UNE
RUSE DU GÉNÉRAL : LA PARTITION
Par Xavier DE REGIS
HISTORIA
SPECIAL 424 bis mars 1982
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Le mot « partition » définissait l'idée de
regrouper les Européens d'Algérie dans une partie du territoire où ils
étaient particulièrement nombreux, par exemple
l'Algérois ou l'Oranais. Ainsi une partie de
l'Algérie resterait française. Quant au Sahara, il serait république
autonome.
De Gaulle
n'y fut jamais réellement favorable (sinon au Sahara autonome) mais il fit
semblant à un moment donné, d'y croire, alors que venaient d'échouer les
négociations de Lugrin - pour faire pression sur le F.L.N. ïl faut lire à
ce sujet l'étonnant témoignage d'Alain Peyrefitte publié par
Historia (n° 400) :
- Vous qui écrivez, dit le
Général à Alain Peyrefitte en juillet 1961,
pourquoi n'approfondiriez-vous pas cette
solution dans des articles de journaux?
Et Alain Peyrefitte raconte comment il
« plancha » sur ce thème pendant cinq mois. Il écrit d'abord un article
dans la « Vie française » (4 août 1961).
Peu après Georges Pompidou lui dit :
Le Général approuve votre article, mais il
souhaiterait que vous fassiez quelque chose de plus important. Pourquoi pas
une série d'articles dans le « Monde » ?
Alain Peyrefitte
se met au travail et publie dans le « Monde », en septembre, quatre articles
préalablement soumis au général De Gaulle. Ils ont le retentissement
espéré. Et l'idée de partition se répand. Les pieds-noirs s'y raccrochent
comme à une bouée.
René Brouillet,
directeur du cabinet de De Gaulle, fait savoir qu'un tel sujet
méritait plus que des articles. Pourquoi pas un livre?
Et A, Peyrefitte de travailler d'arrache-pied
avec des collaborateurs de Louis Joxe pour étoffer le sujet, pour
démontrer qu'il s'agissait d'une solution réalisable.
En un mois le livre est prêt.
Laissons maintenant la parole à Alain
Peyrefitte :
« A la fin de novembre, alors que j'avais
déjà rendu corrigées les épreuves de mon livre, Geoffroy de Courcel,
secrétaire général de l'Elysée, m'avisa que le Général De Gaulle voulait
me voir.
- Alors,
me dit celui-ci sur un ton rude, on
me dit que vous voulez publier un livre sur le partage de l'Algérie? Mais ne
savez-vous donc pas que cette solution n'en est pas une? Elle ne tient pas
debout !
« Et
il balaya mes arguments en faveur de la partition avec autant de vigueur que,
quelques mois plus tôt, il avait balayé mes objections à cette même
hypothèse. (...)
« J'étais atterré. Depuis juillet je n 'avais
rien fait d'autre : tant de réflexions anéanties! Tant de travail inutile !
Je me levai :
- J'ai compris. Je vais demander à mon
éditeur de mettre au pilon la composition de mon livre.
« Le Général me raccompagna en silence.
Puis, au moment d'ouvrir la porte, il laissa tomber :
- Je ne vous le demande pas.
Cela peut encore servir. Ce que je vous demande, c'est de ne pas laisser
entendre que je suis favorable à cette solution.
« Le Général ne détestait pus que se
maintînt une pression sur le F.L.N.; et donc que je maintinsse ma
démonstration; à condition que je n'en fusse pas dupe, et qu'elle ne
l'engageât point ». -
Dans la réalité, les négociations avec le
F.L.N. avaient repris secrètement .
De Gaulle,
sans croire à la partition, espérait que cette menace atténuerait
l'intransigeance du F.L.N. Hélas ! Il
n'en fut rien.
Xavier DE REGIS
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