Dès le 19 avril au
soir, je me trouve dans l'appartement de la rue Michelet (celui des
"Barricades"), situé au-dessus du "Coq Hardi". Je passe
sur les plans échafaudés. Ma mission : trouver un véhicule et piloter dans
Alger, au petit matin du 21, des officiers afin de leur indiquer certains
points stratégiques : le Commissariat Central, l'immeuble de la Radio/
Télévision rue Hoche, et coetera…
Dans la nuit du 20 au 21, je
remonte à pied vers le domicile de mes parents. Au niveau bas des marches du
Gouvernement Général, vers une heure du matin, un monstre surgit, colle le
canon de son arme sur mon ventre et dit à voix basse : "Hait !".
Merci, Messieurs JUNG et BOUDJADI, grâce à qui j'ai appris
quelques mots d'allemand. "Kein Problem ! Ich bin ein Kamarad !
". Et de lui expliquer, dans mon sabir teuton, que je vais chercher une
voiture pour conduire, dans Alger, trois officiers. II me répond qu'il
comprend, mais me demande de passer par la place. Là bivouaquaient deux ou
trois cents hommes. Peut" être plus.
Le Deuxième Etranger Parachutiste, venant
d'Oranie, se préparait à investir Alger.
"Yeux bleus"
(le surnom de mon père quand il était responsable de la brigade des mœurs
dans la Casbah) me donne les clés de son "Aronde". Comment
pouvait-il faire autrement ? Tandis qu'il entretenait mon Manurhin 7.65, ma
mère s'occupait des chargeurs de la MAT 49. Quand je vous disais que mes
parents étaient formidables. Que Dieu les ait en Sa Sainte Grâce.
J'ai accompli ma mission,
apporté mon concours aux "putschistes" (et même un peu
plus, avec "Jeune Nation"). Nous avons rêvé six jours.
L'utopiste CHALLE n'a pas su conduire son affaire. Le garde de
deuxième classe que je fus a droit d'exprimer ses critiques, à soixante ans
sonnés. Bien évidemment, je n'ai rien à reprocher à ZELLER ou SALAN.
Surtout pas à Edmond JOUHAUD.
Le 2e REP est dissous.
Ses hommes furent emmenés au camp de Zéralda.
Ils chantaient, ils hurlaient, en chemin, la chanson de PIAF :
"Non, rien de rien ! Non, je ne
regrette rien ! ".
Dans les jours qui suivirent,
nombre de légionnaires désertèrent. Je me trouvais dans la ferme des CHEVIET
qui jouxtait la forêt de Zéralda. II me faut rendre hommage au père de Jacques.
II les a nourris, hébergés, leur a fourni des habits civils et de l'argent.
Fin juin. Je loupe mon
baccalauréat, ce qui ne surprendra personne. Papa, qui était au "Central",
m'informe que cela commence à barder pour mon matricule. Nous prenons une
sage décision : il serait bon que j'aille respirer l'air ravigotant de la
Bretagne.
C'est là où j'ai rencontré De GAULLE !
! !
II faisait la tournée des
popotes campagnardes, et eut la mauvaise idée de s'arrêter (trois minutes
prévues) dans le village de ma grand-mère paternelle pour saluer le maire de
la commune.
Assis sur un talus avec mes
copains bretons, nous voyons le cortège de DS (une bonne quinzaine) arriver,
puis stopper au beau milieu du bourg. De la troisième voiture sort le De
GAULLE. Au moment où le maire de Pleslin s'approche, je hurle, à m'en
faire péter les poumons, un "Vive PÉTAIN ! ! !". Alors là,
toutes les portières des véhicules s'ouvrent. Les accompagnateurs sortent
leurs flingues ; les flashs des journalistes crépitent... Et De GAULLE
repart vite fait. Bien sûr, vous croyez à un tchalef : consultez les " OuestFrance"
d'août 1961.
En Bretagne, je n'avais point
besoin de me refaire une virginité puisque puceau (mais la maréchaussée du
canton recherchait le crieur). Donc je regagne Alger. Chez mes parents, une
lettre m'attend. Sursis pour études résilié et ordre de marche pour un
obscur régiment d'Infanterie à Strasbourg. Le bon garçon que j'étais se
réinscrit à Bugeaud pour redoubler Math' Elem'. Mais, rapidement, disparais
du paysage algérois.
Grâce à une certaine filière,
je me suis retrouvé à Vialar ( aux confins des sud-algérois et sud-oranais),
engagé comme garde de deuxième classe dans le Groupe Mobile de Sécurité
(GMS) 87. Marrant car les GMS, ex-GMPR (Groupe Mobile de Protection Rurale),
dépendaient du Ministère de l'Intérieur : j'étais devenu un "collègue"
de mon père-flic (son rêve : il voulait que je devienne officier de police,
mais j'avais pris les choses par le gros bout de la lorgnette).
Je me présente au Commandant
Maurice BONNEMAYRE. Entretien bref mais courtois. En sortant de son
bureau, je tombe sur un homme qui arborait une grande croix. II était
aumônier. À ma demande, il accepte de me confesser et de s'entretenir avec
moi. Je lui ai dit mon angoisse d'avoir à tuer un homme. Thématique de sa
réponse :
"Nous vivons une situation
exceptionnelle, une situation de guerre. Si tu hésites à tirer, dis-toi que
le fel' d'en face n'aura aucun scrupule à t'abattre. Le Seigneur te comprend".
