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PARTIE - 5 -
Du général Challe, dans son livre : " Notre Révolte "
P.242 - Le 1er JUILLET 1962 , de Gaulle a envoyé l 'Algérie allégrement par-dessus bord, rejetant l'Afrique hors de l'Europe.
Ceux qui s'opposaient à ce geste étaient pour lui des attardés, des gens qui voulaient freiner le courant de l'Histoire, ou pis, le remonter.
Pour d'autres, qui pensaient comme lui, les opposants constituaient une poignée de profiteurs locaux, cherchant uniquement leur intérêt et alliés à un certain nombre de militaires épris de conquêtes ou défenseurs intrépides de territoires volés.
Ils s'opposait seul à l'émancipation d'un peuple, à une colonisation inévitable.
Pour d'autres encore, et ce fut la majorité du peuple français, une guerre lassante et sans issue devait se terminer au plus vite. Un seul homme pouvait la terminer, de Gaulle.
On connaît le résultat ! Il dépasse les espérances de ceux qui l'on cherché.
Pour ne pas être accusé de partialité, pesons ce résultat dans le Rapport du 29 novembre 1962 de M. J-M. Jeanneney, ambassadeur de de Gaulle auprès du gouvernement d'Alger.
Je cite : " Les rapports unanimes de nos consuls constatent ce glissement général des départements algériens vers un " niveau de vie " qui ne sera nullement comparable à celui que la France avait artificiellement (1) assuré à l'Algérie.
(1)Ceci veut dire sans doute que l'Algérie coûtait plus qu'elle ne rapportait. Mais d'une part il en est de même pour la Bretagne, l'Auvergne et de nombreuse provinces de la métropole, d'autre part dans un pays encore neuf il est évident qu'il faut investir avant de récolter, si le pays en vaut la peine. Et d'ailleurs l'Algérie indépendante, malgré les promesses une fois de plus non tenues, coûte plus cher
qu'auparavant.
Cela était sans doute une des conséquences inévitables de l'indépendance, mais les accords d'Evian, s'ils avaient pu être appliqués dans le contexte prévu, en auraient limité l'ampleur.
Il est de plus en plus clair que la colonie française n'a de chances de subsister qu'à Alger et dans quelques grandes villes qui resteront peut être comme façades modernes et occidentalisées d'un pays retombé, pour de nombreuses années, en arrière. "
On ne peut être plus clair dans la modération. Mais on peut répondre que de Gaulle savait cela. Il me l'avait laissé entendre, sur la fin comme à d'autres. Il appelle de retour en arrière, maladie de jeunesse ! Il savait aussi, mais il ne l'a pas dit aux Français, que les accords d'Evian n'avait aucune chance d'être observés.
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Les liquidations sous son règne n'ont pas toujours été faciles, mais les résultats sont aussi brillants que rapides. La Communauté, l'Algérie et le Sahara, l'Europe des Six, l'OTAN : voilà des abandons qui suffisent à vous donner un NOM dans la mémoire des hommes quand on limite son ambition à cela.
Si de Gaulle vivait encore vingt ans, et si le support que constitue pour lui l'hexagone français était suffisant, peut être pourrait-il construire quelque chose, copiant ainsi son modèle, Kemal Atatürk.
P.245 - 246 - Un périodique (la Nef. Cahier trimestriel, n.12-13. Histoire de la Guerre de l'Algérie suivie d'une Histoire de l'O.A.S., chez Julliard.) vient de rassembler, à propos de l'Algérie, des commentaires intéressants et variés, qui permettent de se rendre compte de l'état d'esprit des intellectuels et journalistes qui ont pris le parti du F.L.N. contre leurs compatriotes.
Il est curieux de constater qu'en 1963, ces hommes, par ailleurs sans doute avisés et sincères et se voulant d'avant-garde, sont des nationalistes fervents !
Comme si, en 1963, on pouvait être nationaliste sans retarder presque autant que de Gaulle.
Je dis nationaliste et non patriote.
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Sans doute la plupart de ses intellectuels et journalistes ignorent-ils les tensions internes des populations d'Algérie.
Cependant, parmi eux, un homme comme Jean Daniel devaient les connaître, car il est algérien, et de plus, il a pu souvent les constater dans le microcosme du G.P.R.A. de Tunis.
Les Kabyles et les Arabes ne se comprennent qu'en employant le français. Les Mozabites sont aussi différents des bourgeois de Tlemcen ou de Blida que ceux-ci des montagnards des Aurès.
