LES ORIGINES
ÉTRANGES DE LA Vème
RÉPUBLIQUE
Par
André FIGUERAS
Recueilli pour le
Site par Pierre Barisain-Monrose
Partie 1
|
FERHAT ABBAS FAISEUR DE ROI
Les Presses du Mail
17, Rue du Croissant – Paris 2ème
Oui ! le peuple ne
voit que les jeux d'ombre, et les reflets biscornus de la politique. Il croit
aux coups truqués que des pantins échangent, et ne se rend nullement compte
qu’en dessous de ce spectacle court une trame serrée impitoyable, où des
intérêts affreux, tantôt s'entrecroisent et tantôt se mélangent, et où les
fils d'or sont presque toujours poissés de sang.
De plus, l'ambition, qui devrait logiquement être altière, passe, pour arriver
à ses fins par des souterrains innommables, et sacrifie avec une sorte
d'allégresse furieuse tout ce qui n'est pas elle-même, afin de mieux
s'assouvir. Car l'expérience prouve qu'il existe des personnages qui
aimeraient mieux régner sur un sanatorium ou une maladrerie, que d'être
simples citoyens dans une ville heureuse.
Cependant, si bien cachés soient en règle générale les « secrets d'Etat », si
gardés entre complices, et si peu conformes à ce qu'un auteur à la fois naïf
et habile le veut faire passer pour être, —- il est inévitable tout de même
qu'en de certains instants, ne serait-ce que la seconde qu'il faut pour
entrouvrir une porte, quelque chose parfois s'en puisse apercevoir.
C'est ainsi que, peu à peu, l'on finira peut-être par extraire des ténèbres
l'abominable et sanguinaire machination qui a abouti, non point au 13 mai —
lequel fut, local —, mais à s'emparer du 13 mai, à le dériver de son cours
naturel, et à le faire se jeter dans cette infamie, cette honte, et cette
aberration que les gens polis nomment la Vè République, et qui n'est qu'un
second règne mais pire, de Charles VI. Car, à côté de Louis Joxe,
Isabeau de Bavière avait tout de même l’air un peu français.
Sur ce chapitre, il ne sert évidemment à rien de reprendre tout ce qui a été
déclaré, écrit, officiellement présenté, — car tout cela est faux de bout en
bout. Par exemple, il n'y a pas eu treize complots, il n'y en a jamais eu
qu’un seul, qui en animait de faux en suscitait d'imaginaires, pour mieux
brouiller les cartes, affoler la gendarmerie, et ne laisser en fin de compte
les moyens de jouer qu'à un seul homme, celui qui, en faisant dix mille fois
le tour de son parc, a patiemment monté l’une des plus curieuses machines
subversives et nihilistes dont on ait entendu parler.
Cet homme-là, il faut le reconnaître, sait suprêmement bien mélanger et tirer
les ficelles. Et comme il y a longtemps qu'il ne croit plus à rien, sinon au
néant et à lui-même, cela lui facilite bien des choses. Car voilà ce à quoi
n'ont point pris garde les étourdis (sympathiques) du 13 mai : c'est qu'il
arrive qu'un homme perde sa foi, se défroque, jette sa raison d'être aux
orties. Et alors, il n'est plus qu'un pâle monstre, une lamie concrète dont
il faut se méfier plus que du diable. Hélas ! hélas ! hélas !
Du reste, cet homme, tout cela n'a pas exigé de sa un talent hors de pair : il
lui a suffi de se surveiller à merveille, de façon à ne pas se « couper », et
de n'attacher aucune importance morale à ce qu'il dit, bref d'être le plus
tranquille et le plus ferme menteur du monde, ce qui lui permet de
varier essentiellement l'optique et la conclusion à la mesure de
l'interlocuteur.
Oui, il faut le dire, et appeler les choses par leur nom : ce que les uns
auront pris pour du grand art, d'autres pour une extrême profondeur politique,
d'autres pour un véritable machiavélisme, d'autres pour une inconséquence
systématique, — ce n'est en réalité qu’une faculté géniale de mensonge,
soigneusement encore entretenue, développée, poussée à son extrême, cultivée
avec une espèce de passion funèbre.
Au fond on doit bien admettre qu’une telle manière de se conduire est
relativement facile ; qu'elle exige seulement ce que l'on appelle vulgairement
du « culot », et l'absence accomplie du sens de l'honneur. Mais pas d’avantage
; pas de genie autre, pas meme de talent.
