouvernement ne me trompait pas et je devais donc exécuter par tous les
moyens normaux et légaux appropriés, ou bien il me trompait et alors, tout
cela devenait une histoire de fous. Or, avant de prononcer son discours du 16
septembre sur l'autodétermination, De Gaulle était venu tâter le
pouls de l'armée en Algérie. Je l'avais accompagne pendant plusieurs jours.
Il m'avait complimenté sur la manière dont je menais la guerre. Nous avions
discuté en tête à tête au PC Artois d'où je menais l'opération "
Jumelles ", et a maintes reprises au cours du voyage. Il m'avait à
quelques mots près récité son discours à venir et nous avions parlé des
trois options.
Comme je lui demandais de se prononcer pour la seule option Française, il
m'avait répondu ne pouvoir, en particulier devant l'opinion internationale,
proposer un choix d'options et sans plus attendre fixer son choix sur une des
options. C'était logique et je faisais donc la seule demande à faire à mon
échelon :
" Mais moi, que vais-je dire à
l'armée ? je ne peux demander aux officiers et soldats de se faire tuer pour
la sécession que d'ailleurs vous condamnez. Je ne peux guère leur parler
d'association car ils savent aussi bien que vous et moi qu'en période de
crise aiguë on ne peut prôner un relâchement des liens sans courir à la
catastrophe. Alors puis-je dire que l'armée se bat pour la francisation ou au
minimum pour l'Algérie française ? ".
De Gaulle
noya sa réponse dans un flot d'explications, procédé habituel et je
reposais ma question à plusieurs reprises en demandant instamment des
directives.
Jusqu'à la fin d'Octobre 1959, lorsque Paul
Delouvrier rentrant de Paris me dit :
" Vous pouvez dire que l'armée se bat
pour que l'Algérie reste française. C'est Michel Debré qui m'a prié
de vous dire cela et il confirmera par écrit".
Et le Délégué Général lors d'une tournée qu'il fit dans le bled
développa ce terme. .
Lorsque mon instruction sur la pacification parut le 10 décembre 1959, elle
se referait à cette thèse et j'employais le terme " Algérie française
" plusieurs fois.
J'en envoyai plusieurs exemplaires au Chef d'Etat major général, le
général Ely, au Ministre des Armées Guillaumat, au Premier
ministre, au Général De Gaulle.
Jamais personne ne me dit que j'avais commis là une faute ou une erreur, que
je m'étais rendu coupable de déviationnisme comme disent les communistes
dès qu'on ne récite plus mot à mot le catéchisme provisoire du dictateur
en place. Et cette instruction était distribuée jusqu'à l'échelon
bataillon et encore en vigueur début 1961.
Lorsque pendant la semaine des Barricades, le 29 Janvier 1960, De Gaulle prononça
le discours bien connu, il demanda si il était pensable que lui , De Gaulle,
puisse ne pas souhaiter " la solution la plus française ".
Apres coup, on peut revenir sur le fait que " souhaiter ", ne
veux pas dire " croire possible ". Mais cela est du domaine
de la restriction mentale et quand on s'arrange pour que des millions
d'auditeurs pensent que " souhaiter " veut dire " faire
tous ses efforts pour " il ne faut pas s'étonner que les braves gens
se révoltent quand ils voient qu'on les a trompés.
Or nous savons maintenant que De Gaulle ne souhaitait pas
, que De Gaulle faisait et allait faire tous ces effort pour arriver à
la solution opposée.
Et on envoyait les garçons se faire
tuer pour un mensonge.
Et on engageait à nos cotés des centaines de milliers de
musulmans sachant parfaitement qu'ils paieraient de leur vie leur
confiance dans la France dans la parole de la France.
Tout cela s'es éclairé à la lumière des discours suivants du général de Gaulle
et des actions qui se sont ensuite déroulées (Si Salah - Tricot).
Si moi-même je n'étais pas encore pleinement conscient de cette duperie
, j'étais rendu méfiant par les silences, les réponses légèrement
évasives, les prises de position toujours tardives, les sondages prudents
dont j'étais l'objet soit par De Gaulle soit par Debré et par
les mines d'homme malheureux et les " yeux au ciel " de ce dernier.
C 'est pourquoi, m'étant cependant confié à Paul Delouvrier et lui
ayant exposé le mécanisme de l'action que je comptais mener et dont j'ai
donné le principe, je ne parlais que peux de tout cela et expliquais à mes
subordonnés le détail des affaires sans en faire la synthèse. Seuls quatre
ou cinq officiers de mon Etat-major étaient au courant de l'ensemble.
Pendant ce temps, les Européens d'Algérie s'agitaient et cherchaient des
assurances sur leur avenir en Algérie.(1)
(1)- Ce n'est pas tant d'avoir abandonné des territoires qui fait la
culpabilité de la France que d'avoir abandonné des hommes qui avaient notre
parole et des principes qui sont le fondement de notre civilisation . Et nous
n'étions pas vaincus comme en 1763. Si De Gaulle réussissait
à devenir un Super-Tito, à être à la tête de la cour des Miracles,
à faire du Tiers Monde une troisième force, ce qui est d'ailleurs impossible
parce que le pôle d'attraction est trop faible, il n'en serait que plus
coupable.
Vint ensuite l'affaire Kemski, un journaliste Allemand qui recherchait
un entretien avec le général Challe puis le général Massu...
P.153 -
Plusieurs jours après cette interview et l'ayant oublié, je m'endormais vers
23 heures ou 24 heures du sommeil du juste, quand on me passa Michel Debré
au téléphone.
D'une voix dramatique il me demanda si j'avais lu l'article de Kemski. Je
lui répondis que non. Il me dit alors que Massu avait raconté des choses
abominables et critiqué le chef de l'Etat. Je lui répondis : " c'est Kemski
qui le dit. " dans ce cas me répondit Debré, il me
faut un démenti Bien " immédiat. " " Et je raccrochais. Je
trouvais assez rapidement Massu au bout d'un téléphone et lui racontai
l'entretien. Massu me dit : " Je n'ai pas lu l'article en question mais
s'il est chargé comme on vous l'a dit, il est faux et je démens. "
Je rappelai le Premier ministre et lui dis " Massu dément "
et je me rendormis.
L'affaire, hélas, ne faisait que commencer. Car De Gaulle avait
estimé subir une insulte et Massu, accusé de crime de lèse-divinité,
fut convoqué à Paris par Guillaumat. Celui-ci rédigea avec Massu
une mise au point qui, pensait-il terminerai cette affaire. Cela ne fit que
l'envenimer car de Gaulle était déjà décidé à ce que Massu
ne retourne point à Alger. Sur ses entretiens, j'arrivai à Paris avec
Delouvrier pour une réunion sur l'Algérie qui devait se tenir le 22 sous la
présidence de De Gaulle et à laquelle les commandants de corps
d'armée et les Igames devaient être présents. Je tenais à ce que Massu
revienne avec moi à Alger. J'aurais pu évidemment trouver un autre
commandant pour le corps d'armée d'Alger, car Massu, malgré ses
qualités guerrières indéniables, ne m'était pas indispensable pour gagner
cette guerre. Mais il était celui qui avait non pas prévu ou préparé mais
organisé le sursaut du 13 Mai. Pour les Algérois, il était l'ancien
commandant de la 10eme division parachutistes à la tête de laquelle il avait
gagné en 1957 la bataille d'Alger. Son franc parler ex abrupto, et donnant
l'impression de n'avoir pas été étudié, plaisait aux foules et à leurs
représentants dans les comités de salut public : il était le grand soldat
des Algérois. Il était même considéré par beaucoup de " pieds-noirs
" comme le symbole militaire de l'Algérie française et le dernier
rempart avant " la valise ou le cercueil ".
J'étais évidemment très loin de partager cette opinion mais je la
connaissais et j'en redoutais les éclats.
Pendant trois jours à Paris je fis tout ce qui était humainement possible
pour ramener Massu à Alger. Je convainquis tout le monde sauf…De Gaulle.
