Le Bilan
Du Gaullisme
Partie
1 -
La requête du général de Gaulle… |
LOUIS
ROUGIER
MISSION SECRÈTE À
LONDRES
Les accords
Pétain-Churchill
NOUVELLE
ÉDITION
REVUE
ET CORRIGÉE
LA
DIFFUSION DU LIVRE
BRUGES - PARIS
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CHAPITRE DOUZIÈME
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LE BILAN DU
GAULLISME
p.195
et suivantes
Quelles furent les
réactions, des milieux officiels français à mes révélations; quel usage en
firent-il ? C'est ce que je ne devais apprendre que par la suite.
1. - La requête du général de Gaulle
Le 8 mars 1945, je
me trouvais dans ma chambre au Ritz-Carlton à Montréal, lorsque à huit heures du
soir le téléphone retentit. Le commandant Jacques Chevalier, en charge du
bureau du D. G. E. R à New-York, m'avisait qu'il était dans le lobby de mon
hôtel. Il venait de faire le voyage New-York-Montréal pour une affaire d'extrême
urgence. Il était porteur d'un télégramme du Chef de son service à Paris, alors
M.Soustelle. Le télégramme déclarait que le général de Gaulle
était au courant des Accords Pétain-Churchill depuis deux ans ; qu'il
désirait en faire usage dans un but d'apaisement national; qu'il ne pouvait le
faire faute de pièces à conviction.
En conséquence
l'officier en question était prié de m'approcher, de tâcher d'obtenir de moi mes
documents et le télégramme concluait « attachons une grande importance à la
réussite de cette mission. »
De la sincérité du
commandant Chevalier, je n'avais aucune raison de douter.
Le service auquel
il appartenait, le D. G. E. R. (Direction générale d'études et des Recherches),
n'était qu'une métamorphose du D. G. R. A. de Londres de sinistre mémoire.
LES ACCORDS PÉTAIN-CHURCHILL
Où l'appelait
couramment « la Gestapo gaulliste » . On mettait sur son compte des
emprisonnements illicites, des chambres de torture révélées par le procès
Dufour à Londres, des disparitions de personnes des résistants, tel
Vautrin, livrés aux Allemands parce qu'ils risquaient de porter ombrage au
grand chef, sans compter les listes noires dont la confection occupait
particulièrement les loisirs du prédécesseur de Chevalier la commandant
Bienvenue.
Le D. G. E. R., disposant d'énormes crédits, rayonnait partout, doublait les
services civils, était l'oeil omniprésent du Général. J'en connaissais fort bien
le mécanisme, pour avoir étudié l'Ovra en Italie, la N.K.V.D. En Russie et la
Gestapo en Allemagne. Cependant, je ne m'étais pas refusé à recevoir le nouveau
titulaire du poste, dont on disait le plus grand bien.
Cet officier, qui
me parut exemplaire, avait tout de suite gagné ma confiance par la sûreté de son
jugement. Introduit chez moi par un ami commun, deux jours avant la déposition
de M. Flandin, il m'avait dit : « Je me suis rendu compte qu'il
existe une Anti-France, aux Etats-Unis qui s'appelle France Forever. C'est un
abcès purulent. Le service d'information de Robert Valeur est pire encore.
Voulez-vous m'aider à révéler la vérité au gouvernement ? »
Il croyait à de Gaulle ; mais à un de Gaulle mal informé, mal
entouré, mal conseillé. Il suffirait de lui ouvrir les yeux sur toutes les
turpitudes qui se commettaient en son nom, pour qu'il avisât, pour qu'il
sévisse, pour qu'il remît tout en ordre. Au reste, pouvait-on douter, des
intentions du Général ? Ne voulait-il pas en finir, avec tous les excès qui se
commettaient au nom de la Résistance ? Ne prêchait-il pas la réconciliation des
Français ?
