Compte-rendu
de M. Robert
Sous-Préfet d’Akbou (Sétif)
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Massacres
généraux
dans des villages qui avaient été les premiers à se rallier à la France en
1957
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Le
compte rendu le plus complet sur la sinistre « chronique » de
ces massacres est rédigé par M. Robert,
sous-préfet d’Akbou, arrondissement
situé dans le département de Sétif.
Cet
arrondissement rassemble une population de 100.000 habitants répartie sur 200
villages. Ce compte rendu, adressé sous forme de note confidentielle au vice-président
du Conseil d’Etat Alexandre Parodi, fait ressortir deux grandes
vagues de répression d’ampleur différentes « après une période de
correction parfaite ». Il rappelle d’abord la situation de
l'arrondissement à la veille du cessez-le-feu :
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« Dans cet arrondissement-pilote où la paix était si
largement revenue depuis 1960, qu’en 1961, un an avant les accords d’Evian,
le couvre-feu et les mesures restrictives de liberté y avaient été supprimées
à dater de la trêve unilatérale (juin 1961), il restait, le 19 mars 1962,
moins d’une cinquantaine de membres de l'A.L.N, qui depuis un an ne se
livraient pratiquement à aucune activité, se contentant de survivre jusqu’à
la paix.
19 MARS-27 JUILLET 1962 :
« L’A.L.N. fut d’une correction parfaite, rassurant
les harkis et les élus qu’elle convoquait, leur disant que « le passé était
totalement oublié, qu’ils étaient tous frères, que la France dont ils étaient
les premières victimes était seule responsable de leur action et que les
promesses d’amnistie et les accords d’Evian seraient scrupuleusement
respectés ».
Je n’exclus pas pour ma part que ceux qui avaient tenu
ces propos avaient été sincères à cette époque. Il était cependant précisé
que quitter l'Algérie serait une trahison qui ne pouvait être admise. Les démarches
à la fois rassurantes et pressantes étaient faites par l'A.L.N auprès de
ceux qui avaient l'intention de partir en France…
Nos élus étaient souvent désignés par l'A.L.N pour
faire la liaison entre elle et l'administration française, et étaient placés
au rang d’honneur lors de ces réunions. Il n’y eut pas une seule fausse
note et même pas de sévices légers. Pendant quelques semaines tous
crurent au miracle et au respect des accords d’Evian.
Ce fut essentiellement à cause de cela que seules soixante-dix personnes
partirent en France avant le 1er juillet. Alors que sans les promesses
formelles d’amnistie des accords d’Evian et le respect de celles-ci par
l'A.L.N plus de la moitié de ceux qui sont morts aujourd’hui se
seraient mis à l'abri en France avec leurs familles… »
27 JUILLET-15 SEPTEMBRE :
« La répression va s’abattre soudainement sans aucune
cause locale particulière. Une cinquantaine d’ex-supplétifs ou de
civils furent tués par l'A.L.N dans les villages les plus éloignés. Mais
surtout 750 personnes environ furent arrêtées et regroupées dans
trois « centres d’interrogatoires » ayant chacun juridiction sur un
tiers de l'arrondissement, dont deux étaient situés sur son territoire et le
troisième à cent cinquante kilomètres de là dans une ferme de Aïn-Soltan
près de Bordj-Bou-Arreridj (350 détenus).
Dans ces centres où l'on entendait très loin à la ronde les hurlements
des torturés, près de la moitié des détenus furent exécutés, à
raison de cinq à dix chaque soir. L'emplacement des charniers
situés à proximité des centres est connu. L'autre moitié fut relâchée de
fin août au 15 septembre, date à laquelle les centres furent supprimés.
Ces centres contenaient environ deux tiers d’ex-supplétifs et un tiers de
civils (maires, conseillers généraux, conseillers municipaux, chefs de
village désignés, généralement contre leur gré par l'armée, anciens
combattants et de plus ceux qui avaient été dénoncés, à tort ou
raison, librement ou sous la torture, comme ayant travaillé pour la France).