Pourtant je vis ce dernier au moins trois fois seul ou à plusieurs et chaque
fois je ramenais l'affaire sur le tapis.
Le 22, après la réunion à laquelle Massu n'avait pas été convié,
je tentai une dernière démarche avec Debré, Delouvrier et Guillaumat
: ce fut en vain. De Gaulle me répéta d'un air exaspéré : "
il ne se passera rien. " Je lui répondis une nouvelle fois :
" Le sang va couler à Alger. " A la sortie je dis à Debré
et à Guillaumat : " Je repars pour Alger, je vais au-devant
d'une mauvaise histoire. Quand elle sera terminée, si je suis resté maître
de la situation, ce qui n'est pas certain, je quitterai mon commandement et
l'armée " et je remis au général Ely une demande de mise en
congé.
(1)- Apres l'affaire, je ne renouvelais pas cette demande, car je
m'accrochais pour durer jusqu'à la fin, que je savais proche, de cette
guerre.
Entre-temps le colonel Alain de Boissieu, gendre de De Gaulle
et mon ancien chef de cabinet m'avait raconté une histoire rocambolesque : le
chancelier Adenauer aurait adressé à De Gaulle une
lettre sur Kemski, lui disant que ce dernier avait pris avec un
magnétophone de poche toute la conversation avec Massu et qu'il
fallait par conséquent faire très attention aux démentis à ce sujet.
Qui voulait-on tromper et qui voulait-on tromper avec cette histoire ?
Toutes sortes d'hypothèses sont possibles et j'en laisse la solution à ceux
qui après-coup, trouvent reponse à tout.
Je partis avec Delouvrier à Alger en fin d'après-midi du 22 janvier
1960.
Suit l'affaire des barricades. Challe écrit dans son renvoi 1 de la
page 155 : que le meilleur récit,, dans la plupart de ses lignes exact, est
celui de Claude Paillat dans le
Dossier secret de l'Algérie (Livre contemporain).
Je releverai simplement un détail très important pour rafraîchir les
mémoires à la page 157 ou Challe écrit :
La manœuvre elle-même n'avait pas été mal montée.
Par un mouvement de tenaille, les paras de Dufour par la rue Michelet,
le tunnel des Facultés, le boulevard Pasteur devaient se joindre avec les
gardes mobiles de DEBROSSE, partis du Forum.
L'exécution fut mauvaise et tous les exécutants accusèrent…les autres !
La progression des parachutistes fut lente mais elle correspondait à l'idée
de manœuvre qui voulait que les positions soient prises en souplesse et sans
heurts. La descente des gardes mobiles sur le boulevard Pasteur fut une VERITABLE
CHARGE.
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Les enquêtes ne donnèrent rien car dans l'affolement général les
témoignages, fort nombreux, se contredisaient.
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P.158 -
Il est indéniable que la manœuvre des gardes fut une erreur grossière.
Quels furent les provocateurs ?
Des hommes du F.L.N. ? Des émissaires des officiers proches de l'Elysée ?
Des gens d'Ortiz ? Je n'en sais rien mais toutes les hypothèses furent
émises. Peut être un jour apprendra-t-on la vérité.
Du dimanche au mercredi soir les renforts affluèrent et le mercredi soir,
j'avais assez de troupes pour maintenir l'ordre sans changer le centre d'Alger
en nouveau Budapest, ce que je ne voulais faire en aucun cas.
C'est ce que je déclarais à Michel Debré lorsqu'il vint de Paris
dans la nuit du lundi 25 au mardi 26 janvier. En effet, malgré ce que j'avais
dit et redit à Paris personne n'avait voulu me croire et la nouvelle du
plateau des Glières fit l'effet d'une bombe. Ce fut l'affolement.
Debré, ce jurisconsulte intelligent et falot, énergique en paroles et
indécis dans ses actes, fut chargé par De Gaulle de venir à
Alger se rendre compte sur place. Car dès la nouvelle de la fusillade du
dimanche 24, les conseils donnés à des gens qui sont en plein dans l'action
par ceux qui n'y sont pas.
Il me souvient même d'avoir eu des réponses assez brèves lorsque ce qui
m'était dit était par trop hors saison.
Debré, Guillaumat et Morris accompagnés du général Nicot
arrivèrent en fin de soirée du 25 à mon P.C.Rignot où depuis la veille Delouvrier
m'avait rejoint pour qu'en raison de la gravité de la situation les
consultations entre nous deux puissent être permanentes et immédiates. Nous
leur fîmes le point de cette situation après un préambule où il me fut
hélas trop facile de leur dire : " Je vous avais prévenu, vous n'avez
pas voulu, De Gaulle n'a pas voulu, me croire et maintenant
voilà : nous sommes dans le bain et vous aussi. "
Ensuite Delouvrier et moi présentions la solution : que De Gaulle
et son gouvernement se décident une bonne fois à être nets et précis, à
ne pas se servir de phrases à double sens, à déclarer qu'ils voulaient pour
l'Algérie l'option française et la révolte tombera d'elle-même. J'insistai
en suite pour que Debré reçut les quinze officiers généraux ou
colonels chefs de corps que j'avais pu rassembler en quelques heures afin
qu'il ne crut pas que j'étais seul de mon avis et qu'il connut l'ambiance de
l'armée.
Il les reçut un par un. Malgré le respect qu'ils devaient au chef en
titre du gouvernement, les officiers lui firent rapidement comprendre en
quelle estime ils le tenaient, lui et ses palinodies. Deux hommes aussi
différents que le colonel Argoud, chef d'Etat-major de Massu,
et mon chef d'Etat-major le colonel Georges de Boissieu furent avec lui
très violents. Apres avoir vu encore quelques notabilités algéroises, Debré
repartit vers 4 heures du matin, parfaitement fixé et sur l'ambiance et sur
la situation et sur nos pensées. Son visage était verdâtre et
décomposé. Je comptais qu'il se souviendrait assez de sa nuit d'Alger pour
essayer d'influencer le général De Gaulle si
tant est que quiconque puisse influencer un personnage qui se moque de la
planète Terre et de ses habitants comme peut le faire un martien.
Je comptais aussi sur l'intelligence nette et démonstrative de Guillaumat
dont je redoutais par ailleurs le manque total de chaleur humaine. D'accord
avec Debré, j'envoyai à Paris pour expliquer
aux puissances de l'Empyrée la situation algéroise, le colonel Georges
de Boissieu et le lieutenant-colonel Dufour,
puis le général Crépin, ancien de la 2eme D.B.
et compagnon de la Libération.
Boissieu et Dufour
revinrent en me disant : " De De Gaulle
au dernier des ministres, ils n'ont rien compris . "
Je sus ensuite qu'à Paris on avait dit d'eux : " Ils sont fous. "
Voilà quelle était la compréhension réciproque.
Quant à Crépin, je ne sais pas ce qu'il pu
dire, mais l'impression qu'il donna fut assez bonne pour qu'il fut appelé
très vite à me remplacer.
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P.160 - Une belle nuit, vers 2 heures du matin, alors que je venais de
m'allonger dans mon bureau, pour essayer de me reposer pendant quelques heures,
je vis arriver deux hommes venant de Paris. C'étaient M. Mamer,
ancien chef de cabinet de Debré et le commandant Lamoulhiate,
du même cabinet. L'épisode est mince mais il est bien représentatif des mœurs
politiques d'une époque. Ces messieurs venaient me suggérer de faire
descendre les Musulmans de la Casbah pour qu'une fraternisation grandiose ait
lieu sur les barricades, ce qui devait entraîner et la fin de la révolte et
une nouvelle ère d'union.
L'idée n'était pas absolument farfelue mais dans la tension du moment le
risque était trop grand. Il suffisait du jet d'une grenade par un fellagha
camouflé pour qu'une tuerie soit déclenchée et qu'on atteignit le résultat
exactement inverse de celui que l'on poursuivait. Je refusais donc. Il eut
été normal qu'un officier de mon entourage me proposât une telle idée et
en réalité nous l'avions déjà examinée.
