La
fin du procès du Général Salan
Une époque tragique et la psychopathologie du général De Gaulle
Recueilli
par PA Barisain
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Pour ceux qui désirent
comprendre une époque tragique et la psychopathologie du général De
Gaulle, je conseille la lecture de cet article de Maurice Villard ,
retransmis dans l’excellente revue Ensemble, N° 234 d’Octobre 2002 (ACEP-
130 avenue de Palavas. 34070- Montpellier. 23 euros pour 5 numéros par an).
La fin du procès du Général Salan
Le procès s’ouvre le 15 mai 1962 ( L’Algérie est encore française,
150.000 harkis et leurs familles sont encore en majorité en vie, ainsi que
25.000 Européens et plus de 300 soldats français)….
Après son exposé qui se passe à la seconde audience, Salan va se
taire jusqu’au dernier jour, où après la dernière plaidoirie, au moment où
le tribunal se lèvera pour entrer en salle de délibérations, il se
contentera de déclarer : « Dieu me garde ! ».
Debré à la barre - Complot, Bazooka, et comité des six. Tout est
mis en œuvre par les avocats, ils ont gagné six jours et, en huit jours, le
climat a changé. Des failles se sont creusées dans le bloc
gouvernemental. On s’en rend compte le lundi 21 Mai.
Tous les témoins ont été entendus. Seul le réquisitoire de M. Gavalda
et les plaidoiries des défenseurs séparent le général Salan de son
destin.
Le premier et les seconds sont d’accord pour une suspension de 24h, le
temps de relire la sténographie et de mettre une dernière main à leur
discours. En tant que Ministère public, M. Gavalda s’est engagé à
demander ce délai après en avoir averti le Président Bornet.
Mais le 21 mai, donc , à 19h20, au moment où l’audience va prendre fin,
M. Gavalda ne pipe mot. C’est Tixier- Vignancour qui se lève
et propose de se retrouver le surlendemain, mercredi 23 à 13 h. A sa grand
surprise, le Président lui oppose le refus le plus net. C’est l’incident,
qu’il faut régler. D’ordinaire, ce genre de délibération ne prend que
quelques minutes. Il en faut 45 au tribunal pour accorder le renvoi au
mercredi.
-« Ah ! Je voudrais bien savoir ce qu’ils ont pu trouver à se
raconter pendant tout ce temps, grommelle M° Tixier- Vignancourt.
»
Les jurés sont divisés, Valéry-Radot doit se retrouver jeudi à
Lisbonne pour un congrès médical. Ensuite le Président a posé une grave
question : « Si nous accordons ce renvoi, de combien de jours ce décalage
va-t-il retarder l'exécution »
Là, il y a eu des remous. Une voix dominait les autres : « Vous êtes
donc sûr du verdict ? ».
Le Président Bornet est gêné : « Je crois… Je pense … »
Tixier enregistre, sa plaidoirie est prête et le mercredi, quand il
se lève dans la grande salle pleine d’une foule silencieuse et frémissante,
il dit : « A mon sentiment, trois témoins ont dominé
les débats sans que pour autant la qualité des autres soit diminuée. Ce
sont le R.P. Pascal, le Général Valluy et le Docteur Georges
Salan.
Comment se résument-ils ? Le Franciscain a dit : « Etant donné le
personnage que je connais et ce qu’on lui attribue, je dis – Faîtes lumière
!-. Le chef militaire a dit : -Il nous faut découvrir le choc qui a bouleversé
cet homme et qui en a fait le chef d’un « organisation secrète ». Et le
frère, j’allais dire le fraternel adversaire, a dit : - De Gaulle a
comblé tous mes vœux mais il a par là même abusé ceux qui, tel que mon frère,
ont vu en lui, le mainteneur de l’Algérie Française. »
Ainsi Tixier, le chef de file et l’âme de la défense, a délibérément
élagué. Il renonce au bazooka, il renonce à l’exploitation des
responsabilités du pouvoir, il renonce à l’exégèse de la déclaration du
général de Pouilly qui, en ayant choisi la « loyauté », s’était
écrié : « J’ai choisi de partager avec mes concitoyens, la honte
d’un abandon. Pour celui et pour ceux qui n’ont pas pu supporter cette
honte, peut-être l’Histoire dira-t-elle que leur crime est moins grave que
le nôtre ».
Tixier va à l’essentiel qui est de montrer que le général Salan,
conditionné par sa personnalité et par son expérience, ne pouvait cesser
d’être Salan parce que De Gaulle avait choisi de mener à son
terme , une certaine politique..
Une chance sur mille de sauver Salan, songeait Tixier en
plaidant. Mais c’est ainsi qu’il faut la jouer. Contre toute attente, il
allait gagner, avec l’aide imprévue d’un adversaire politique : Pasteur-Valléry-Radot.
Le secret des délibérations des jurys est moins bien gardé qu’on le
croit. On l’a vu lors du procès du maréchal Pétain. On va le voir
à nouveau aujourd’hui. Il nous est impossible de citer nos témoins qui
seraient passibles de poursuites, peut-être de basses vengeances, mais nous
affirmons ce qui suit : la défense du Général Salan
a eu une relation précise des discussions qui, pendant 2h30, ont ébranlé la
salle des délibération.
Ainsi, nous pouvons affirmer que c’est le Procureur Gavalda qui
s’est trompé en transcrivant le verdict. Deuxième preuve de l’affolement,
les juges oublièrent complètement d’ordonner la confiscation des biens
de l’accusé, ce qui ajouta à la fureur du général De
Gaulle. Quand il apprit la bévue il s’écria : «
Ces Cons ! Ils n’ont même pas été capables de lui prendre son pognon ! »
.
