De Gaulle
- « Diviser, pour régner »
Partie 1 |
CONCLUSION
P.388 à 393
J'ai voulu fixer,
pour les historiens de l'avenir, les faits importants auxquels j'ai pris part
ainsi que les conditions dans lesquelles s'est développé le mouvement de la
France combattante.
Les
détails de cette période ardente formaient trois volumes.
Les difficultés techniques actuelles de publication m'ont amené à condenser le
récit en un seul. Certains documents ayant paru, parfois in-extenso, dans les
ouvrages suivants :
- De Gaulle dictateur (De Kérillis),
- Adventure in diplomacy de Kenneth Pendar, etc,
et dans divers périodiques anglais ou américains, il m'a semblé superflu de les
reproduire à nouveau.
Par ailleurs, afin de ne pas exciter les passions, j'ai préféré ne pas publier
encore certains documents et supprimer certains passages du texte original.
Je décrirai, dans un prochain ouvrage, les événements qui se sont déroulés après
ma rupture avec le général en 1942.
En juin 1940, le général Charles de Gaulle était sous-secrétaire d'Etat à
la Guerre dans le cabinet de Paul Reynaud. Envoyé en mission à Londres,
auprès de M. Churchill, sa présence en Angleterre au moment propice, ses
relations avec le Premier Ministre, lui avaient permis de lancer, le 18 juin
1940, par la radio de la B. B. C., l'appel à la résistance et la phrase
immortelle : « La France a perdu une bataille, mais la France n'a pas
perdu la guerre. »
Ses études théoriques sur l'emploi des chars d'assaut et la mécanisation de
l'armée avaient fait sensation dans les milieux militaires, et la rupture du
front français par attaque brusquée de formations blindées, et motorisées
donnait un singulier éclat à ses théories en en fournissant la plus brillante
application.
Au moment de l'armistice, le gouvernement britannique avait besoin d'un homme
capable, par son éloquence, de galvaniser la résistance et d'entraîner l'empire
français. De Gaulle s'était trouvé juste à point, à l'endroit et au
moment voulus.
IL avait en main des cartes superbes, et j'ai montré comment son appétit de
pouvoir personnel, son orgueil et son manque de sens politique l'ont amené à les
gaspiller.
Dès qu'il eut obtenu de Churchill sa reconnaissance comme chef de tous
les Français qui, où qu’ils soient, se rallieraient à lui pour défendre la cause
alliée, il évita soigneusement d'accepter le concours d'officiers généraux
plus anciens et plus connus que lui. Seuls, le général Catroux, le
général Legentilhomme et moi-même acceptâmes de nous grouper autour de
lui en renonçant à nos prérogatives de grade pour ne songer qu'à la restauration
de la patrie. Mais la volonté de de Gaulle d'être le chef absolu
de la force militaire française en formation contribua à écarter du parti de la
résistance plusieurs grands chefs et les formations et les territoires sous
leurs ordres.
Malheureusement pour la France, de Gaulle, excellent commandant de groupe
de chars, n'avait ni les connaissances générales ni l'esprit politique pour
la tâche qu'il avait assumée.
L'échec de ses négociations de l'été 1940 avec les généraux Noguès et
Mittelhauser a donné à la guerre une tournure qu'elle n'aurait pas eu si
de Gaulle avait agi avec plus de diplomatie et moins d'orgueil dès le début.
L'avenir fera toute la lumière souhaitable sur ces négociations qui firent
perdre à la France la possibilité de jouer un rôle beaucoup plus vaste dans la
conduite de la guerre que cela n'a été le cas.
Sa vanité l'empêchait d'écouter les conseils de ses collaborateurs les plus
avisés ; les fautes se multipliant, il devint difficile de masquer
l'insuffisance du chef.
Pendant prés de vingt mois, nous passâmes une partie de notre temps à essayer
de parer aux conséquences de ses erreurs. Souvent, par ignorance, il sacrifia
les intérêts français, souvent pour les défendre, au contraire, il usa de
méthodes maladroites qui nuisaient à notre cause en indisposant nos alliés.
A l'intérieur même du mouvement, ses façons d'agir inadmissibles, et les
moyens employés par son entourage pour assurer son hégémonie, arrivèrent à
décourager la plupart de ses collaborateurs, après avoir écarté du mouvement un
grand nombre d'hommes qui auraient volontiers rallié un chef plus humain.
