TEXTE DE LA LETTRE
ADRESSÉE
PAR LE GÉNÉRAL JOUHAUD
AU PRÉFET D'ORAN
le 23 février 1962
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Commandement
Supérieur de l'O.A.S.
en Oranie
Le Général d'Armée
Aérienne
Edmond
JOUHAUD
Oran, le 23 février
1962
Monsieur le Préfet,
Permettez-moi de vous
rappeler, dès l'abord, les contacts amicaux et empreints d'une vive sympathie
que nous avons eus dans le temps à Bône chez le général Vanuxem auquel
vous accordiez une légitime confiance et où votre efficace action avait pour
effet de faciliter la tâche de cet Officier général dans la lutte contre le
F.L.N.
Vous voici,
aujourd'hui, en Oranie, chargé d'appliquer, contre votre gré, j'en suis
persuadé, une politique d'abandon et de porter vos efforts contre vos
compatriotes.
Je comprends vos
hésitations, vos scrupules, vos cas de conscience. Vous êtes un haut
fonctionnaire et vous ne sauriez discuter les ordres du Gouvernement. Il est
néanmoins, j'ose vous le remémorer, de hauts fonctionnaires (dont M. Jacomet)
qui ont su librement exprimer leur opposition à la politique que le Gouvernement
tenait à faire couvrir de leur nom. Je sais que vous pouvez considérer que c'est
votre devoir, bien que personnellement je n'aie pas hésité à prendre, pour être
d'accord avec ma conscience, une position différente. Car, si je me suis
insurgé, c'est parce que la politique du général
De
Gaulle
m'est apparue criminelle.
Je ne vous demanderai pas, tout en le regrettant, de rejoindre nos rangs, mais
je tiens à vous préciser que vous avez un autre devoir à remplir : celui
d'informer le Gouvernement de la gravité
de la situation qu'il désire manifestement créer.
Le général De Gaulle
a décidé d'abandonner l'Algérie.
Personne ne peut le
contester.
Cela ressort de nombreux discours et en particulier celui du 29 décembre.
Il a décidé de
passer le pouvoir au G.P.R.A.
Vous le savez aussi. Il s'est donc résolu
à abandonner à leur triste sort les Musulmans fidèles à la France (et qui, pour
beaucoup, ont accepté des fonctions d'autorité par naïveté) et les Européens.
Permettez-moi de vous
demander de croire à ma sincérité. Je suis, au premier chef, inquiet pour les
Musulmans. Nous avons tous, vous et moi, fait aux Musulmans des promesses.
On les a assurés que la
France ne les abandonnerait pas.
On les a incités à
accepter des postes d'autorité
;
On a nommé des Préfets,
Sous-Préfets, Chefs de service musulmans.
On a élevé au grade de
général ou de colonel des Musulmans.
Que deviendront-ils
dans le nouvel État algérien qui sera, personne n'en doute, une République
populaire ?
J'ai commandé en Indochine. J'ai assisté à l'exode du Tonkin. Je sais le sort
réservé à nos amis d'Hanoi.
Nos Musulmans, trompés,
bernés, trahis,
seront les victimes de notre lâcheté et ils nous maudiront.
Quant aux Européens, que peuvent-ils faire selon vous, sinon partir? (Si,
entretemps, ils ne sont massacrés.)
Ce qui s'est passé en Tunisie, en Egypte, ne peut les inciter à tenter
l'aventure de vivre sous un régime communiste (sous lequel ils ne pourront
rester sur leur terre natale). Mais, me direz-vous, les Accords à
conclure avec le G.P.R.A. devront garantir le sort des Européens (et
déjà on oublie les Musulmans
!). Est-ce sérieux ? Au
moment où, dans le monde entier, tous les accords sont violés, où l'anarchie
s'instaure dans les pays trop rapidement livrés à eux-mêmes, où la loi de la
jungle est érigée en règle internationale, pouvez-vous donner le critère de la
garantie, sinon celui de la garantie de la garantie ? La présence de l'armée
française en Algérie. En outre, avez-vous songé à ces Européens, et à ces
Musulmans, plus nombreux encore, de nos campagnes ? Leurs moyens de défense
étaient déjà précaires. Déjà,
dans certaines régions, un régime de terreur sanglante s'est installé.
Vous qui couvrez de votre nom et de votre autorité cinq de nos départements
algériens, n'aurez-vous pas un seul pincement de cœur à l'idée de ces tueries
sans
nom qui vont être le
lot journalier de ce petit peuple ? N'allez-vous pas un seul instant vous élever
devant l'abandon prémédité
dont il est
maintenant l'objet?
Aussi, Monsieur le
Préfet, votre devoir est d'avertir le Gouvernement des conséquences tragiques de
sa politique. Car, cette politique, personne ici ne l'acceptera. A Dieu ne
plaise ! Le
sang risque de couler demain entre Français !
Je plains les nuits de
ceux qui entendront les cris de leurs victimes.
Triste fatalité
d'accepter des honneurs, les mains rougies de sang français.
NON, Monsieur le
Préfet, vous ne pouvez accepter de cautionner ce bain de sang. Il suffît d'un
Budapest! Déjà les Musulmans s'interrogent et commencent à comprendre qu'ils
ont été
trahis. Les
Européens sont décidés à lutter. La France et son Gouvernement semblent accepter
l'aventure du Congo.
Bien sûr, me
direz-vous, mais quelle solution entrevoyez-vous? Vous le savez fort bien, par
les contacts journaliers que vous devez avoir avec vos administrés.
Cette paix que chacun
réclame ne peut l'être effectivement qu'après l'affirmation solennelle que
l'Algérie restera dans la France, que le drapeau français continuera à flotter
sur l'ensemble du territoire algérien et que l'Armée française maintiendra sa
présence.
C'est cette déclaration
que nous attendons, de vous ou du Gouvernement. Faute de quoi, je le crains
fort, Monsieur le Préfet,
le désespoir gagnera tous
les cœurs et la violence restera l'espoir suprême de ceux qui se refusent à être
des déracinés ou des victimes du F.L.N.
Signé: E.
jouhaud.
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