Le pognon de Salan était bien mince. Une villa à, Alger, c’est -à
–dire rien. Et un appartement à Paris. C’est cela qu’on avait oublié
de lui confisquer, comme on avait fait 17 ans auparavant, pour l’appartement
du vainqueur de Verdun, Bd de Latour-Maubourg.
Autre trait révélateur du climat : les neuf juges du Haut Tribunal
militaire ne pensèrent pas à détruire leurs bulletins de votre qui furent
« récupérés » le lendemain. Il y en avait 45 : 35 oui et 10 non.
Ce qui prouvait que 2 juges avaient voté l’acquittement et 7 la
condamnation..
La dernière question, la plus importante, celle relative aux circonstances
atténuantes, fut en effet tranchée par un vote à mains levées, à cause
d’un incident dramatique qui se produisit après le 5 ème scrutin.
Brusquement, un juré écarta sa chaise de la table oblongue, recouverte du
rituel tapis vert. Il sortit un revolver et s’écria :
« Je vous préviens : si vous votez la mort de Salan,
je me tue, là devant vous »
. C’était Pasteur Vallery-Radot.
Le président Bornet sentit ses os se glacer et une sueur
l’envahir. Il touchait au terme de cette sinistre corvée et tout était
remis en cause. Car, s’il appelait à l’aide et faisait arrêter le juré
( Membre de l’Académie de Médecine, Membre de l’Académie Française
depuis 1944 , Grand-Croix de la Légion d’Honneur, Docteur honoris-causa des
universités de Munich, Jérusalem, Athènes, ex-député RPF.), il fallait
reprendre tout le procès à zéro.. mais si on laissait Pasteur Valléry-Radot
se suicider d’une balle dans la tête, quels seraient le scandale et ses
conséquences : A cette seule pensée, le Présient Bornet se sentait défaillir.
Un instant , il essaya de raisonner P. V-R. Mais les yeux de notre collègue
brillaient d’un tel feu que le Président n’insista pas, dit un juré. «
Nous nous demandions même si, avant de mettre fin à ses jours, il n’avait
pas décidé d’entraîner quelques uns d’entre nous dans le trépas ».
A 23h15, donc, la Cour : Le Président Cagne, le Premier Président Cavella,
l’Ambassadeur Hoppenot, le Professeur Valléry-Radot,
l’Amiral Galleret, les Généraux Gelée, Jousse et Gilliot,
blêmes, dont on cherche en vain le regard, regagnent leurs rangs.
Le Président Bornet ôte lentement sa toque .
Au nom du Peuple Français, à la majorité, la réponse est « oui » à
la première question, « oui » à la deuxième, « oui » à la 3ème ,«
Oui » à la 4ème, « Oui » à la 5ème.
Un silence. Tout va se jouer. La 6 ème question a trait aux circonstances
atténuantes. Si le Tribunal ne les reconnaît pas, s’il dit non, c’est le
peloton. La défense : M° Tixier Vignancourt, Guttermanoff, Le Coroller
et Menuet, rassemblés, n’est plus qu’un bloc noir et tendu. Au
dessus, le Général Salan, impassible, s’est figé.
« Oui ! » à la 6 ème question dit le Président.
Salan est sauvé. « Merci pour la France !
»
crie Tixier. Il escalade le boxe et étreint Salan. M° Pierre
Menuet entonne la Marseillaise. Dans la salle, on s’embrasse , se serre
les mains. Les gardes débordés repoussent Tixier. Salan n’a pas
desserré les dents.. « Algérie Française » scande Le Coroller
et la foule reprend en chœur.
Tixier craque soudain et s’effondre sur son banc, un silence
relatif s’établit dans lequel le Président Bornet peut achever très
vite le lecture de son jugement : « Détention criminelle à perpétuité
».
C’est une deuxième surprise car, s’il n’y a pas de réclusion dans
les condamnations politiques, le Général Salan n’est pas seulement
poursuivi pour un délit politique ( atteinte à sûreté de l’Etat) mais
aussi , et surtout, on lui reproche 18.000 crimes de Droit Commun, précise
l’acte d’accusation ( 12.000 attentats, 4.500 blessés et 1.500 morts).
Alors , pourquoi détention et non réclusion , L’heure n’est pas aux
interrogations. On saura plus tard que c’est une erreur de transcription.
Salan toujours impassible, regarde la scène, ne fait aucun geste théâtral,
ne prononce aucune parole historique. Son escorte de gardes républicains, au
commandement de l’Officier : « A vos rangs , fixe ! » rend les
honneurs, à l’homme que le Général De Gaulle et une partie de la
Presse s’emploient à essayer de déshonorer depuis
des mois.
C’est à 23h42, très exactement, que la nouvelle frappa le front serein
de l’Elysée comme une balle frappe le fronton. Après le dîner, le général
De Gaulle recevait Mr Moktar Ould Daddad, président de la
Mauritanie, dans un salon du palais. Ce dernier put se rendre compte que le
visage du chef de l’Etat se marbra de taches roses.
D’un geste brusque, il jeta à terre l’encrier et la parure d’un
bureau de travail.
Dans la foulée, le Mauritanien reçut son congé et se dépêcha d’en
profiter. L’Amiral Galleret, auteur d’un livre à la gloire de
l’Algérie, fut le lendemain le second témoin de l’auguste fureur.
Pour qu’il oublie ce spectacle, on lui donna , à la promotion suivante ,
une 5 ème étoile. Quant à l’Ambassadeur Hoppenot, il failli, lui,
être endormi pour le compte : lancée à la volée, une chaise le percuta…
Fin de citation
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Comment ne pas voir que notre actuelle liquéfaction
est en germe, dans cette sinistre tragédie, qui va atteindre son paroxysme
dans les jours suivant ce procès. ?
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