Le Bilan
Du Gaullisme
Partie
4 -
De Gaulle et les Communistes… |
VI.
- De Gaulle et les Communistes
La Clé
de cette révolution, c'est la connivence secrète de de Gaulle et des
Communistes. De Gaulle a joué Moscou pour accéder au pouvoir; les
Communistes ont joué de Gaulle pour se dédouaner et se faire réhabiliter
devant l'opinion politique française.
Lui et eux se sont momentanément soutenus avec l'arrière-pensée de se détruire
mutuellement. La réussite d'un coup de force gaulliste eût amené l'incarcération
immédiate des députés communistes; une prise de position par les Communistes
provoquerait la mise en accusation de de Gaulle, de Passy, de
Palewski. Les deux partis se sont entendus momentanément pour enterrer la
République : de Gaulle, rêvant d'y substituer une démocratie
présidentielle à la mode américaine qui eut fait de lui le Chef tout-puissant de
l'exécutif; les Communistes avec l'espoir d'y substituer une Convention, un
Soviet suprême concentrant tous les pouvoirs, avec un exécutif absolument
subordonné. Avec l'ancienne Constitution, de Gaulle eût été élu Président
de la République pour sept ans. Avec l'Assemblée Constituante, il s'est trouvé
en présence d'un projet de constitution élaboré uniquement en défiance de lui et
pour le réduire à l'impuissance.
Il a
préféré laisser croire qu'il se désistait volontairement pour éviter d'être
légalement évincé, victime de son propre stratagème.
De tempérament, de conviction, de vocation, de classe et de caste, le général
de Gaulle et profondément anticommuniste. Et, cependant il a manoeuvré de
telle façon qu'il a fait, au bout d'une année, du parti Communiste le parti le
plus homogène, le plus compact de l'Assemblée. Se donnant à ses partisans comme
violemment anticommunistes, il a fait le lit du communisme dans son propre
pays. Comment expliquer un tel paradoxe ?
Ce
paradoxe est dû à l'illogisme de base qui a présidé à son avènement au pouvoir
et expédients auxquels il n'a cessé d'avoir recours pour y parvenir de gré ou de
force.
Le Chef des Français libres, dès novembre 1940, en se proclamant Chef de l'Etat
français, a contesté ainsi la légitimité du Gouvernement de Vichy. En condamnant
en bloc l'administration de Vichy comme illégale, et, par suite, comme coupable
d'intelligence avec l'ennemi; en la liquidant sommairement lors de la
libération; en laissant planer le discrédit sur toute une classe, la
bourgeoisie, soupçonnée d'avoir adhérer, en tant que telle, à la politique de
collaboration du Maréchal, en laissant sa presse mener une guerre sourde contre
le parti radical et son chef dont il redoutait la concurrence, Edouard
Herriot, représenté tour à tour, comme défunt, malade, insane ou désuet, le
général de Gaulle a créé un vide que sont tout naturellement venus
combler les partie extrêmes se réclamant de la Résistance. Il a consenti que l’épuration
se fasse, non pas sur la question de savoir dans quelle mesure tel ministre,
tel administrateur, tel fonctionnaire avait protégé ou desservi le peuple
français pendant l'occupation, mais sur la question de principe d'avoir été ou
non en rapport avec l'ennemi, ce que la symbiose avec l'occupant rendait
inévitable pour toute personne chargée de fonctions publiques. Cette façon de
poser le problème est illogique, ainsi que l'a déclaré Laval devant ses
juges : « M. Churchill dit : " Je mettrai l'Europe en état de
révolte. » Voilà tout le problème et voilà tout le procès : le Gouvernement
devait-il accepter l'armistice et continuer à vivre pendant quatre ans; ou bien
devait-il, pour hâter la victoire et la libération de la France , accepter de
jeter le pays dans le désordre, dans la misère, dans l'anarchie, sans
administration, sans cadre, sans rien ?
Voilà tout le problème. En répondant par une fin de non-recevoir au problème
ainsi posé, en liquidant l'administration de Vichy, en discréditant la
bourgeoisie, en frappant d'inéligibilité les anciens parlementaires, en
disqualifiant les anciens ministres, en vouant le parti radical-socialiste et
son chef, Edouard Herriot, à l'impuissance, de Gaulle a fait place
nette pour le communisme.