Mais ce qui était surprenant c'est que le Premier Ministre, sachant ce que
ses subordonnés venaient dire, les ait laissés venir ou même les ait
encouragés. Cette manière de faire permettait de dire que Paris avait donné
le bon conseil si l'affaire réussissait et de jurer que l'on n'y était pour
rien si elle tournait en catastrophe.
Nous, militaires, gens simples et bornés, nous pensons que lorsqu'un Premier
ministre a quelque chose à dire à un commandant en chef, il peut lui envoyer
un ordre, une directive, un message, une lettre confidentielle ou encore même
lui téléphoner. Mais il n'a pas le droit de jouer le jeu en question.
Si je parle ici de cette mince histoire c'est que je sais par mon expérience
et celle de camarades d'autres armées, qu'elle est assez courante dans les
temps que nous vivons.
P.162- A la base aérienne de la reghaia, à proximité de Rouiba, je
recu le général Ely, chef d'Etat-major général, envoyé par le
gouvernement qui a peur que je sois trop clément avec les révoltés.
Ce général, qui est mon chef, me remet la lettre suivante :
NOTE POUR LE GÉNÉRAL CHALLE
Les vues qui me permettent d'avoir ma position et les responsabilités que
j'assume en tant que chef d'Etat-major de la défense nationale, me conduisent
à appeler votre attention sur plusieurs éléments dont vous avez très
certainement conscience, mais auxquels dans votre situation actuelle, il vous
est sans doute difficile d'accorder l'importance qu'ils ont dans le contexte
national et international qu'ils ont dans l'esprit du gouvernement et qu'ils
auront surtout pour l'avenir du pays.
Trois facteurs dominent la conjoncture présente et les proccupations du
gouvernement :
1) Le général De
Gaulle est notre seule chance. Sa retraite
entrainerait la perte de l'Algérie et bien entendu celle de la France et de
l'Occident ;
2) L'Algérie doit rester française. C'est la
raison d'espérer des populations européennes musulmanes et la raison d'agir
pour l’armée et la métropole ;
3) Cette année sera l'élément déterminant
de l'avenir de la France dans la mesure où elle se constituera selon les
normes envisagées.
Or les évènements actuels d'Algérie risquent
de tout compromettre.
Car vous devez savoir que l'attitude que l'armée a aujourd'hui en Algérie
donne à penser à tort, peut être, mais c'est un fait :
1) Qu'elle est apparemment la caution des insurgés ;
2) Que par suite elle est politisée, plus que cela, qu'elle est prête à se
donner une politique différente de celle de la nation ;
3) Qu'elle finira par se séparer de la communauté musulmane ;
4) Qu'elle n'obéit plus enfin à ses chefs.
C'est donc son existence qu'en tant
qu'armée qui est en cause, sa réputation, la confiance du pays en elle…Et
cela au moment même où la situation s'obscurcit fortement en Tunisie.
Il est par suite nécessaire et urgent de la reprendre en main étant entendu
qu’il n'a jamais été question de mener une action de guerre contre des
Français, mais d'assurer le maintien de l'ordre et non pas du désordre. Et
ce serait fausser la pensée du gouvernement que de lui prêter l'intention
d'attaquer des femmes et des jeunes gens.
Ceci étant, pour reprendre l'armée en main, il importe :
1) De faire appliquer les ordres donnés et les dispositions arrêtées par
vous-même d'ailleurs ;
2) D'éliminer ceux qui ne veulent pas comprendre ;
3) De placer aux postes clés ceux qui sont à même de remplir totalement les
missions qu'ils recevront.
Je vous demande donc d'agir dans ce sens, sans chercher à justifier un passé
que je ne discute évidemment pas.
Mais prenez la situation telle qu'elle est dans l'immédiat pour la
transformer de manière souhaitable, car l'avenir repose sur vous, avenir de
l'Algérie certes, mais avenir de l'armée et du pays.
Vous savez que pour cela vous pouvez compter sur mon appuie plus total ; car
vous avez plus que jamais ma confiance. Vous avez celle du gouvernement.
P.163 - Cette note fait apparaître le désarrois le plus complet.
Si je comprends bien, je suis accusé de n'avoir pas l'armée en main et en
même temps j'ai la confiance du gouvernement. Mais manque de sang-froid et
les exagérations ne doivent pas cacher l'essentiel. Fin janvier 1960 ce
général venait me dire de la part du gouvernement :
1) Que l'Algérie devait rester Française ;
2) Qu'il n'était pas question de mener une action de guerre contre des
Français, car les femmes et les jeunes gens dont parle Ely sont
mélangés aux hommes. Et tout le monde le sait.
Et ces directives correspondent très exactement au sens de mon action !
Au même moment je reçois une lettre de Michel Debré ; me disant
entre autre :
" Vous devez savoir que la politique française a été clairement
définie, et, comme il a été dit, continuera.
Elle est présentement la seule, le monde étant ce qu'il est(sic !),à
pouvoir assurer la défense des Français, de leurs intérêts, la sauvegarde
des intérêts fondamentaux de la France et, le maintien de l'autorité
française en Algérie.
Cela sera dit, cela sera redit par le chef de l'Etat qui parlera vendredi à
la nation tout entière. "
Je crois que ceci se passe de tout commentaire.
Le 29 janvier, De Gaulle fit son fameux discours dans lequel il disait
souhaiter la " solution la plus française ".
La solution la plus française étant dans son esprit forcement la sienne, et
pour les auditeurs, forcement, l'Algérie française. Un orage extraordinaire
s'abattit à ce moment sur Alger. Si de Gaulle en fut averti, ce
déchaînement wagnérien des éléments plut sans doute au plus grand
comédien français de tous les temps. Et puis, cela vous avait un petit air
de Moise sur le Sinaï !
Les tractations avec le fortin Lagaillarde allaient bon train, mes troupes
étant plus fraîches et beaucoup plus nombreuses. Le dimanche 31 pourtant la
journée fut encore difficile.
Apres soixante-douze heures de palabres, le lundi matin 1er février, les
révoltés sortaient de leur fortin, se rendaient et étaient amenés au camp
de Zeralda, où un certain nombre devaient former un commando opérationnel et
être engagés dans les djebels avec le 1er R.E.P.
Mais Crépin s'était permis de téléphoner directement à Paris pour
demander des consignes.
Je compris que mon heure avait sonné.
Cependant lorsqu'il demande à De Gaulle ce qu'il doit faire et
s'il doit donner, en cas de pression de la foule, l'ordre d'ouvrir le feu, Crépin
reçoit la consigne de patienter encore vingt-quatre heures. C'est qu'il est
très facile de souhaiter qu'un subordonné se montre implacable, mais qu'il
est plus difficile de l'être soi-même quand on doit en prendre directement
la responsabilité.
Le jeu consiste à désavouer le subordonné après coup, parce qu'il a été
trop dur ou pas assez, est pratiqué depuis toujours par les hommes politiques,
même par ceux qui se veulent très supérieurs. C'est habituel et pas très
joli, mais il paraît que c'est cela la politique.
Pour moi c'en est la contrefaçon. Et encore faut-il que le subordonné se
laisse faire.
A Paris on avait eu très peur : certains pensaient qu'un nouveau 13 mai 1958
sortirait de cette révolte algéroise, d'autres que la République était en
danger. On ne comprenait toujours rien aux questions algériennes. Cependant
l'attitude des militaires inquiétait. Soucieux de ne pas verser le sang de
leurs frères même révoltés mais aussi de rester les maîtres de la
situation algérienne, ils faisaient penser aux entourages de l'Elysée et de
Matignon que l'on ne pourrait ni les tromper beaucoup plus longtemps, ni
donner des directives pour l'Algérie française tout en jouant
progressivement la carte du G.P.R.A.