Il est très vraisemblable que malgré les efforts touchant de de Gaulle et autre Sartre ou Viansson-Ponté, malgré les centaines de milliards dépensés par la France pour que la politique de de Gaulle ait un sens, les tensions internes non compensées disloqueront l'Algérie ou la cantonneront dans une misère organique dont elle ne peut sortir seule.
Ainsi le sens de l'Histoire consiste-t-il pour certains à redescendre de la collectivité de cent millions d'hommes à la tribu ou à la meute.
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P.257 - On sait maintenant que de Gaulle voulait à tout prix brader l'Algérie pour arriver aux splendides résultats que l'on voit aujourd'hui .
(JANVIER 1963)
Porté au pouvoir par une révolte en faveur de l'Algérie française, il semble épouser d'abord les idées de ceux qui l'ont mis sur le pavois. Et il pousse les mêmes clameurs : "
l'Algérie restera française " " dix millions de Français à part entière ", "
La France de Dunkerque à Tamanrasset ".
J'en passe. Tous les Français savent cela par cœur.
ET IL DONNE LES ORDRES EN CONSEQUANCE. Puis par un decrescendo habile, il passe à l'Algérie algérienne, puis à l'indépendance.
Pendant ce temps, l'opinion est conditionnée par une propagande bien faite. Et l'on assiste à ce spectacle effarant de majorités considérables de citoyens approuvant par des referendums périodiques et bien dosés les variations savantes du pouvoir. Ces citoyens finissant par approuver l'Indépendance, avec presque le même pourcentage qui avait proclamé l'Algérie française.
Dans le même temps l'armée RECEVAIT TOUJOURS LES MEMES ORDRES.
Apres quoi, on fait constater que cette armée n'est plus en accord avec la nation, ce qui est impensable, et on la démolit allègrement au cri de "
DISCIPLINE ".
L'énorme imposture a réussi
Ceux qui écœurés ont dit non et tenté de tenir la parole donnée, sont jetés en prison. On se garde bien d'exécuter les plus connus, afin de ne pas trop faire crier et on fusille quelques jeunes. Ce qui accentue la distorsion.
Et le peuple souverain applaudit à toute cette démolition, à tous ses abandons, à sa propre servitude.
Tout cela est remarquablement joué. C'est de l'Art !…Sans plus…Mais il faut bien avouer que les recettes de cuisines de Machiavel pour petits princes de la Renaissance ont été supérieurement mijotées.
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P.258 - Et maintenant ?
Au temps des bateleurs, que deviendra la France dans ce gâchis ?
La rouerie, l'intelligence de la riposte, l'intransigeance foncière de de Gaulle, sa vue rétrograde des grands courants mondiaux nous amèneront-elles à l'anarchie ou au communisme démodé, ou à la soumission aux U.S.A. ?
Espérons seulement que l'étape gâchée, la construction de l'Europe et de l'Eurafrique sera encore possible après son règne.
Car ce palier est raisonnable et nécessaire avant des unions plus importantes.
Le sauter rendrait la formation des Etats-Unis d'Occident difficile et peut être impossible…pour ce siècle.
Prison de Tulle, janvier 1963
Il faut reconnaître que de Gaulle était un fou. Je me demande pourquoi il en voulait au monde entier le bougre ?
Il changeait d'avis comme il devait changer de chaussures. Tantôt c'était bleu-blanc-rouge tantôt c'était blanc-vert avec un croissant rouge. Et tout le monde le suivait.
Si Challe et Zeller n'ont pas été fusillés ce n'est certainement pas grâce à de Gaulle mais à l'avocat-général Besson qui n'avait pas suivi les ordres de de Gaulle et du gouvernement. L'on sait que de Gaulle avait piqué sa crise et ça lui avait même coupé l'appétit se trouvant au moment de la sentence à une grande réception.
(MOI JE).
Depuis Besson avait démissionné(?) par honnêteté car il n'approuvait pas la façon originale et personnelle dont le gouvernement de Gaulle concevait la justice. (Vu ce qui se passe aujourd'hui ça n'a pas changé beaucoup(juin 2001).
Je pense plutôt que ce fut certainement une démission imposée. Nous connaissons suffisamment de Gaulle, Debré et compagnie pour savoir de quelle façon ils agissaient.
De Gaulle avait tout intérêt à voir Challe, Zeller, Saland et Jouhaud plutôt morts que vivants. Si nous réfléchissons un peu il est facile de comprendre que ces généraux l'avaient démasqués, qu'ils étaient en possession de documents compromettant prouvant sa félonie et les divulguer par la suite.
C'est ce qu'ils ont fait d'ailleurs ce qui permet aujourd'hui de le confronter et de l'envoyer devant un tribunal national et international.