Parce que ni Londres, ni Washington ne voulaient le reconnaître comme Chef
d'Etat - avant que le peuple Français ne se fût prononcé en toute connaissance
de cause - de Gaulle, dès mars 1942, s'est tourné vers Moscou, puis vers
les Communistes français. C'est Moscou, au moment où les Anglo-Saxons
redoutaient une paix séparée entre L'Union soviétique et l'Allemagne, qui a
contraint le président Roosevelt et M. Churchill à laisser venir à
contre-coeur de Gaulle en Algérie, et de Gaulle a exprimé sa
reconnaissance dans son discours de Tunis à « la chère et puissante Russie
». A partir de l'été 1942, par suite de l'envoi des ouvriers en
Allemagne, les Communistes ont pris une part de plus en plus active dans le
maquis. Dès le mois de mars 1942, il a reçu à Londres M. Christian Pineau
et le lieutenant-colonel François Faure qui sont venus lui apporter les
propositions du Parti communiste de joindre son action à la sienne. Au début de
1943, il a précisé à M. Grenier, représentant du Parti communiste qu'il
s'agissait de faire « un bout de chemin ensemble. »
Lorsqu'il s'est cru, en Alger, en danger d'être supplanté par Giraud, il
a franchi le Rubicon. Il a conclu avec les communistes un pacte infernal
qui leur assurait la direction politique de la Résistance. Il a enchaîné à leur
char, en leur conférant le prestige de son nom, les autres organisations, les
autres partis de la Résistance. Il a accepté de se faire l'instrument de leur
vengeance, en commençant par leur abandonner la tête de Pucheu. Il
leur a livré discrétionnairement l'honneur, la liberté et la vie de leurs
adversaires politiques, en vertu de cette monstruosité juridique, qu'il avait
proclamée dès novembre 1940 à Brazzaville, à savoir que le gouvernement du
Maréchal n'existait pas.
Pour complaire à ses nouveaux compagnons de route, il a fait litière de ses plus
solennelles promesses de rétablir la légitimité républicaine, en appliquant la
loi Tréveneuc.
Il a accepté de renverser les barrières qui auraient pu endiguer le flot
moscoutaire : La Présidence de la République et le Sénat.
Il s'est engagé d'un coeur léger dans 1es réformes de structure, sans se soucier
de savoir si elles étaient compatibles avec la stabilité monétaire, la
restauration du crédit, la reprise économique, le soutien des Etats-Unis, et en
les faisant passer avant les questions primordiales telles que le ravitaillement
du pays.
Enfin, dans la corbeille de noces de ses épousailles avec Moscou il a mis un
nouveau cadeau. Le Parti communiste acceptait de reconnaître de Gaulle
comme chef de la Résistance, à condition de laisser revenir Maurice
Thorez
en
l'exonérant de toute charge, en dépit de sa condamnation par contumace.
Le même jour vit un avion déposer de Gaulle à Moscou et Maurice Thorez
à Paris.
L'un s'avançait au bord de la Roche Tarpéienne l'autre gravissait le Capitole.
De Gaulle
qui
allait laisser emprisonner tous les amiraux,
sauf deux; la
plupart des généraux Maxime Weygand y compris; d'excellents serviteurs de
la patrie française, tels que Jérôme Carcopino et Robert Gibrat;
des «résistants » émérites, tels Lemaigre et Rigault, allait
proclamer à la face du pays, Maurice Thorez
« bon français »; Maurice Thorez,
déchu de son mandat de député par un Parlement régulier et condamné par
contumace comme déserteur par un , Tribunal ,militaire;
Thorez qui, sous le titre de « Maurice Thorez vous parle »,
déclarait dans L'Humanité clandestine du 7 novembre 1939 :
« Les forces de réaction en France expriment la même
fureur devant la dénonciation que nous avons faite des buts impérialistes
imposés au peuple français. Des hommes ont tués et on se prépare à en faire tuer
davantage pour la défense des coffre-forts des capitalistes. »;
Thorez qui, dans la même feuille clandestine, écrivait en collaboration
avec Jacques Duclos, le 18 mars 1941 : « Le
mouvement des de Gaulle et des de Larminat, foncièrement
réactionnaires et antidémocratiques, ne vise à rien d'autre, lui aussi, qu'à
priver le pays de toute liberté en cas d'une victoire anglaise .»
Paris libéré,
M. Winston Churchill et M. Eden s'y précipitent pour tâcher de
conclure un pacte franco-anglais, dans l'euphorie du moment.
C'est en s'envolant à Moscou que Charles de Gaulle leur répond et en
signant un pacte franco-russe. Au lieu de dire aux Alliés qui venaient avec
l'aide de la Résistance de libérer la Patrie : « Si
vous ne consentez pas à nos justes revendications, en ce qui concerne la
sécurité permanente de la France, j'irai à Moscou .»