Il fallait donc en premier lieu changer le commandant en chef qui se
permettait de choisir ses procédés d'exécution et dont la notoriété parmi
les militaires était devenue trop grande depuis qu'il avait montré qu'il
pouvait gagner.(1) Annexe lettre de De Gaulle.
Le 28 janvier, l'avenir reposait sur lui, " Avenir de l'Algérie certes,
mais avenir de l'armée et du pays " ! (1)Annexe lettre de De Gaulle
Le 1er février il venait à bout, sans rien casser, de la révolte.
Le 6 février on lui annonçait qu'il serait muté.
Il fallait le mettre sur une voie de garage où il ne put jouer aucun rôle
actif.(1) Annexe lettre de De Gaulle.
Il importait de déposséder les militaires, bien que la guerre ne fut pas
terminée, des pouvoirs considérables qui leur permettaient de mener à bien
la pacification.
Enfin, les unités territoriales s'étant montrées à Alger du coté de la
population il fallait les désarmer et les dissoudre pour qu'à l'avenir la
résistance de la population fut moindre.
Ainsi dans la plupart des départements les pouvoirs des autorités civiles
furent notablement augmentés et les militaires dépossédés dans la même
mesure. De plus, on fit venir de nombreux préfets et sous-préfets de la
métropole spécialement choisis pour leur ignorance des réalités
algériennes.
(1)- Cette
vague de nouveaux fonctionnaires conditionnés fut surnommée par l'armée
" Promotion de la Grande revanche ".
Les unités territoriales furent dissoutes et la Fédération des U.T. et des
auto-défenses mises en sommeil. Or j'ai déjà dit que c'est sur elles que je
comptais pour terminer la guerre et surtout assurer la paix.
Enfin il fut décidé par De Gaulle que je serais
remplacé par un militaire plus souple, plus compréhensif. Mais il ne pouvait
plus être question de me donner, comme cela m'avait été écrit, la plus
haute charge militaire française, car j'aurais pu ne pas y être assez soumis.
Et c'est ainsi que j'échouai à Fontainebleau, au commandement des armées
alliées de Centre-Europe.
Pour ne pas avoir changé Alger en nouveau Budapest et pour avoir montré que
j'avais malgré les doutes parisiens, l'armée d'Algérie en main, j'avais
manqué l'occasion d'être un grand homme… de la Vè. République !
Mais si les mesures générales furent très vite prises, l'occasion était
favorable, celles qui me concernaient me furent annoncées avec beaucoup de
ménagements.
Dame ! A la tête de 500.000 hommes et avec des idées personnelles, j'étais
un homme dangereux ! Et cependant j'étais sans doute plus démocrate que
l'Elysée et Matignon réunis.
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P.167 - Au bout de quinze jours on ne parlait plus du remplacement d'Ely.
Enfin, après mon dur labeur des dix-huit derniers mois, il fallait que je me
repose un peu pour arriver très frais à Fontainebleau.
Je dois avouer que je ne mettais pas beaucoup de bonne volonté à jouer dans
cette comédie. Le " Yakevouki " que l'on vous sert depuis la
plus tendre enfance quand il faut vous faire absorber de l'huile de foie de
morue ne m'émouvait plus. Je m'accrochais même désespérément à mon
poste.
En effet, par les prisonniers que nous faisions j'étais au courant du moral
des rebelles. Et il était très mauvais. Les accusations des fellaghas contre
l'impéritie du G.P.R.A. étaient incessantes. Un gradé important pris vers
Palestro avoua que les cadres en avaient assez et voulaient rentrer chez eux.
Pour moi la paix était donc une affaire de quelques mois.
Seuls les Aures-Nementcha que j'avais donné l'ordre d'attaquer avec trois
divisions le 19 avril, et une faible partie de la wilaya 2, avaient encore une
structure valable. Le reste de l'organisation rebelle était tronçonné,
disloqué. Les transmissions ne se faisaient plus que par estafettes car nous
avions pris tous les postes radio. Les bandes étaient réduites à quinze
hommes et moins. Elles étaient sur la défensive, ne songeant qu'à échapper
à notre étreinte et, pour ne pas se signaler, ne tiraient plus au fusil
mitrailleur quand il leur en restait.
C'est alors que survint ce que l'on appelé l'affaire Si Salah.
P.169 - Mais je n'entendais pas partir à la sauvette. Nous eûmes avec
Debré une dernière conversation assez violente dans un bureau du
Palais d'Eté, au cours de laquelle je lui demandai si son gouvernement avait
besoin de chefs militaires ou de descentes de lit et je partis en claquant la
porte.
Dans notre beau pays qui vit dans le passé tant de caractères, tant d'hommes
d'honneur aussi bien civils que militaires, on est considéré comme un
général républicain que si on se couche.
Sans remonter très haut dans l'Histoire, les exemples abondent en 1914/18, en
1939/45 et depuis.
Cela ne peut tenir qu'à la toute petite envergure de nos politiciens depuis
un demi-siècle.
Le délégué général Delouvrier me fit grâce, allant à Paris,
d'intercéder pour moi. Et le 19 avril alors que je déjeunais à l'hôtel de
la division d'Oran avec le général Gambiez commandant le corps
d'armée et ses principaux officiers, Delouvrier me téléphona en me
disant : " J'ai enlevé le morceau, vous partirez le 23. Je vous en
raconterai une bien bonne à mon retour. "
Il me la raconta effectivement. Pour obtenir que je ne parte que le 23 avril,
il avait dû aller jusqu'à De Gaulle et lui faire signer un
papier. Comme il sortait du bureau de De Gaulle il alla dans un
bureau à coté pour me téléphoner la nouvelle.
Il y rencontra Chodron de Courcel, qui apprenant ce qui venait de se
passer, lui dit : " Il n'est pas possible que Challe soit en
Algérie au moment où De Gaulle part pour le Canada. "
Voilà le secret de cette hâte, de ce remue-ménage malodorant.
Comment font pour vivre vieux ces personnages qui suent de peur à toute
minute ?
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P.175 - Nous avons tous, et moi le premier, un tort : c'est de ne pas
avoir été les plus forts. Il s'agit de voir en détail pourquoi, afin que
notre exemple puisse un jour servir.
A mieux faire.
(Que le général CHALLE et ceux qui l'on suivi, se rassurent. Son
exemple sera toujours présent dans notre mémoire. Nous et les nouvelles
générations serons toujours là pour le rappeler. )
Lors du voyage de De Gaulle en Algérie en décembre 1960, un
début d'insurrection civile eut lieu, à Alger en particulier.
Le mouvement très fragmentaire et non coordonné échoua.
Seuls des jeunes gens avaient été lancés dans la bagarre et malgré leur
courage et leur action de plusieurs jours ils ne purent tenir contre les
forces de répression.
Quelques militaires seulement avaient été consultés. Devant
l'impréparation manifeste et le peu de profondeur du mouvement, ils
refusèrent au dernier moment de participer à ce qu'ils estimaient une
tentative vouée dès le départ à l'échec.
Il faudra d'ailleurs mettre au clair, un jour, dans quelle mesure le
gouvernement joua dans cette affaire le rôle de catalyseur.
Deux officiers avaient été
envoyés par l'Elysée à Jouhaud pour lui dire que le gouvernement afin
d'avoir un atout dans ses négociations avec le G.P.R.A., ne s'opposerait pas
à ce qu'un gouvernement d'Algérie française soit mis sur pied à Alger.
Des témoins existent de cette manœuvre
et il sera facile de faire la lumière sur la provocation délibérée.
G.I. Commentaires
(La magouille continue. Plus rien
n'étonne personne. De Gaulle et Debré sont désormais connus des pro-français.
Nous, pieds-noirs, nous le savons et nos espoirs s'amenuisaient lentement mais
sûrement.
D'autant plus que les généraux de ce qui restait de la vraie armée
pensaient d'avantage à leur carrière qu'au future de l'Algérie qu'ils s'en
foutaient comme de leur première sucette).