Le seul accroc à l'affaire ne pouvant provenir que de révélations trop claires,
contre quoi il y a lieu de se prémunir. Ce qui nous a permis, par exemple, de
lire plusieurs reprises de cinglants démentis à des paroles prêtées, et qui
sans doute aucun, avaient été dites.
Pour moi, je dois l'avouer, et reconnaître ainsi ma sottise, j'ai mis quelque
peu de temps à comprendre ce qu'était cette duplicité, ou plutôt, cette
multiplicité.
Moi aussi, et parce que le diabolique organisateur de ce ballet des illusions
connaît bien son métier de chorégraphe de faussetés, j'ai longtemps cru que
ceux qui prétendaient tenir de la rue de Solférino des paroles contraires à
celles que j'y avais, de mes oreilles, entendues, étalent des imposteurs.
Par exemple, on me disait :
« Je n'ai aucun moyen d'empêchée Soustelle d'entrer dans le système.
Tout ce que je trouve, c'est que c'est moins grave de devenir gouverneur
général que ministre. »
Mais, par un livre récent, nous n'ignorons plus que, dans le même temps, on
encourageait ledit Soustelle à accepter l'offre de Mendès.
Exactement comme l'on aida Grandval à aller faire ses incongruités au
Maroc.
Heureusement, tout de même, j'ai été tiré d'erreur, et totalement, avant le 13
mai 1958, plusieurs mois avant, de sorte que j'ai aujourd'hui la joie de
n'avoir trempé aucunement dans cette affaire, si bonne en son principe, mais
si malheureusement menée, qu'elle nous donne sujet de regretter énormément M.
Félix Gaillard.
La totale « révélation » des choses, je la dois, par un hasard en somme
comique, à Maurice Clavel. Il est encore plus facétieux que fascinant
de voir la vérité sortit d'une telle source. Car cette pauvre grosse chimère
de Clavel est bien la dernière monture que l'on enfourcherait pour se
rendre du côté de la vérité...
Vraiment, il n'existe rien au monde de plus jobard que cet athlète à figure
ridée et prognathe de vieille concierge, mais rien en somme, aussi, de plus
déguelasse que ce sentimental aux mains sanglantes. Car on ne doit pas oublier
qu'il fût, tout un temps, le chargé de relations publiques de ce vieux farceur
de Messali HadJ, et, en quelque sorte, le porte-parole officieux du MNA.
Pour le fixer dans cette position, ce roublard de Hadj n’avait même pas
eu besoin de beaucoup d’argent. Il s'était servi d'un procédé beaucoup plus
astucieux et plus économique. Lorsque Clavel s'était rendu à Alger, on
lui avait jeté dans les pattes une jeune musulmane, dont on lui avait raconté,
pour le faire frémir, qu'elle avait été violée par un quarteron de
parachutistes.
Car l'on sait que ces
gens-là sont extrêmement méchants, et qu'ils sont tout à fait capables, tandis
qu'ils descendent du ciel, de s'envoyer au vol deux ou trois petites filles.
On savait bien par où l'on prenait Clavel, qui n'est pas assez sérieux
pour faire passer les femmes après la politique (cela lui a valu, pendant la
résistance, du coté de Chartres, de très graves ennuis avec, sauf erreur,
Claude Bourdet, qui avait décidé de se venger d'un « rapt » en privant
Clavel, le « ravisseur », de toute carte d'alimentation... Et voilà,
mesdames et messieurs, les éminents représentants de la conscience universelle
!). Notre Don Quichotte, ou plutôt, si j'ose ce mot, Don
Queuechande, ramena donc la pauvre créature à Paris, où, d'ailleurs,
il n'en fit pas sa maîtresse, car ce délicat couchait dans le même lit qu'elle,
mais se forçait à ne la toucher point, pour ne pas lui rappeler les affres des
viols subis ! On pense si la fatma devait rire sous cape. Mais comme cette
jeune et intéressante personne n’était rien d’autre qu’un agent du MNA, elle
se chargea de diriger son pseudo-amant dans le bon sens de l’Histoire.
Il y aurait, du reste, une étude fort étonnante à écrire sur les dessous
sexuels de la décolonisation. J'ai eu l'occasion d'évoquer l'influence et le
rôle de Chadlia Salah Rachid.