Le Général a brûlé de suite ses cartouches, parce qu'il avait obligation de le
faire et le pacte de vingt ans qu'il a rapporté de son voyage en Russie n'a
servi que de monnaie d'échange à Staline au cours des négociations de
Yalta. M.Molotov, à Londres s'est chargé de montrer de combien peu la
sauvegarde de l'amitié française pesait sur l'échiquier politique de Moscou.
Pareillement, à l'égard des Communistes français, le Général a pratiqué la
politique de la main tendue, et même de la main serrée. A Alger, il leur a livré
la tête de Pucheu. Il a laissé revenir en avion Thorez de Moscou,
lui a rendu sa nationalité, l'a exonéré de tout chef d'accusation, l'a proclamé
« grand Français », lui a cédé la
radio nationale, persuadé qu'il faisait ainsi du parti communiste un parti de
soutien de son gouvernement. Fort du brevet de patriotisme ainsi conféré par le
Chef de la Résistance, grâce aux milliards saisis
dans les dépôts des banques de province ou aux particuliers par ses partisans,
Thorez a su faire de son parti le plus puissant et le plus discipliné de
l'Assemblée. Ayant pris conscience de sa force, il s'est retourné
contre le Général auquel il devait, en dépit de la loi, son retour à la vie
publique et il a ouvert le conflit entre le Président intérimaire de l'Exécutif
et l'Assemblée. Dans ma lettre du 18 mars 1944, j'écrivais au général de
Gaulle « La logique française comprend mal que vous frappiez
d'inéligibilité et de déchéance les Parlementaires qui ont voté le pouvoir
constituant à Pétain alors que vous réhabilitez et déclarez bon citoyen Thorez,
qui fut invalidé par un vote du Parlement régulier et condamné pour désertion
par un Tribunal militaire. »
Certes, les Communistes ont eu leur martyrologe; mais leurs martyrs, comme
Péri moururent pour la cause et la patrie communistes, dont la
Jérusalem est à Moscou , tout comme les premiers Chrétiens mouraient pour leur
foi en la Cité de Dieu. Il ne venait pas à ceux-ci ci de prétendre qu'ils
entraient dans l'arène sanglante pour assurer le salut de l'Empire. L'héroïsme
de maints communistes commande le respect et ne doit pas être contesté : il
n'empêche que, jusqu'en juin 1941, les Communistes furent les
collaborateurs N° 1. (Kenneth de Courcy, dans Review of
World Affairs de novembre 1945, révèle un document qui en dit long à ce
sujet : c'est le projet d'un traité d'alliance entre le
Reich et un gouvernement communiste qui devait être instauré à Paris fin 1940
sous la présidence de Thorez, avec l'approbation des chefs communistes
français et de Staline !
Un principe de droit pénal veut que, dans tout pays civilisé, il soit
interdit d'amnistier un condamné par contumace. Tout condamné par contumace
doit, en rentrant dans sa patrie, comparaître devant un tribunal pour se
justifier. En faveur de Thorez, le général de Gaulle
a violé la loi. Il apprend, aujourd'hui, ce qu'il lui en coûte
d'avoir eu, dans l'administration de la justice, deux poids et deux mesures,
car, plus il frappait les Vichyssois, plus il était fondé à dire : « En vertu
de la même inexorable justice et de la même inexorable logique, je demande aussi
des comptes aux collaborateurs communistes. » Il ne l'a pas fait, et
il s'est mis, lui qui prétendait être le restaurateur des moeurs démocratiques,
dans l'obligation d'être le Kérensky du régime qui risque d'enterrer la
troisième et la quatrième république dans le linceul pourpre des libertés
civiques, politiques, économiques, brimées, mutilées, et peut-être, demain
assassinées.
« Charles de Gaulle
n'a qu'à s'en prendre à lui-même »,
écrit Kenneth de Courcy dans le numéro de février 1946 de sa
Revue.
« Il a
emprisonné ou discrédité presque tous les leaders conservateurs et libéraux qui
auraient pu avoir une influence décisive dans cette crise. Pour la plupart, il
les a emprisonnés, défrancisés .sans accusations ni jugement, en contrepartie
des obligations qu'il avait contracté en 1942 à Londres, puis en Afrique du
Nord. Maintenant, les Communistes se sont retournés contre de Gaulle. Telle est
la cause réelle de sa chute .»