P.176 - La tension algérienne monta encore lors
du referendum du 8 janvier 1961. Les ordres donnés par certains chefs
militaires de faire voter oui (ce qui était vraiment paradoxal pour une
armée à qui le gouvernement reprochait de se politiser), le truquage des
urnes par certains administrateurs zélés, la tromperie à l'égard des
Musulmans à qui on représenta très logiquement que voter oui c'était voter
pour la France, toutes ces hypocrisies aggravèrent encore le climat, jetant
la plupart des Européens dans l'opposition et les Musulmans dans
l'incompréhension définitive de la politique française.
L'annonce de la reprise des négociations d'Evian entre le G.P.R.A. et le
gouvernement français (négociations qui avaient échoué à Melun en juin 60
mais n'avaient pas moins produit un effet fâcheux sur les Musulmans servant
dans l'armée française) fit encore monter la tension et ancra les Européens
dans l'idée, évidement justifiée, que De Gaulle abandonnait
l'Algérie au F.L.N.
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P.177 - La presse Francaise était remarquablement efficace et Le
Monde et l'Express faisaient depuis longtemps des dégâts
considérables en métropole, à l'étranger, en Algérie chez tous les
Musulmans, amis et ennemis. Son cheval était magnifique. Il fallait, au nom
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, laisser l'Algérie à son
destin algérien, faisant montre ainsi de la générosité francaise une belle
trinité. Derrière tout cela, le G.P.R.A. et ses entremetteurs comme Fares.
Les Musulmans avec qui nous discutions étaient éberlués, même ceux qui par
mesure de sage précaution payaient les impôts F.L.N. Ils ne comprenaient pas
très bien pourquoi le gouvernement semblait avoir une thèse et la presse une
autre. Ils demandaient tous, bourgeois et fellahs, avant tout à être "
français à part entière ", comme de Gaulle le leur avait dit et
n'avaient que mépris, tempéré de peur, pour les criminels du G.P.R.A. et
leurs exécuteurs fellaghas. Ils les traitaient de va-nu-pieds et de bandits
de grand chemin.
Et voilà que le prophète avait l'air de suivre sa
presse.
Il était passé de l'Algérie française à l'autodétermination, de celle-ci
à l'Algérie algérienne et s'entêtait à valoriser contre vents et marées
un G.P.R.A. déliquescent, car il fallait bien faire semblant de passer
l'Algérie à une organisation stable moyennant un traité en bonne et due
forme.
Il fallait obtenir des garanties pour l'opinion publique, sachant pertinemment
que nos garanties s'évanouiraient dans des " péripéties "
inévitables.
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P.178 - Les Européens étaient comme d'habitude divisées. Ils le
resterons d'ailleurs malgré les tentatives d'union, et leur désunion
entraînera finalement leur perte. Combien est regrettable cette impuissance
à s'unir, même dans les plus grands dangers, chez cette race bien
méditerranéenne malgré ses origines diverses, instable et même anarchique,
violente mais fière, travailleuse, courageuse. A ce moment existait le Front
pour l'Algérie française qui donnait une impression de cohésion et donc de
force. On commençait à parler de l'organisation de l'armée secrète (O.A.S.)
mais seuls des groupuscules représentaient cette armée secrète qui n'était
ni structurée ni commandée. Le seul chef civil vraiment capable
d'organisation et de rendement était depuis longtemps hors de combat.(1)
En effet Ortiz se trouvait en Espagne depuis la fin des Barricades
".Je cois que lors des Barricades, Ortiz avait compris qu'il
fallait me faire confiance. Il ne devait faire cause commune avec Lagaillarde,
tombé dans le panneau du départ de Massu, que le 25 janvier,
c'est-à-dire lorsqu'il avait estimé qu'en ne rejoignant pas le fort Chabrol
des Facultés, il se coupait de ses troupes. Et à la fin de l'affaire, il
avait pris la fuite, pensant à juste titre que les sanctions les plus graves
seraient pour lui.
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P.182 - J'estimais, ayant étudié depuis un an en métropole les
réactions de cette opinion, qu'elle ne nous était pas du tout favorable
comme cela avait été le cas en mai 1958, à un moment où, lassée des
exercices de figuration gouvernementale, genre Châtelet, de la IVè.
République , elle était prête à accepter n'importe quoi pourvu que cela
change.
Depuis, l'Homme Providentiel s'était servi de
l'Information. L'opinion était persuadée que, grâce à lui, la
guerre d'Algérie allait finir(elle ne savait pas dans quelle conditions honteuses)
et que la métropole, enfin en paix, pourrait jouir de ses gains matériels
sous la conduite de " son guide " éclairé
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P.185-186 - Retournant à Lyon pour la fin de semaine, je comptais y
rencontrer mon ex-chef d'état-major, le colonel Georges de Boissieu.
J'avais et j'ai toujours la plus entière confiance en cet officier
remarquable, dont le jugement précis et pondéré m'avait aidé
considérablement lorsque j'étais commandant en chef en Algérie.
Georges de Boissieu connaissait les unités et les officiers d'Algérie
et après être resté quelque temps chef d'état-major de mon successeur Crépin,
commandait depuis six mois le secteur de Djidjelli. Il venait en Bresse
prendre dans sa famille quelques jours de repos. Je m'entretins avec lui à
l'aérogare de Lyon-Bron. Je lui fis part de mes prévisions ultra-pessimistes
concernant la politique de De Gaulle et les suites de la comédie que
l'on se préparait déjà à jouer à Evian.
Il fut entièrement de mon avis. Faisant ensuite le tour de la situation en
métropole et en Algérie, il me dit : " La métropole, hypnotisée par De
Gaulle, serait opposée à une tentative civile ou militaire en
Algérie. " J'en convins et lui demandai ce qui se passerait si je
prenais la tête d'une rebellions militaire en Algérie. Il me répondit alors
: " Avec vous l'armée d'Algérie marchera tout entière et vous ferez
très vite la paix en Algérie, mais alors quid de la métropole ?
" Je lui retorquai que je n'avais pris aucun engagement auprès de
quiconque, mais si on laissait aller, l'Algérie serait
perdue dans le chaos, le sang et les horreurs et qu'ensuite la
métropole risquait de payer de sa lâcheté par une guerre civile. Par-delà
la mort de la démocratie française la vie même du pays me paraissait en jeu.
Si au contraire nous pouvions sauver l'Algérie, l'opinion métropolitaine
transformée nous donnerait barre sur le gouvernement. En outre, nous aurions
alors la force, et disponible.
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P.187 - Le 11 avril 1961, De Gaulle annonçait clairement
le " dégagement ", savoureux euphémisme, et souhaitait " bien
du plaisir " à ceux qui prendraient notre suite.
On endormait le peuple gentiment, qu'il y aurait des garantis formelles, que
l'armée française serait garante. Toutes choses que nous, qui connaissions
l'Algérie, savions fausses et destinées seulement à tromper les nombreux
métropolitains acquis au lâchage de l'Algérie, mais qui par un sursaut de
fierté nationale à retardement, ou par simple humanité, tenaient à se que
le dégagement se passe dans l'ordre et la dignité !
Apres sept ans de guerre dure, ce n'était pas possible.
Il n'était que de connaître les tueries, les purges sanglantes que les chefs
rebelles avaient à maintes reprises infligées à leurs propres cadres et
troupes pour savoir quelle serait leur attitude.
Sans paix française, imposée par l'armée française, il n'était pas
possible que l'Algérie puisse progresser, puisse même subsister normalement,
quelles que soient les institutions dont elle serait dotée.
Pour éviter à mon pays un parjure qui se terminerait dans la honte, et à
l'Algérie une aventure qui la ferait régresser et tomber dans la misère et
le chaos sanglant, le 12 avril je donnais mon accord. (accord de prendre la
tête du putsch)
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P.189 - Cependant l'Algérie, prouvée par sept années de guerre ne
pouvait être soumise à un traitement compliqué.