II m'a donné son absolution et
sa bénédiction. En douce, j'ai été piquer de la mie de pain au mess (que
j'avais repéré), et j'ai communié, vaille que vaille.
Le soir de mon arrivée, je
suis de garde à l'une des quatre tourelles du fortin, de minuit à trois
heures. Au mess, mes nouveaux camarades avaient décidé de célébrer ma
venue. À la boisson (parce qu'il n'y avait rien à manger, paraît-il) :
bière et Martini rouge. J'ai pris une biture ! À partir de minuit, heure de
mon tour de garde, j'ai allumé le puissant projecteur, balayé le djebel...
et vomi. Cette séquence a duré jusqu'à la relève. Bienvenue au Club !
Ce GMS 87 possédait une
caractéristique : c'était une troupe à cheval. La Police Montée des Portes
du Désert, en quelque sorte. Vous prenez le Canada ; vous enlevez neige et
stetsons ; vous remplacez les deux par des cailloux et des passe-montagnes. Et
vous aurez tout pigé.
Sauf que les bourrins arabes
sont cinglés, à la différence des chevaux canadiens. Ils n'aboient pas mais
ils ruent. C'est ainsi que je me suis retrouvé, en février 1962, dans ce qui
restait de l'hôpital de Teniet-el-Haad. Mon cheval avait fait mine de
dépasser celui qui le précédait. Quelle injure ! En une fraction de
seconde, j'ai vu l’œil jaune et torve du bourrin viser mon tibia. Trois
jours à Teniet car il restait trois appelés du contingent, trois ampoules de
morphine, des lattes et une bande Velpeau. De retour au fortin, durant trois
semaines, un géant (qui ne parlait pas un mot de français) m'a porté sur
son dos : lit, toilettes, mess, lit, toilettes, mess, dodo. II me souvient de
l'une de ses particularités : il décapsulait les bouteilles de bière avec
ses dents d'une exceptionnelle blancheur. Je n'ai jamais su son nom, ni, par
la suite, son destin.
Si j'ai choisi les Harkis, dont
je n'avais qu'entendu parler puisque résidant à Alger, c'était pour être
aux côtés de ces Français musulmans qui combattaient pour leur "Idée"
de la France. D'accord, voilà qui participait d'un certain
mysticisme ou romantisme. Mais
je n'ai pas été le seul.
La démarche de Jean et Bernard
RUBAT du MÉRAC (que je n'ai pas connus au GMS 87) procédait-elle
d'une approche différente ? Surtout avec leur patronyme à charnière ?
Peu avant la mi-juin, le
Commandant BONNEMAYRE ordonne le repli du Groupe sur Arzew. Plus de la
moitié des Harkis décide de rester sur place. Leur sort horrible est
rapporté par Bernard MOINET dans un de ses livres. II ne faut
jamais croire aux promesses, surtout lorsque les accords sont scellés à
l'eau minérale. Les autres sont répartis dans tous les véhicules
militaires et civils disponibles. Départ par convois de cinq à six engins,
espacés d'un quart d'heure. Embuscades ... Nous serons moins de trente lors
de notre jonction avec le GMS 80 du Capitaine René MARCHADIER. Ce
groupe, lui-même, ne comptait plus qu'une vingtaine d'hommes.
L'agonie oranaise a commencé
à Vialar. Tandis que je rédige ces lignes, je prends conscience que je narre
la chronique de ma propre agonie : elle a également débuté là-bas et me
semble fort longue.
MARCHADIER
était efficacement secondé par le Lieutenant Jaki MERCIER qui m'avait
pris en estime.
Fin juin, nous apprenons que le Groupe
reconstitué doit faire mouvement vers Bou-Sfer. J'allais, enfin, voir Oran,
cette rivale d'Alger !
Sur le boulevard maritime, grosse déception,
droite, les cuves de carburants brûlaient.
À gauche, les Gendarmes Mobiles et mes amis de
l'OAS jouaient à la guerre, à l'aide de 12.7 et de lance-roquettes
Devant, un barrage de contrôle de l'ALN.
Bizarrement déguisé en pseudo-para de BIGEARD, le chef réclame :
"Vos papiers
!". Réponse de Jaki MERCIER qui pilotait la jeep: "Merde
! La guerre est finie". J'étais à son côté, avec mon PM
approvisionné, face à un pieu-pieu fraîchement émoulu des troupes de
réserve de l'ALN au Maroc ; il avait un PM, lui aussi, mais à chargeur
courbe. Bref ! Ils nous laissent passer et nous arrivons dans un Bou-Sfer
déserté.
J'y ai connu cinq jours de
détente, deux jours d'horreur, deux autres jours dont je n'ai pas gardé le
moindre souvenir, deux heures d'angoisse avec une conclusion heureuse. Le
dernier jour, 11 juillet 1962, j'ai tourné délibérément le dos au passé.
Du moins le croyais-je ..
AVERTISSEMENT AUX FUTURS
LECTEURS