VII - Satisfecit et bilan
Dans sa lettre de démission le 21 janvier 1946, au Président de l'Assemblée
constituante, Charles de Gaulle, sans attendre comme un Thiers ou
un Poincaré les suffrages de ses compatriotes,
s'est
cité à l'ordre de la nation :
il a décidé que la nation avait bien mérité de lui;
il s'est décerné le plus pompeux satisfecit.
Ayant conduit la France vers la libération, la victoire et la souveraineté;
ayant assuré à l'intérieur, la paix publique et la reprise économique; à
l'extérieur, la présence de la France sur le Rhin, en Indochine et dans
l'organisation internationale de la paix, il considère révolue la tâche qu'il
s'était assigné et se retire dans le bois de Marly comme Cincinnatus sur
son champ.
Le même jour, Léon Blum, dans Le Populaire, constatait que la
situation matérielle et morale qui confrontait le nouveau gouvernement n'avait
jamais été plus mauvaise depuis la libération. Quatre jours plus tard, le
président Félix Gouin, devenu Chef du Gouvernement
adressait à tous les partis une lettre révélant le caractère dramatique de la
situation financière que le gouvernement précédent avait caché au pays et
invitant tous les Français au plus grands sacrifices pour « sauver le franc. »
Le nouveau ministre des finances avouait que le déficit budgétaire pour 1946
était de l'ordre de 300 Milliards et proposait un abattement des dépenses
publiques de 160 Milliards. Le 16 février à Lyon, dans un discours
d'alarme à la nation, Edouard Herriot dressait l’inventaire de la
gestion gaulliste : la France se trouve à la veille d'une sinistre
expérience dont nul ne peut prévoir l'issue; la liberté de la presse et la
liberté de discussion sombrent dans un régime totalitaire; le parlementarisme
n'est plus qu'un vain mot, l'Assemblée concentrant en elle-même tous les
pouvoirs ; les finances publiques sont en pleine déconfiture;
la
situation alimentaire est la pire qu'on ait connu,,
la carte de pain ayant été supprimée dans un but purement électoral, provoquant
ainsi une anarchie complète du marché du blé. Herriot concluait :
« Nous devons retourner à la vraie république, reconquérir nos libertés et
revenir aux règles normales de la démocratie. »
Inventaire de catastrophe, mais inventaire que le ministre de l'Information a
tenu à chiffrer. L'indice officiel des prix, passé entre le mois d'août 1939 et
août 1944 de 100 à 309 %, se trouve en janvier 1946 à 703 %.
Seize
mois de gestion gaulliste ont été plus onéreux qu'un an de guerre et quatre ans
d'occupation allemande et de régime vichyssois !
Une nation chargée, d'histoire peut accepter les plus dures privations à
condition de retrouver, sur le plan international, son rôle traditionnel de
grande puissance. C'est, cependant dans la politique extérieure que la gestion
gaulliste s'est avérée la plus catastrophique.
De Gaulle, disposant de l'Empire Français en souverain et non en
gérant, sans aucun mandat de la nation, a perdu gratuitement,
définitivement et sans compensations économiques ou culturelles ces Echelles du
Levant, fécondées par le sang et les établissements des Croisés, enseignées, par
nos missionnaires, fouillées par nos archéologues, célébrées par nos écrivains,
la Syrie et le Liban. Sans mandat et gratuitement, il a conféré la
citoyenneté française, sans abandon du statut personnel, ainsi que le droit de
vote aux musulmans dont le loyalisme n'avait pas bronché jusqu'en novembre 1942.
Cette libéralité déclencha une campagne de violence antifrançaise qui aboutit à
la révolte du 8 mai 1945 et qui met en question pour l'avenir l'oeuvre
magnifique accomplie par les colons français en plus d'un siècle. L'Indochine
donne lieu à de semblables réflexions. Partout la souveraineté impériale a
été compromise par celui qui s'en donnait pour le plus fidèle garant. Pour
avoir fait sienne la formule de Charles Maurras ; « la France, la
France seule », de Gaulle laisse la France sans amitiés. Le traité
franco-soviétique est monnaie de singe. Aucun traité franco-anglais n'est encore
conclu. La question de la Sarre, de la Rhénanie, de la Ruhr est toujours en
suspens.
La campagne antifrançaise que de Gaulle a amorcée à Londres et qu'il a
entretenue infatigablement à l'aide d'invraisemblables mensonges au sujet
des visées impérialistes des Américains sur nos bases et nos ports, a découragé
d'inépuisables bonnes volontés qui ne demandaient qu'à s'employer.