L'Algérie ne pouvait sortir de cette guerre que française ou anti-française.
L'association après la lutte était une chimère. (1)A peine bonne pour
appâter les gogos dans les referendums.
Il fallait faire la paix , cette paix que De Gaulle avait repoussée
en 1960, et laisser les passions se calmer. Seule l'armée française pouvait
à la fois maintenir la paix et servir d'encadrement provisoire à une
province sous-encadrée.
Le statu quo ante était donc indispensable pendant quelques années, assez
peu en vérité, le temps de réaliser deux ou trois plans de Constantine et
de lancer la province sur la route du progrès. Ensuite il fallait fédérer
l'Algérie au même titre que les autres provinces françaises. Et si la
Fédération Européenne était enfin créée (pas cette Europe impuissante
des patries, idée gaullienne et fumeuse), l'Algérie pourrait alors choisir
entre l'appartenance à l'Europe au sein de la Fédération française ou à
ses cotés.
Tout autre conception aboutissait à rejeter l'Algérie dans la misère
d'où il s'agissait précisément de la faire sortir. Une misère insolente et
mendiante comme celle de ces pays du Moyen-Orient qui voient des potentats
dictateurs régner sur des peuples d'esclaves au moyen de la radio et de la
télévision en persuadant leurs sujets qu'ils sont les citoyens indépendants
d'une démocratie éclairée.
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P.194- Depuis, deux hommes m'avaient succédé et le premier en date, Crépin,
qui avait duré presque un an, avait continué à appliquer ma tactique, avec
moins de vigueur sans doute, mais avec honnêteté. Ainsi, début 1961,
l'adversaire était très disloqué.Il se cramponnait pour durer depuis que De
Gaulle avait en juin 1960 rejeté la paix offerte, mais il ne pouvait
plus résister très longtemps à une action vigoureusement conduite.
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P.233 234 235 - Je pensais que nous devions nous limiter en tout état
de cause à la défense et au développement de la métropole, de l'Algérie-Sahara,
et des quelques territoires qui passeraient avec nous un véritable contrat
d'association. D'aucuns ont pensé que c'était encore trop. C'est sous-estimer
gravement la vitalité, la générosité et le potentiel économique
française Je pense encore aujourd'hui que c'était possible surtout quand on
constate que nous continuons à donner de l'argent, beaucoup d'argent à des
peuples qui nous insultent souvent et au minimum prennent position contre la
France devant les instances internationales sur des problèmes que celle-ci
estime vitaux.
Et le peuple français qui plébiscitait De Gaulle lorsqu'il
annonçait que l'Algérie française nous coûtait beaucoup trop cher,
continue à l'approuver le plus sérieusement du monde quand il couvre de
milliards une Algérie indépendante qui remercie en massacrant nos
ressortissants et les musulmans pro-français.
Comme quoi le mensonge et la duperie deviennent vérité et fine politique, à
condition de crier très fort.
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Mais il est bien entendu que c'est toujours le voisin qui est colonialiste. En
particulier chacun sait que la France, bien qu'elle abandonne tout son domaine
et même qu'elle le jette à toute allure par-dessus bord, est colonialiste.
D'ailleurs tout est possible dans ce pays où on a rebaptisé la veulerie du
nom de grandeur. Tandis que la Russie n'est pas colonialiste. Demandez, si
vous pouvez et s'ils peuvent répondre, leur avis aux ouvriers hongrois ou
polonais, aux autochtones du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan ou
autre Kirghizie. Quand aux Allemands de l'Est, ils sont tellement d'accord,
qu'il a fallu les mettre en cage.
Les Etats-Unis d'Amérique ne sont pas colonialistes. Demandez aux habitants
du Japon, de la Corée, de Formose, du Laos et même du Congo ex-Belge.
Les Indes ne sont pas colonialistes. N'est-ce pas, gens du Cachemire ?
L'Indonésie n'est pas colonialiste. Mais elle tient essentiellement à faire
le bonheur des Papous de Nouvelle-Guinées. Et dans cette affaire les
Hollandais se conduisent comme les Français…des Français de 1962 !
Savez-vous ce que fut le colonialisme français ? Il fut l'œuvre de
militaires agissant neuf mois sur dix à l'insu de leur gouvernement en allant
porter secours à des chefs de tribus qui demandaient à être défendus
contre les pillards, contre les exactions de féodaux sanguinaires. Et malgré
un siècle de paix française, il fallait encore pourchasser en 1959 des
caravanes d'esclaves que les marchands arabes partant de Mauritanie et du
Niger allaient vendre sur les bords de la mer Rouge. Tous ces pays étant
indépendants, ce fléau a sûrement cessé, sûrement !
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Et l'Algérie dans tout cela. Pourquoi ne pas lui appliquer les mêmes
remèdes qu'a l'ex-Communauté ? C'est-à-dire l'indépendance et une
politique d'association. Et n'est-ce pas le programme de Monsieur De Gaulle
? C'est bien cela, mais ce n'était pas applicable. De Gaulle et ses
thuriféraires commencent à s'en apercevoir, trop tard. Il fallait écouter
en temps opportun ceux qui savaient.
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P.242
- Le 1er JUILLET 1962 , De Gaulle a envoyé l
'Algérie allégrement par-dessus bord, rejetant l'Afrique hors de l'Europe.
Ceux qui s'opposaient à ce geste étaient pour lui des attardés, des gens
qui voulaient freiner le courant de l'Histoire, ou pis, le remonter.
Pour d'autres, qui pensaient comme lui, les opposants constituaient une
poignée de profiteurs locaux, cherchant uniquement leur intérêt et alliés
à un certain nombre de militaires épris de conquêtes ou défenseurs
intrépides de territoires volés.
Ils s'opposait seul à l'émancipation d'un peuple, à une colonisation
inévitable.
Pour d'autres encore, et ce fut la majorité du peuple français, une guerre
lassante et sans issue devait se terminer au plus vite. Un seul homme pouvait
la terminer, De Gaulle.
On connaît le résultat ! Il dépasse les espérances de ceux qui l'on
cherché.
Pour ne pas être accusé de partialité, pesons ce résultat dans le Rapport
du 29 novembre 1962 de M. J-M. Jeanneney, ambassadeur de De Gaulle
auprès du gouvernement d'Alger.
Je cite : " Les rapports unanimes de nos consuls
constatent ce glissement général des départements algériens vers un "
niveau de vie " qui ne sera nullement comparable à celui que la
France avait artificiellement (1) assuré à l'Algérie.
(1)Ceci veut dire sans doute que l'Algérie coûtait plus qu'elle ne
rapportait. Mais d'une part il en est de même pour la Bretagne, l'Auvergne et
de nombreuses provinces de la métropole, d'autre part dans un pays encore
neuf il est évident qu'il faut investir avant de récolter, si le pays en
vaut la peine. Et d'ailleurs l'Algérie indépendante, malgré les promesses
une fois de plus non tenues, coûte plus cher qu'auparavant.
Cela était sans doute une des conséquences inévitables de l'indépendance,
mais les accords d'Evian, s'ils avaient pu être appliqués dans le
contexte prévu, en auraient limité l'ampleur.
Il est de plus en plus clair que la colonie française n'a de chances de
subsister qu'à Alger et dans quelques grandes villes qui resteront peut être
comme façades modernes et occidentalisées d'un pays retombé, pour de
nombreuses années, en arrière. "
On ne peut être plus clair dans la modération. Mais on peut répondre que De
Gaulle savait cela. Il me l'avait laissé entendre, sur la fin comme à
d'autres. Il appelle de retour en arrière, maladie de jeunesse ! Il savait
aussi, mais il ne l'a pas dit aux Français, que les
accords d'Evian n'avait aucune chance d'être observés.
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Les liquidations sous son règne n'ont pas toujours été faciles, mais les
résultats sont aussi brillants que rapides. La Communauté, l'Algérie et le
Sahara, l'Europe des Six, l'OTAN : voilà des abandons qui suffisent à vous
donner un NOM dans la mémoire des hommes quand on limite son ambition à cela.