« Diviser, pour régner » semblait être sa devise, et il n'hésitait pas à
employer ou à laisser employer par ses hommes de confiance des méthodes de
corruption, morale ou financière, tout en se comparant à la plus pure de nos
héroïnes nationales.
Les hommes et les officiers qui nous ralliaient étaient de deux sortes : une
agissante minorité d'aventuriers et d'intrigants pour qui le mouvement de la
France libre représentait souvent une chance inespérée de se faire oublier en
France et d'exercer leurs talents sur un terrain vierge ; la grande majorité
était heureusement des volontaires de carrière – ou d'occasion - qui avaient
fait, pour nous rejoindre, un sacrifice immense : celui de leur pays, de leur
métier et de leur famille, que peu espéraient revoir. Ceux-là étaient animés
d'une flamme magnifique.
Le rôle d'un chef digne de la confiance de ses hommes était, avant tout, de
séparer le bon grain de l'ivraie, de chasser les aventuriers et de créer avec le
groupe de patriotes ardents qui s'est formé dès le début à Londres, une
communauté d'hommes qui serait demeurée un véritable symbole de liberté pour la
France enchaînée, et la première arme de son affranchissement.
Au lieu de cela, qu'a fait de Gaulle ? Bien loin d'éliminer les
individus douteux qui cherchaient à s'introduire dans le mouvement, il leur
confia les postes où l'on avait le plus besoin d'hommes parfaitement intègres.
Quand aux marins, aux soldats, aux simples héros qui avaient quitté tout et
se préparaient à un sacrifice plus grand encore, ils attendaient dans l'oisiveté
de la vie de caserne que l'on voulût bien comprendre leur impatience et utiliser
leur ardeur...
Cependant que le général, plus soucieux de gloire politique que de la
victoire militaire, gaspillait, une à une, les chances de notre mouvement dans
des intrigues inutiles et nuisibles.
Quand, enfin, il se décida à envoyer ces hommes admirables au combat, ce
fut pour les engager dans une lutte fratricide contre des Français, au mépris
des engagements solennels qui constituaient le principe même de notre mouvement.
De Gaulle, souvent à court d'idées, semblait désirer étouffer les
personnalités.
Son
but personnel était de se faire reconnaître comme l'incarnation de la France,
exactement comme le maréchal Pétain, et de ce fait Pétain apparut
bientôt comme son principal ennemi.
Son intransigeance vis-à-vis de tous ceux qui, dès les premiers jours, ne
s'étaient pas rangés sous ses ordres, écarta bien des ralliements, et ses appels
enflammés contre les gens de Vichy risquèrent de précipiter davantage et plus
vite les gouvernements successifs du maréchal dans les bras de l'Allemagne, et
d'amener la guerre entre la France et l'Angleterre. Son éloquence, soit par la
radio, soit dans les conversations publiques et privées, avec les ministres et
les hautes personnalités britanniques, s'exerça constamment dans ce sens : il
semblait oublier que nos ennemis n'étaient pas des Français, il s'obstinait à ne
pas comprendre qu'il fallait avant tout, réconcilier les Français entre eux, et
gagner à notre cause les égarés que la défaite avait éloignés du parti de
l'espoir et de la liberté.
De
par son accord du 7 août 1940, avec Winston Churchill, de Gaulle
était le chef d'une force militaire française. Il pouvait recruter le personnel
civil nécessaire au fonctionnement des services de cette force ; mais il ne
tarda pas à multiplier ce personnel civil et à transformer son mouvement
purement militaire au début, en un mouvement politique. Influencé d'abord
par quelques jeunes gens ambitieux et extrémistes, il écarta progressivement ses
collaborateurs républicains ; dès août 1940, il fit remplacer la devise :
« liberté, Egalité, Fraternité » par « Honneur et Patrie », aux
émissions françaises à la B.B.C. Puis, comprenant, sur mes conseils d'ailleurs,
que le peuple français ne voudrait pas entendre parler de l'instauration d'un
pouvoir despotique ou d'un retour à la monarchie, il glissa apparemment vers la
gauche, et se donna l'allure d'un général républicain.
Il parla de constituer, à Brazzaville, une assemblée de délégués français, à
titre consultatif, mais y renonça rapidement et se borna à créer un Conseil de
défense de l'Empire, qu'il prit soin de ne jamais réunir. Puis, en septembre
1941, il créa le Comité national, composé en presque totalité d'hommes dont il
disposait entièrement et qu'il pouvait d'ailleurs renvoyer à son gré.
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