P.307 - De Gaulle a porté le premier coup et le plus rude, avec son rêve olympien et irréalisable d'Europe gaulliste, en refusant tout essai de structure politique même timide, en rejetant brutalement la Grande-Bretagne, en traitant les chefs d'Etats et de gouvernement comme il traite ses ministres, c'est-à-dire comme des domestiques. Tout ceci au nom de l'Europe, évidemment, car s'il détruit tout ce qu'il touche, c'est toujours au nom de ce qu'il détruit(1).
(1)-
Ceci n'est nullement un paradoxe pour qui a étudié et connaît bien le caractère de de Gaulle.
Comme son seul et unique but est de dominer, ce dont il ne se rend pas tout à fait compte lui-même, sa stratégie est une stratégie de moyens plutôt que de but. Quoi qu'il arrive et quels que soient les éléments, il doit opposer. Mais sa justification vis-à-vis de lu-même et des autres est dans l'identification à des symboles successifs.
Si le succès avait couronné ses efforts, il eut dit : "Moi l'Europe", et mieux : "Moi le Monde", comme il dit : "Moi la France."
Au fond, la chance de la France est passée en septembre 1958 quand les Anglo-Saxons ont refusé le projet de direction à trios de de Gaulle. Ne pouvant s'attaquer immédiatement à la tête , il a bien fallu qu'il se contente de partir du support qu'il avait. Il a repris en main et dressé sa monture. On sait ce que cela a donné.
25 novembre 1964.
P.325 - Partout, plus on parle, moins on agit. En France, on parle beaucoup, de plus en plus.
Il est vrai que les Français, ayant remis leur pouvoir de décision dans les mains d'un seul homme, ne peuvent agir sans que cet homme ait décidé.
Or la nature qui en a fait un fin manœuvrier de politique intérieure, ne lui a donné la faculté de décider que dans un seul sens. Il a l'air résolu, il est intransigeant, son énorme caractère fait croire à une puissance d'action extraordinaire. Mais tout l'esprit de décision qu'il peut posséder ne s'exerce que dans une seule direction. Parce qu'il n'a pas le sens de la mesure dans la construction, il est incapable de passer du fondement au faîte. Mais comme il a fait place nette pour poser des fondations, il n'est somme toute qu'un virtuose de la démolition.
Car à son actif on peut compter un nombre impressionnant de démolitions ou d'abandons. En sept années de pouvoir absolu, il a vraiment tout cassé de ce qui faisait encore la force de son pays, hors de l'hexagone et dans l'hexagone.
Territoires d'outre-mer, départements français d'Algérie, parlement, corps intermédiaires, armée, magistrature, suffrage universel (qui ne s'exprime plus que par plébiscites, ou dont les représentants sont muselés), Alliance atlantique, Europe unie, il ne reste rien de tout cela ou pas grand-chose, des caricatures d'institutions démocratiques ou des intentions vagues en ce qui concerne l'intérieur, des organismes freinés ou sabotés par la France en ce qui concerne l'extérieur.
Mais que l'on cherche bien ce qu'il a construit. Rien, moins que rien, sauf un remarquable appareil de propagande.
Lorsque cet homme sera mort, ou que le peuple français l'aura enfin chassé, il faudra sortir des décombres et bâtir. Ho, modestement d'abord.
Car il faudra en premier lieu rattraper un retard considérable vis-à-vis des nations Européennes équivalentes.
14 décembre 1965 - Campagne électorale - Le général Challe écrit :
P.368 - Hier soir, les deux candidats restant en piste ont parlé et se sont montrés à la télévision. De Gaulle est de moins en moins bon. F.Mitterrand s'améliore de jour en jour.
Ce qui est remarquable, c'est qu'aucun des deux n'a essayé d'aller au fond des problèmes ; même succinctement. C'est un combat de surface. Est-ce une tactique de la part de Mitterrand ? Possible. De Gaulle pratique toujours la méthode Coué. Il affirme et compare entre eux des chiffres qui ne sont pas comparables, ou qui ne veulent rien dire si on ne les rapproche de ceux des autres nations. C'est le " Moi, je… " permanent. Aucun intérêt.
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Les deux candidats, mais de Gaulle surtout, parle de la décolonisation comme un fait d'armes, alors qu'il s'agit d'une décolonisation manquée, par faiblesse honteuse. Personne n'ose plus parler des lois-cadres, qui sont cependant tout à l'honneur de cette IV ème République, vilipendée par tous. Oh, je ne défends pas certaines positions de ce régime, et surtout sa carence finale, mais il faut être juste et reconnaître ce qui fut bon.
C'était cela, la solution évolutive aboutissant finalement à une décolonisation par abandon aboutissant à une tribalisation et à une régression que tous peuvent aujourd'hui constater.