N'avait-il pas
déclaré, en recevant une délégation du C.N.R : " La Résistance est terminée ;
vous ne représentez rien. » N'avait-il pas dit à l'Assemblée Consultative,
le 26 décembre 1944, en réponse à une attaque contre Jeanneney :
" Il n'y a personne ici qui n'ait servi la Patrie et la République; mais en
1941, on pouvait avoir des conceptions différentes sur le service de la Patrie
" ?
Comment me serais-je dérobé à une requête qui comblait tous mes voeux et allait
au-devant de mes plus chers désirs ?
Je promis donc
d'adresser personnellement les photographies de mes documents au Général en les
accompagnant de commentaires et d'une lettre d'envoi, où je lui dirais tout ce
que j'avais sur le coeur. Quand je l'eus écrite, je la lus au Commandant, ne
voulant pas qu'il prit la responsabilité de l'expédier, s'il ne l'approuvait
pas.
« N'en retranchez
pas une virgule », me répondit-il, « pour une fois que l'on dit la vérité au
Général » !
M. Soustelle
accusa réception des documents par cette formule laconique: «Reçus documents.
Vive satisfaction. » Comment n'eussé-je pas interprété cette satisfaction
dans le sens le plus favorable?
Fin juin, le commandant Chevalier me fit rencontrer le colonel Manuel,
alors en tournée aux Etats-Unis. Le colonel Manuel me raconta comment il
avait remis, lui-même, ma lettre et mes documents entre les mains du Général qui
les avait longuement étudiés, « Nous étions convaincus depuis longtemps de
l'existence de vos accords et je vais vous en donner une preuve que vous
ignorez. A la fin octobre, Churchill nous a donné la consigne à Carlton Gardens
de ne plus attaquer la personne du Maréchal à la radio. Tout le monde s'en
étonnait et nous avions bien compris qu'un accord secret venait d'être passé. »
II – Ma convocation comme témoin
Toutefois, le
silence des Officiels à Paris m'intriguait. J'avais demandé au colonel Manuel
:
« Ne pensez-vous pas que je ferais bien d'aller à Paris pour éclairer mes
compatriotes ? -N'en faites rien m'avait-il répondu avec vivacité; les
communistes vous feraient votre affaire en déclarant que c'est nous. Nous ne
pourrions pas vous surveiller toute la journée » Je savais que les
« accidents » étaient fréquents à Paris. Les communistes disaient « ce sont les
gaullistes », les gaullistes répliquaient « ce sont des communistes », ce qui
laissait supposer des moeurs communes.
Je reçus, deux jours avant l'ouverture du procès Pétain un coup de
téléphone du Consul général de New-York. La défense me citait comme témoin. Au
cas ou j'accepterais de comparaître, tout était prêt pour mon transport :
priorité d'avion, visas, argent. J'acceptai, et commençai hâtivement mes
préparatifs.
Le même jour, je reçus un coup de téléphone de Montréal, de la part d'un éditeur
qui débarquait de France. Il semblait en proie à une vive émotion. « Ah !
j'entends votre voix, me dit-il. Vous n'êtes donc pas parti ! J'avais
peur, que vous le fussiez. Je vous parle au nom de vos amis, qui m'ont confié
des lettres pour vous. Si vous partez, vous n'en reviendrez jamais. Il en va de
votre vie. » Parmi ces lettres, l'une reproduisait les avertissements d'un
avocats de mes amis du barreau de Paris. « Revenir, disait cet ami,
serait insensé. Le Moins qui puisse vous arriver, c'est la détention
administrative à Fresne ou à Drancy. Vous ne pourrez ni témoigner ni paler.
Restez où vous êtes. »
Je télégraphiai à Maître Payen pour en avoir le coeur net :
« Pouvez-vous garantir ma sécurité personnelle. Stop. Voyage est-il
indispensable? » La réponse vint : « Impossible remplir condition.
Stop. Voyage inutile » Je renonçai au départ.
Bien m'en prit, car, c'est de suite après que j'eus connaissance des nouveaux
démentis britanniques et que je pus, de New-York, librement y répondre.
Partie 2
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