Durant cette première purge un conseiller général dont
le président du comité F.L.N m’avait dit avant mon départ qu’il avait
tout l'estime de la population, mais qui avait par conviction toujours pris
position pour la France, a été arrêté le 1er août, après avoir assuré
les fonctions de maire jusqu’à cette date à la demande de l'A.L.N ; puis
il fut enterré vivant le 7 août, la tête dépassant et recouverte de
miel, en compagnie de plusieurs autres détenus, dans le camp de Aïn-Soltan
devant ses 350 codétenus. Son agonie, le visage mangé par les abeilles et les mouches, dura cinq
heures.(…)
A noter que durant cette période, la population n’a participé aux
supplices que de quelques dizaines de harkis – promenés habillés
en femmes, nez, oreilles, et lèvres coupés, émasculés, enterrés vivant
dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence.
Cependant, les supplices dans cette région
n’atteignirent pas la cruauté de ceux d’un arrondissement voisin à
quelque quinze kilomètres de là : harkis morts, crucifiés sur des portes, nus
sous le fouet en traînant des charrues, ou la musculature arrachée avec des
tenailles.
De même dans cet arrondissement ne furent pas signalés
de massacres, par l'A.L.N, de femmes et d’enfants harkis ; ce qui fut fréquent
dans les arrondissements voisins où des femmes furent aussi tuées pour le
seul fait d’avoir reçu des soins dans des infirmeries militaires. Il a
d’ailleurs été généralement considéré que la répression dans cet
arrondissement et au cours de cette même période a été particulièrement
limitée par rapport à de nombreux autres où les chiffres de 2000 à 3000
morts étaient couramment cités.
Cependant le calme revenait le 15 septembre et ne devait pas se démentir
jusqu’au 15 octobre. L'on pouvait estimer que la période de répression qui
avait correspondu avec les séquelles de la vacance du pouvoir se terminait.
Ceux qui avaient été épargnés pensaient être sauvés.
15 OCTOBRE-FIN DÉCEMBRE :
« Reprise de la répression à froid sur la seule
initiative de l'A.L.N-A.N.P(l'Armée nationale populaire – qui, basée
à l'extérieur des frontières – avait fait son entrée dans
l'arrondissement le 15 octobre).
L'on doit en effet noter que pas plus que la population,
ni le F.L.N proprement dit, ni le pouvoir civil local n’ont participé en
rien à cette période de répression et qu’ils peuvent donc légitimement,
non pas nier ou prétendre ignorer, mais désavouer et affirmer ne pas y avoir
pris part. L'on ne peut, cependant, penser qu’ils en étaient contristés.
Les 15, 16, et 17 octobre une cinquantaine d’ex-harkis étaient
massacrés par l'A.L.N. Les enfants comptaient les cadavres en allant en
classe.
Dans une commune, la population se réunissait le 21
octobre près d’un centre social pour protester contre les massacres de
l'A.L.N (presque chaque famille avait dans son sein et des harkis et des
rebelles).
D’autre part, de fin octobre à début décembre allait reprendre une
nouvelle vague d’arrestations de ceux qui avaient été détenus, puis libérés
vers le 15 septembre. Enfin, il n’était plus question de Centre
d’interrogatoires : l'A.L.N exécutait sommairement, seules les
personnalités avaient encore l'honneur de supplices et de tortures.(…)
Dans chaque commune (groupant en moyenne treize villages et sept à huit mille
habitants), trente à cinquante personnes furent abattues, harkis ou
mokhaznis, chefs de village ou conseillers municipaux et jusqu’à des
septuagénaires, présidents de petites sections locales d’anciens
combattants.
Dans certaines communes, la totalité des harkis ont été
tués, dans d’autres une vingtaine seulement.