Mais si l'on recherchait
dans quelle mesure la pédérastie, bien plus aisément satisfaite avec des noirs
ou des arabes, qui n'y voient pas malice, a incité de journalistes, de
fonctionnaires, d'hommes politiques, voire un académicien, à jouer contre la
France pour satisfaire leur vice. — on serait atterré du résultat que l'on
obtiendrait. Car le vice a tenu sans doute encore plus de place que le pétrole
dans ce qui s'est terminé par la capitulation d'Evian.
Quant à Clavel, lorsque je le rencontrais, je lui disais : «
Bonjour, traître ».
Et il me répondait :
« Comment vas-tu, fasciste ? ».
Mais nous ne nous détestions pas cependant. Pas assez, — du moins pour ce qui
me concerne, et je me reproche d'avoir ressenti quelque temps, pour cette
espère de grand pantin ébouriffé et narcissiste, une coupable indulgence.
En tout cas, je savais pertinemment que ce garçon, à sa manière tout de même
idéaliste, — était incapable, lui, de me mentir. Ne serait-ce que parce qu'il
craignait mes traits, et qu'il brûlait de me convaincre un peu.
Aussi, au début de 1958, lorsque déjà, comme dirait Jules Romains, « de
grandes bêtes remuaient », je fus bien loin de tenir pour négligeable ce que
me dit Clavel, arrivant tout excité de la rue de Solférino :
« Le général est
partisan de l'indépendance de l'Algérie. »
II n'y avait pas à se méprendre sur le ton du narrateur : on lui avait
véritablement dit cela, alors qu'on jurait le contraire à d'autres
interlocuteurs.
A supposer que l'opinion donnée à Clavel ne fût pas celle du fond du
cœur (si toutefois cœur il y a, ce dont je doute, en ce qui me concerne), on
admettra qu'en tout cas on ne pouvait pas s'en remettre sans folie à un homme
qui n'était pas sincère, et dont la tactique consistait à faire croire à
chaque « famille de pensée » qu'il était l'homme de cette famille, — si bien
que son retour au pouvoir fut, à un certain instant précis, accepté par tout
le monde, quitte à commencer, dès le début de l'exercice de ce pouvoir, à
décevoir quelques gens.
Comme j'ai la faiblesse d'aimer savoir où je vais, ce jour-là, je décidai
formellement de ne plus du tout suivre, et je dois dire que ce choix était
encore corroboré par divers faits précédents, auxquels, soit par inadvertance
, soit au contraire par une décision que je croyais réfléchie, je n'avais pas
accordé, jusque-là, une totale importance.
Il y avait d'abord eu « l'incident du 18 juin ». En mai 56, si j'ai bonne
mémoire, au cours d'un de ses entretiens que j'avais deux ou trois fois par an
rue de Solférino, mon interlocuteur me développa certaines vues qui lui
étaient « chères ». Comme d'habitude, et ne m'attendant pas au moindre
résultat positif, je demandai, par acquit de conscience, si j'en pouvais faire
état.
« Non, mon vieux, me fut-il répondu, tout ce que vous pouvez dire,
c'est que, le 18 juin prochain, ce sera la dernière fois que j'irai au Mont-Valérien,
parce que, étant donné ce que le régime a fait de la France, ces cérémonies ne
riment plus à rien. »
Information «valable». J'annonce donc. Sur quoi Bonneval me téléphone,
et me dit :
« Le général n'a pas compris du tout pourquoi vous avez raconté une telle
chose. »
Bonneval mentait-il ? Lui avait-on menti en feignant d'être stupéfait ?
ou bien avait-on réellement oublié, à moins qu'on ne regrettât, la déclaration
que l'on m'avait faite ? Je l'ignore. Tout ce que je puis constater, c'est que,
le 18 juin suivant, on revint au Mont-Valérien...
Sur le moment, bien sûr, cette affaire m'avait produit un petit haut-le-corps.
Mais enfin, je n'avais pas songé à la traiter de drame. Tout au plus
avait-elle pu me fournir de vagues premières lueurs sur les étranges méandres
de la politique colombeyenne.
Mais nous sommes obligés d'arriver à présent à un incident qui est peut-être
beaucoup plus grave ; qui l'est peut-être tellement que je me sens contraint,
en conscience, de tout faire pour ne rien ajouter du mieux à un récit que je
voudrais tout à fait froid et dont je préférerais qu'autrui, non moi-même
tirât les éventuelles conclusions...
Partie 2
|