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P.377 - Je me souviens encore de Guillaumat, technocrate intelligent et sympathique, qui a régné sur l'atome Français, l'électricité, le pétrole, l'école polytechnique et aussi sur le ministère des Armées, me disant un jour de 1959 en parlant du sort futur de l'Algérie : " Mon cher, ce qui compte ici, c'est le pétrole, tout le reste c'est de la poésie. " Je lui dis alors : Si vous pensez que nous garderons le pétrole tout en larguant l'Algérie, vous vous faites des illusions. " Guillaumat me répondit avec un petit sourire en coin : " Mais voyons, le pétrole appartient à des sociétés puissantes dont les imbrications internationales empêcheront tout gouvernement algérien d'en disposer ". " Voire ". lui dis-je.
Il est vraisemblable que l'armée avait raison puisqu'elle avait contre elle à la fois les fabricants de théories, le " mur d'argent ", et les technocrates !!
Elle avait raison mais elle en est morte.
Février 1966.
Au sujet du pétrole je l'ai dis, et je le maintien. Nous avons été vendus entre autre pour dix années de pétrole :1962 - 1972 - . 1972 étant l'année ou Boumediene rompait le contrat. Souvenez-vous, c'était dans tous les journaux sérieux et annoncé à la télévision.
P.384 - 385 - LES GUERRES " SALES "
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Je sais que tout ce qui est exagéré est insignifiant, mais tout de même quand on est allé soi-même " au charbon ", il y a de quoi être médusé. La tartuferie m'a autrefois indignée. Aujourd'hui, après cinq ans de prison elle me fait sourire parce que je me représente immédiatement les Français qui prononcent ces paroles. A droite, les médusés, les momifiés par de Gaulle (dans la crèche provençale il y a un personnage qu'on appelle le " ravi ", c'est tout à fait cela !) qui était " Algérie française " tant qu'ils ont cru que de Gaulle l'était et ont ensuite retourné leur veste comme un vulgaire Debré.
A gauche, les tourmentés de la conscience, alternativement " violents " et " non violents " suivant ce qu'on leur a soufflé de Moscou ou d'ailleurs, ceux qui ne considèrent l'homme que comme une donnée d'un problème et non un être de chair et de sang, fruste et complexe dans ses réactions ; mais qui ont le souci d'être dans la ligne des " bons professeurs ", ceux qui ont une main sur le cœur, la deuxième sur la Déclaration des droits de l'homme et sur la Déclaration du droit des peuples ! Et qui regrettent de n'être pas des Shivas multibrachiaux pour pouvoir poser plus de mains sur plus de cœurs ou de tables des grands principes.
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P.407 - En outre, pour les Français, l'affaire algérienne a constitué un épisode important et douloureux du changement de camp de la France.
L'Algérie larguée, l'Armée disloquée, de Gaulle a pu virer de cap.
Des esprit s chagrins, peu nombreux, pensent qu'il avait mieux à faire que de quitter un grand pour se jeter dans les bras de l'autre.
En 1959, le président de la République a contemplé dans la salle des opérations de mon quartier général à Alger une carte qui dominait les autres. (carte figurant en annexe du livre), Je l'avais fait afficher en bonne place, pour que mes généraux et les officiers de mon état -major aient toujours devant les yeux l'implication de l'Algérie dans la stratégie mondiale. Elle se passe de légende.
Aujourd'hui l'armée battue, la nation réduite au rang des serviteurs inconditionnels et allant les yeux bandés vers un proche désastre économique, la flèche France-Afrique est effacée. Son point de départ lui-même n'existe plus.
L'OTAN se disloque, l'EUROPE POLITIQUE, espoir de grand arbitrage pacifique, est en pleine confusion voulue, l'Algérie et le Sahara ont vu arriver les techniciens russes. Ils sont aujourd'hui à Colomb-Béchar. Ils seront demain à Mers El-Kébir.
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P.409 - Mais pour que les hommes ne deviennent pas des robots actionnés par quelques grands technocrates, l'avenir, suivant le souhait de Gaston Berger, le père de la prospective, " n'est pas à attendre mais à construire ".
Probablement le long du " tiers chemin " du regretté Wil-hem Ropke. Sûrement dans le sens du " devenir humain ".
Si nous, les rassembleurs, nous, les " soldats perdus ", par notre passion de la fraternité par notre sens de l'humain, par notre fidélité à la parole donnée, nous avons pu apporter notre pierre minuscule à l'édification d'une éthique inséparable de la science, nos effort, nos peines, nos sacrifice n'auront pas été vains.
17 novembre 1967
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