La France est mal avec ses voisins : avec l'Espagne, en demandant la rupture des
relations diplomatiques avec Franco ; avec l'Italie, en demandant des
rectifications de frontière, avec la Belgique à cause d'Aix-la-Chapelle et de
Cologne; avec la Suisse même où se sont réfugiés les persécutés du gaullisme.
L'influence française est complètement éclipsée en Europe Centrale. Les Tchèques
nous en veulent de Munich; maints Polonais nous reprochent d'avoir été les
premiers à reconnaître le Gouvernement de Lublin.
Pire que cela. En désespoir de la France et devant les menaces de l'impérialisme
russe, les Puissances anglo-saxonnes songent à restaurer l'Allemagne ciselbienne.
Le rapport du sénateur Kilgore au Congrès américain a révélé que 86 % de
ses usines étaient intactes.
L'histoire de 1918-1919 est sur la point de se reproduire. La population
allemande bien moins éprouvée, que la nôtre, se remet activement au travail,
alors que nous cherchons seulement « à nous débrouiller. » Les Allemands des
Etats-Unis demandent à retourner dans leur patrie pour concourir à son
relèvement. Les jeunes Français assaillent les consulats du Canada, des
Etats-Unis, de l'Amérique du Sud, afin d'obtenir « des visas d'émigration ».
La France saignée à blanc, ayant refusé par fausse « dignité nationale » tous
les concours qu'on lui offrait, en proie au froid, à la disette, et à un
véritable chaos intellectuel qui lui fait instaurer l'état bureaucratique et
totalitaire au nom de la liberté, revenir au mercantilisme de l'ancien régime au
nom des idées progressistes, contrôler les prix de façon à installer le marché
noir en permanence au nom de la démocratie économique; la France privée d'alliés
et consternant le monde, la France doutent d'elle-même et désespérant de son
avenir, est menacée, au surplus, d' une terrible hémorragie extérieure.
Telle est l'oeuvre du général de Gaulle. Pour avoir voulu jouer à l'apprenti-dictateur.
Ayant tout en main, il a tout compromis, tout perdu. Il a déserté la grandeur de
son destin pour la petitesse de son ambition.
L'escroquerie faite à la France s'est achevée en banqueroute, après une gestion
d'Ubu-Roi.
La moralité de cette histoire est celle que Benjamin Constant et
Guglielmo Ferrero avaient dégagée de l'histoire politique de l'Europe;
le
viol de la légalité constitutionnelle se paye toujours de flots de larmes.
La France ne peut sortir de l'anarchie où elle se trouve par excès de
souffrances et de déceptions, qu'en revenant à la légitimité du pouvoir, au
respect des lois civiles et économiques, à la justice indépendante et égale pour
tous, à la liberté de la presse, à l'entreprise libre et à l'initiative privée,
au culte de l'effort individuel et au respect de la personnalité humaine :
« L'ancien régime écrivait Tocqueville, professait cette opinion que la
sagesse seule est dans l'Etat, que les sujets sont des êtres infirmes et
faibles, qu'il faut toujours tenir en main; qu'il est bon de gêner, de
comprimer, de réglementer l'industrie, d'assurer la bonté des produits,
d'empêcher la concurrence.
L'ancien régime pensait sur ce point exactement comme les socialistes
d'aujourd'hui. »
La France ne retrouvera sa vigueur qu'en cessant de renier les conquêtes de la
Révolution sous prétexte de les parfaire. Elle ne reviendra à la santé qu'en
écoutant le conseil d'un Robespierre, instruit par l'expérience, horrifié
par les conséquences des lois du maximum : « Fuyez cette manie ancienne de
vouloir tout gouverner, laissez aux individus, aux familles le droit de faire
librement ce qui ne nuit pas à autrui; laissez aux communes le droit de régler
elles-mêmes leurs propres affaires; en un mot, rendez
à la
liberté des individus tout ce qui leur a été illégitimement ôté, ce qui
n'appartient pas nécessairement à l'autorité publique ».
La formation d'une opinion éclairée mettant fin aux épurations, n'avouant plus
que la qualité de Français au-dessus des étiquettes et des partis, proclamant
une amnistie générale en reconnaissant que les erreurs et les défaillances comme
la clairvoyance et le courage furent un lot commun, rétablissant le respect de
la loi en place de l'arbitraire des hommes, ayant pour maxime. : « ni
dictature de droite, ni dictature de gauche; ni dictature d'un homme, ni
dictature d'un parti unique; ni dictature politique, ni dictature économique »,
peut seule redonner à la France meurtrie, accablée et déçue, sa place dans le
concert des nations, en lui faisant abandonner la route fallacieuse de la
servitude pour le chemin vivifiant de la liberté.
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