Si De Gaulle vivait encore vingt ans, et si le support que constitue
pour lui l'hexagone français était suffisant, peut être pourrait-il
construire quelque chose, copiant ainsi son modèle, Kemal Atatürk.
P.245 - 246 - Un périodique (la Nef. Cahier
trimestriel, n.12-13. Histoire de la Guerre de l'Algérie suivie d'une
Histoire de l'O.A.S., chez Julliard.) vient de rassembler, à propos de
l'Algérie, des commentaires intéressants et variés, qui permettent de se
rendre compte de l'état d'esprit des intellectuels et journalistes qui ont
pris le parti du F.L.N. contre leurs compatriotes.
Il est curieux de constater qu'en 1963, ces hommes, par ailleurs sans doute
avisés et sincères et se voulant d'avant-garde, sont des nationalistes
fervents !
Comme si, en 1963, on pouvait être nationaliste sans retarder presque autant
que De Gaulle.
Je dis nationaliste et non patriote.
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Sans doute la plupart de ses intellectuels et journalistes ignorent-ils les
tensions internes des populations d'Algérie.
Cependant, parmi eux, un homme comme Jean Daniel devaient les
connaître, car il est algérien, et de plus, il a pu souvent les constater
dans le microcosme du G.P.R.A. de Tunis.
Les Kabyles et les Arabes ne se comprennent qu'en
employant le français. Les Mozabites sont aussi différents des bourgeois de
Tlemcen ou de Blida que ceux-ci des montagnards des Aurès.
Il est très vraisemblable que malgré les efforts touchant de De
Gaulle et autre Sartre ou Viansson-Ponté, malgré les
centaines de milliards dépensés par la France pour que la politique de de Gaulle
ait un sens, les tensions internes non compensées disloqueront
l'Algérie ou la cantonneront dans une misère organique dont elle ne
peut sortir seule.
Ainsi le sens de l'Histoire consiste-t-il pour certains à redescendre de la
collectivité de cent millions d'hommes à la tribu ou à la meute.
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P.257 - On sait maintenant que De Gaulle
voulait à tout prix brader l'Algérie pour arriver aux splendides résultats
que l'on voit aujourd'hui . (JANVIER 1963)
Porté au pouvoir par une révolte en faveur de l'Algérie française, il
semble épouser d'abord les idées de ceux qui l'ont mis sur le pavois. Et il
pousse les mêmes clameurs : " l'Algérie
restera française " " dix
millions de Français à part entière ", " La France de
Dunkerque à Tamanrasset ".
J'en passe. Tous les Français savent cela par cœur.
ET IL DONNE LES ORDRES EN CONSÉQUENCE. Puis par un decrescendo habile, il
passe à l'Algérie algérienne, puis à l'indépendance.
Pendant ce temps, l'opinion est conditionnée par une propagande bien faite.
Et l'on assiste à ce spectacle effarant de majorités considérables de
citoyens approuvant par des referendums périodiques et bien dosés les
variations savantes du pouvoir. Ces citoyens finissant par approuver
l'Indépendance, avec presque le même pourcentage qui avait proclamé
l'Algérie française.
Dans le même temps l'armée RECEVAIT TOUJOURS LES MEMES ORDRES.
Apres quoi, on fait constater que cette armée n'est plus en accord avec la
nation, ce qui est impensable, et on la démolit allègrement au cri de "
DISCIPLINE ".
L'énorme imposture a réussi
Ceux qui écœurés ont dit non et tenté de tenir la parole donnée, sont
jetés en prison. On se garde bien d'exécuter les plus connus, afin de ne pas
trop faire crier et on fusille quelques jeunes. Ce qui accentue la distorsion.
Et le peuple souverain applaudit à toute cette
démolition, à tous ses abandons, à sa propre servitude.
Tout cela est remarquablement joué. C'est de l'Art !…Sans plus…Mais il
faut bien avouer que les recettes de cuisines de Machiavel pour petits
princes de la Renaissance ont été supérieurement mijotées.
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P.258 - Et maintenant ?
Au temps des bateleurs, que deviendra la France dans ce gâchis ?
La rouerie, l'intelligence de la riposte, l'intransigeance foncière de de
Gaulle, sa vue rétrograde des grands courants mondiaux nous amèneront-elles
à l'anarchie ou au communisme démodé, ou à la soumission aux U.S.A. ?
Espérons seulement que l'étape gâchée, la construction de l'Europe et de
l'Eurafrique sera encore possible après son règne.
Car ce palier est raisonnable et nécessaire avant des unions plus importantes.
Le sauter rendrait la formation des Etats-Unis d'Occident difficile et peut
être impossible…pour ce siècle.
Prison de Tulle, janvier 1963
G.I. Commentaires
(Il
faut reconnaître que De Gaulle était un
fou. Je me demande pourquoi il en voulait au monde entier le bougre ?
Il changeait d'avis comme il devait changer de chaussures. Tantôt c'était
bleu-blanc-rouge tantôt c'était blanc-vert avec un croissant rouge. Et tout
le monde le suivait.
Si Challe et Zeller
n'ont pas été fusillés ce n'est certainement pas grâce à De
Gaulle mais à l'avocat-général Besson
qui n'avait pas suivi les ordres de De Gaulle et
du gouvernement. L'on sait que De Gaulle avait
piqué sa crise et ça lui avait même coupé l'appétit se trouvant au moment
de la sentence à une grande réception. (MOI JE).
Depuis Besson avait démissionné(?) par
honnêteté car il n'approuvait pas la façon originale et personnelle dont De
Gaulle concevait la justice. (Vu ce qui se passe aujourd'hui ça n'a
pas changé beaucoup (MARS 2002).
Je pense plutôt que ce fut certainement une démission imposée. Nous
connaissons suffisamment De Gaulle, Debré
et compagnie pour savoir de quelle façon ils agissaient.
De Gaulle avait tout intérêt à voir Challe,
Zeller, Saland et Jouhaud plutôt morts
que vivants. Si nous réfléchissons un peu il est facile de comprendre que
ces généraux l'avaient démasqués, qu'ils étaient en possession de
documents compromettant prouvant sa félonie et les divulguer par la suite.
C'est ce qu'ils ont fait d'ailleurs ce qui permet aujourd'hui de le confronter
et de l'envoyer devant un tribunal national et international.)
P.307 - De Gaulle
a porté le premier coup et le plus rude, avec son rêve olympien et
irréalisable d'Europe gaulliste, en refusant tout essai de structure
politique même timide, en rejetant brutalement la Grande-Bretagne, en
traitant les chefs d'Etats et de gouvernement comme il traite ses ministres,
c'est-à-dire comme des domestiques. Tout ceci au nom de l'Europe, évidemment,
car s'il détruit tout ce qu'il touche, c'est toujours
au nom de ce qu'il détruit(1).
(1)- Ceci n'est nullement un paradoxe pour qui a étudié et connaît bien le
caractère de De Gaulle.
Comme son seul et unique but est de dominer, ce dont il ne se rend
pas tout à fait compte lui-même, sa stratégie est une stratégie de moyens
plutôt que de but. Quoi qu'il arrive et quels que soient les éléments, il
doit opposer. Mais sa justification vis-à-vis de lu-même et des autres est
dans l'identification à des symboles successifs.
Si le succès avait couronné ses efforts, il eut dit : "Moi
l'Europe", et mieux : "Moi le
Monde", comme il dit : "Moi la
France."
Au fond, la chance de la France est passée en septembre 1958 quand les
Anglo-Saxons ont refusé le projet de direction à trios de de Gaulle.
Ne pouvant s'attaquer immédiatement à la tête , il a bien fallu qu'il se
contente de partir du support qu'il avait. Il a repris en main et dressé sa
monture. On sait ce que cela a donné.
25 novembre 1964.
P.325 - Partout, plus on parle, moins on agit. En France, on parle
beaucoup, de plus en plus.