De spectaculaires et atroces suicides à la hache ou à
la mort-aux-rats eurent lieu au moment des arrestations
Dans de petits villages, les exécutions avaient lieu sur place ou à cent mètres
d’écart à n’importe quelle heure du jour.
Dans les chefs-lieux de communes, dès la tombée de la
nuit, l'A.L.N venait chercher en jeep tel ou tel qui était exécuté
un kilomètre plus loin.(…)
Enfin eurent lieu des massacres généraux dans des villages qui
avaient été les premiers à se rallier à la France en 1957. Ainsi
arrivaient fin novembre à Marseille, convoyés par l'armée, cinquante rescapés,
femmes et enfants, d’un village de l'arrondissement voisin où tous les
hommes avaient été tués. Dans l'arrondissement dont il s’agit ici, l'on
m’a simplement indiqué que dans un village pro-français tous les hommes étaient
soit morts soit prisonniers.
A noter que toutes les victimes de la deuxième vague de répression
avaient résidé depuis le 1er juillet dans leur village sans être nullement
inquiétées. Il n’était donc plus question de vengeance à chaud, ni même
de liquider ceux qui s’étaient particulièrement engagés avec la France,
ce qui avait été fait largement lors de la première vague de répression,
mais de tuer ceux qui, ou bien n’avaient jamais caché leurs sentiments pro-français,
ou bien simplement avaient accepté, sans que la population ne trouve rien à
redire, de participer au système administratif de l'époque, sans avoir
jamais pris part ni à la répression, ni à des prises de position politiques
caractérisées.
Beaucoup avaient même été inquiétés ou suspectés par
l'armée à juste titre.
Cependant, si au cours de la première vague de répression du mois
d’août aucun des menacés n’avait pu s’échapper, sans aucun doute
parce que la population suivait encore aveuglément les ordres du F.L.N, plus
de deux cents personnes sont parvenus en France de fin octobre à fin novembre,
échappant de justesse à la mort. Elles ont souvent déclaré qu’elles
avaient été prévenues de leur arrestation par la population quelques heures
avant celle-ci, et souvent nourries, cachées pendant trois à dix jours puis
munies de viatiques pour pouvoir passer en France. L'excès de la répression
avait provoqué une fois de plus dans cette guerre d’Algérie , le dégoût
d’une population qui a le sens de la justice. »
Après cet exposé des faits, le sous-préfet d’Akbou dresse le bilan de la
répression.
« De façon globale le nombre de liquidés est très
certainement supérieur à 750 et probablement de l'ordre d’un
millier (dans son département).
Il est certain que ce nombre, grâce au caractère relativement très limité
de la première vague de l'épuration, est, d’après ce qui est
indiqué, très inférieur à celui de la plupart des autres arrondissements.
Le chiffre moyen de 2000 tués par arrondissement (mais
pour la plupart en août) est très fréquemment cité ( l'Algérie compte 72
arrondissements). (…)
A noter également que l'on ne parle que de harkis alors que la proportion non
négligeable de civils est de l'ordre d’un tiers constitué d’élus de
tous rangs, de chefs de villages, d’anciens combattants ou de simples civils…
A titre d’exemple, sur six conseillers généraux, deux
ont été tués, deux ont pu se réfugier en France, un est en prison depuis
le premier août après d’atroces sévices et un autre a été libéré
après deux mois de détention et de tortures.
Sur onze maires : cinq tués, un en prison, deux évadés,
un détenu puis libéré, un libre. »
Le sous-préfet d’Akbou s’étonne que la presse française consacre si
peu de place au massacre des amis de la France :
« L'honneur de notre pays paraît plus gravement engagé
et l'on peut être surpris que dans les rares articles de presse traitant de
cette question, le nombre de victimes soit minoré dans de telles proportions,
comme si la discrétion était de surcroît demandée aux victimes. »
Recueilli dans le URL :
http://www.chez.com/justiceharkis/histoiredesharkis.html
Par Antoine Martinez
http://pageperso.aol.fr/anma981929729/
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