Il est vrai que les Français, ayant remis leur
pouvoir de décision dans les mains d'un seul homme, ne peuvent agir sans que
cet homme ait décidé.
Or la nature qui en a fait un fin manœuvrier de politique intérieure, ne lui
a donné la faculté de décider que dans un seul sens. Il a l'air résolu, il
est intransigeant, son énorme caractère
fait croire à une puissance d'action extraordinaire. Mais tout l'esprit de
décision qu'il peut posséder ne s'exerce que dans une seule direction. Parce
qu'il n'a pas le sens de la mesure dans la construction, il est incapable
de passer du fondement au faîte. Mais comme il a fait place nette pour poser
des fondations, il n'est somme toute qu'un virtuose
de la démolition.
Car à son actif on peut compter un nombre impressionnant de démolitions ou
d'abandons. En sept années de pouvoir absolu, il a vraiment
tout cassé de ce qui faisait encore la force de son pays, hors de
l'hexagone et dans l'hexagone.
Territoires d'outre-mer, départements français d'Algérie, parlement, corps
intermédiaires, armée, magistrature, suffrage universel (qui ne s'exprime
plus que par plébiscites, ou dont les représentants sont muselés), Alliance
atlantique, Europe unie, il ne reste rien de tout cela ou pas grand-chose, des
caricatures d'institutions démocratiques ou des intentions vagues en ce qui
concerne l'intérieur, des organismes freinés ou sabotés par la France en ce
qui concerne l'extérieur.
Mais que l'on cherche bien ce qu'il a construit. Rien,
moins que rien, sauf un remarquable
appareil de propagande.
Lorsque cet homme sera mort, ou que le peuple français l'aura enfin chassé,
il faudra sortir des décombres et bâtir. Ho, modestement d'abord.
Car il faudra en premier lieu rattraper un retard considérable vis-à-vis des
nations Européennes équivalentes.
14 décembre 1965 - Campagne électorale - Le général Challe
écrit :
P.368 - Hier soir, les deux candidats restant en piste ont parlé et se
sont montrés à la télévision. De Gaulle est de moins en
moins bon. F.Mitterrand s'améliore de jour en jour.
Ce qui est remarquable, c'est qu'aucun des deux n'a essayé d'aller au fond
des problèmes ; même succinctement. C'est un combat de surface. Est-ce une
tactique de la part de Mitterrand ? Possible. De Gaulle
pratique toujours la méthode Coué. Il affirme et compare entre eux
des chiffres qui ne sont pas comparables, ou qui ne veulent rien dire si on ne
les rapproche de ceux des autres nations. C'est le " Moi,
je… " permanent. Aucun intérêt.
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Les deux candidats, mais De Gaulle surtout, parle de la
décolonisation comme un fait d'armes, alors qu'il s'agit d'une
décolonisation manquée, par faiblesse honteuse. Personne n'ose plus parler
des lois-cadres, qui sont cependant tout à l'honneur de cette IVème
République, vilipendée par tous. Oh, je ne défends pas certaines positions
de ce régime, et surtout sa carence finale, mais il faut être juste et
reconnaître ce qui fut bon.
C'était cela, la solution évolutive aboutissant finalement à une
décolonisation par abandon aboutissant à une tribalisation et à une
régression que tous peuvent aujourd'hui constater.
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P.377 - Je me souviens encore de Guillaumat, technocrate
intelligent et sympathique, qui a régné sur l'atome Français,
l'électricité, le pétrole, l'école polytechnique et aussi sur le
ministère des Armées, me disant un jour de 1959 en parlant du sort futur de
l'Algérie : " Mon cher, ce qui compte ici,
c'est le pétrole, tout le reste c'est de la poésie. " Je lui
dis alors : Si vous pensez que nous garderons le pétrole tout en larguant
l'Algérie, vous vous faites des illusions. " Guillaumat me
répondit avec un petit sourire en coin : " Mais
voyons, le pétrole appartient à des sociétés puissantes dont les
imbrications internationales empêcheront tout gouvernement algérien d'en
disposer ". " Voire ". lui dis-je.
Il est vraisemblable que l'armée avait raison puisqu'elle avait contre elle
à la fois les fabricants de théories, le
" mur d'argent ", et les technocrates
!!
Elle avait raison mais elle en est morte.
Février 1966.
G.I.Commentaires
(Au sujet du pétrole je l'ai dis,
et je le maintien. Nous avons été vendus entre autre pour dix années de
pétrole :1962 - 1972 - . 1972 étant l'année ou Boumediene rompait le
contrat. Souvenez-vous, c'était dans tous les journaux sérieux et annoncé
à la télévision.)
P.384 - 385 - LES GUERRES " SALES "
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Je sais que tout ce qui est exagéré est insignifiant, mais tout de même
quand on est allé soi-même " au charbon ", il y a de quoi être
médusé. La tartuferie m'a autrefois indignée. Aujourd'hui, après cinq ans
de prison elle me fait sourire parce que je me représente immédiatement les
Français qui prononcent ces paroles. A droite, les médusés, les momifiés
par De Gaulle (dans la crèche provençale il y a un personnage qu'on
appelle le " ravi ", c'est tout à fait cela !) qui était
" Algérie française " tant qu'ils ont cru que De Gaulle
l'était et ont ensuite retourné leur veste comme un vulgaire Debré.
A gauche, les tourmentés de la conscience, alternativement " violents
" et " non violents " suivant ce qu'on leur a soufflé
de Moscou ou d'ailleurs, ceux qui ne considèrent l'homme que comme une
donnée d'un problème et non un être de chair et de sang, fruste et complexe
dans ses réactions ; mais qui ont le souci d'être dans la ligne des " bons
professeurs ", ceux qui ont une main sur le cœur, la deuxième
sur la Déclaration des droits de l'homme et sur la Déclaration du droit
des peuples ! Et qui regrettent de n'être pas des Shivas
multibrachiaux pour pouvoir poser plus de mains sur plus de cœurs
ou de tables des grands principes.
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P.407 - En outre, pour les Français, l'affaire algérienne a
constitué un épisode important et douloureux du changement de camp de la
France.
L'Algérie larguée, l'Armée disloquée, De Gaulle
a pu virer de cap.
Des esprit s chagrins, peu nombreux, pensent qu'il avait mieux à faire que de
quitter un grand pour se jeter dans les bras de l'autre.
En 1959, le président de la République
a contemplé dans la salle des opérations de mon quartier général à Alger
une carte qui dominait les autres. (carte figurant en annexe du livre), Je
l'avais fait afficher en bonne place, pour que mes généraux et les officiers
de mon état -major aient toujours devant les yeux l'implication de l'Algérie
dans la stratégie mondiale. Elle se passe de légende.
Aujourd'hui l'armée battue, la nation réduite au
rang des serviteurs inconditionnels et allant les yeux bandés vers un proche
désastre économique, la flèche France-Afrique est effacée. Son point de
départ lui-même n'existe plus.
L'OTAN se disloque, l'EUROPE POLITIQUE, espoir de grand arbitrage pacifique,
est en pleine confusion voulue, l'Algérie et le Sahara ont vu arriver les
techniciens russes. Ils sont aujourd'hui à Colomb-Béchar. Ils seront demain
à Mers El-Kébir.
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P.409 - Mais pour que les hommes ne deviennent pas des robots
actionnés par quelques grands technocrates, l'avenir, suivant le souhait de Gaston
Berger, le père de la prospective, " n'est pas à attendre mais à
construire ".
Probablement le long du " tiers chemin " du regretté Wil-hem
Ropke. Sûrement dans le sens du " devenir humain ".
Si nous, les rassembleurs, nous, les " soldats perdus ", par notre
passion de la fraternité par notre sens de l'humain, par notre fidélité à
la parole donnée, nous avons pu apporter notre pierre minuscule à
l'édification d'une éthique inséparable de la science, nos effort, nos
peines, nos sacrifice n'auront pas été vains.
17 novembre 1967
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